Marc Géméto : l’excubation en open innovation, quésako ?

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 Article publié dans « Quest for industry », numéro hors-série d’Or Norme paru à la mi-juin 2023.
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De formation ingénieur, Marc Géméto a exercé successivement ses activités en conception produits, en marketing et stratégie, puis a été directeur innovation jusqu’en 2019 du groupe technologique Gemalto. C’est là qu’il met en place « un incubateur interne, qui recevra en 2011 le prix de l’Innovation Agile ». Après avoir fait reconnaître son expérience par une thèse en école doctorale, et aujourd’hui enseignant à Kedge Business School à Marseille, il défend l’idée que l’excubation est une méthode efficace pour les entreprises en matière d’innovation. Explications.

Avant toute chose, Marc Géméto, pourriez-vous expliquer ce qu’est l’excubation ?

C’est un néologisme dont j’ai créé la définition, même si le terme apparaissait déjà dans un ou deux articles à partir de 2016. J’ai défini l’excubation comme un dispositif consistant à détacher un groupe de salariés d’une entreprise existante pour travailler avec l’accompagnement d’une structure externe pendant une durée limitée, type incubateur ou accélérateur, dans le but d’explorer une opportunité d’innovation. Autrement dit, il s’agit de mettre un petit groupe de salariés dans un environnement entrepreneurial externe, en combinant la puissance technique et commerciale de leur entreprise d’origine avec l’agilité de l’approche entrepreneuriale, pour maximiser les chances de succès d’une innovation.

Votre thèse s’est centrée sur cette méthode d’excubation, nouveau type d’expérimentation favorisé par un contexte d’hyper compétition et de nouveaux modèles économiques rendus possibles par le numérique, c’est bien cela ?

Oui, la dominance du marché numérique par les GAFAMs, leur remise en cause par de nouvelles entreprises et start-up du numérique, la multiplication des partenariats d’Open Innovation, la diffusion des approches de design thinking et du lean start-up, ou encore l’explosion des nouvelles structures type incubateur et accélérateur, ont favorisé l’émergence de pratiques d’excubation.
J’ai donc étudié le contexte, le phénomène, et la façon dont peut fonctionner l’excubation, ainsi que les bénéfices, les limites, son impact et les recommandations en termes de management.

Vous avez donc suivi des entreprises et des structures d’accompagnement qui avaient propulsé des projets pour en tirer des conclusions. Qu’est-ce qui rend l’excubation si intéressante ?

L’hypothèse centrale de ma thèse, qui est partiellement validée, c’est que l’approche excubation va permettre, dans des conditions bien définies, d’améliorer le management de l’innovation.
Dans ce qu’on appelle de l’innovation substantielle (tout ce qui est non incrémental, c’est-à-dire une innovation radicale, majeure – ndlr), l’exploration des projets de produits ou marchés non matures, en dehors du périmètre habituel de l’entreprise, donne des résultats très intéressants pour les grands groupes. Il est possible de valider en un temps inférieur et moins coûteux l’opportunité de business d’un projet.
Ce qui est difficile pour les entreprises, c’est de faire à la fois de l’exploration et de l’exploitation, « comment je transforme une exploration avec un potentiel et comment je la réintègre en exploitation ». La thèse montre que l’excubation est une ouverture, avec deux options possibles. Soit créer une business unit séparée avec une certaine autonomie et le support du comité de direction, soit il faut faire mener le projet en spin-off pour qu’il continue à travailler seul, avec éventuellement un accompagnement interne ou externe.

Nous sommes donc là sur l’hypothèse centrale de votre thèse. Quelles sont les méthodes à déployer pour espérer gagner en efficacité et en capacité d’innovation grâce à l’excubation ?

La thèse met en avant l’intérêt d’un environnement extérieur ouvrant de nouveaux possibles (focalisation sur le projet, levée des interdits, droit à l’erreur, collaboration intense, etc.), l’usage de méthodes entrepreneuriales centrées clients et agiles, l’accès à un réseau stimulant (start-up, etc.), et un accompagnement entrepreneurial par des personnes expérimentées. Un changement d’état d’esprit est recherché et permis.
Permettre à de petites équipes de sortir du cadre managérial habituel et de se focaliser sur leur projet permet d’explorer des opportunités d’innovation substantielle sur des marchés adjacents, d’avoir une émulation, et aussi d’avoir une proximité donc avec le client, le terrain. Cela change l’état d’esprit (et bénéficie aussi à l’image de l’entreprise). Dans ce cadre, les incubateurs vont se transformer petit à petit pour devenir, non plus seulement des incubateurs de start-up, mais aussi des animateurs d’agilité et des accompagnateurs sur mesure des grands groupes. Cela se démontre d’ailleurs : des groupes comme Numa (workshops et classes à destination des entreprises – ndlr) ont beaucoup vendu de formations à l’agilité entrepreneuriale dans les groupes.

Ce changement d’état d’esprit, généré par l’excubation, peut-il transformer l’entreprise et s’inscrire dans une évolution du modèle managérial de l’innovation ?

On dit que le groupe est transformé si au moins 30 ou 40 % des gens le sont. L’excubation est un véritable catalyseur. Et il a de nombreux points positifs.
L’excubation ouvre un autre sujet qui est l’ambidextrie organisationnelle, c’est-à- dire la capacité à réaliser au sein d’une même société à la fois les activités d’exploitation et d’exploration. Et c’est sur ce dernier point que l’excubation fait appel à la capacité de la direction, peut trouver sa place et faire gagner en efficacité et en agilité.

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