Mickael Tonussi Associé-gérant de La Cour de Honau « Ces crises ont marqué la fin d’une longue histoire familiale… »

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 Article publié dans « Escales », numéro 49 d’Or Norme paru à la mi-juin 2023, dans le cadre du dossier « Les artisans et PME faces aux crises ». Lire le magazine en ligne 

Plus de trente ans après le début de son essor (ce complexe sportif et de loisirs avait remporté dès son ouverture un succès assez bluffant), la Cour de Honau, toujours nichée dans la forêt entre Strasbourg et La Wantzenau) vient de subir trois années très compliquées. Rencontre avec Mickael Tonussi, qui, en association avec son frère Jimmy, gère l’établissement familial…

Nos difficultés datent de la crise sanitaire. Le premier confinement, on l’a plutôt bien surmonté, il y avait le soleil et malgré les circonstances, j’ai appelé ces deux mois les vacances des Français. Mais à l’issue, on a constaté que les gens avaient peur et ne revenaient pas. Tout l’événementiel, par exemple les mariages, restait interdit. On passe l’été, ça va un peu mieux puis survient le reconfinement d’octobre. Huit mois très, très longs et dès sa levée, en juin, on sait que ça va être très, très dur. Nous fonctionnons avec des abonnements, et dès que les gens perdent l’habitude de fréquenter un lieu, ils ne reviennent plus aussi spontanément. On a pris une vraie gamelle, notre trésorerie a quasiment été anéantie entre les mois de confinement et les mois où nous avons essayé de la reconstituer. Quasiment trois ans, en fait. Parallèlement, on a vite constaté le changement en matière d’habitude, mais aussi de mode de consommation. Les gens sont devenus d’un seul coup moins conciliants et plus agressifs. Malgré tout, après quelques mois, vers la fin de l’hiver 21-22, l’activité repart plutôt bien, on reprend espoir. Fin février 2022 éclate la guerre en Ukraine et assez vite, on découvre qu’on a des problèmes d’approvisionnement pour certains produits de base pour notre restaurant et les gens replongent dans cette forme d’ambiance angoissante qui caractérise l’époque. On rencontre aussi des problèmes avec notre personnel, car la crise sanitaire a provoqué pas mal de bouleversements dans le rapport des gens avec le travail. On continue tant bien que mal à remonter la pente…

Et c’est l’appel d’ES en décembre dernier. Devant la flambée du coût de l’énergie, on nous incite à signer rapidement un contrat « pour sauver les meubles », en quelque sorte. On est chez eux depuis plus de trente ans, on travaille dans la confiance. Ce contrat, on le signe juste avant Noël dernier. En janvier et février 2023, on ne reçoit pas de facture. La première facture arrivera mi-mars, très largement après la fin du délai contractuel de rétractation qui est de 45 jours. Et là, ahuris, on constate que notre facture mensuelle passe de 12 000 € en temps normal à 48 000 €. Au téléphone, on nous sert des arguments du genre « C’est la faute de l’État avec un changement au niveau du calcul des prix… » Quand on rétorque que le délai de rétractation est expiré et que c’est un scandale puisqu’on n’a reçu la facture de janvier qu’en mars, on n’obtient pas le début d’une réponse convaincante. On essaie d’appeler les services de l’État, peine perdue, il ne se passe rien du tout.

À ce moment-là, on a une fausse bonne idée, que d’autres ont eue aussi : on publie nos factures avant/après sur les réseaux sociaux. Mais, passés quelques jours, c’est l’effet boomerang : les gens se disent qu’on ne pourra jamais tenir dans ces conditions et ils ne se réabonnent plus ! Certains demandent même des remboursements… Sincèrement, on s’est alors pris une gigantesque claque derrière la tête.

On a ensuite décidé de commencer à payer nos factures à ES sur la base du prix de l’année précédente qu’on a majoré de 20 %, pour montrer notre bonne volonté. Et depuis, nous n’avons pas eu la moindre nouvelle… Juridiquement, ES ne peut pas nous couper l’électricité puisqu’on paye un montant qui est quand même conséquent. On sait que les attaquer sur le plan du délai de rétractation complètement inopérant après leur envoi tardif de la facture de janvier serait une démarche peu effi cace : derrière eux, il y a l’État, ça serait trop long et bien trop coûteux pour une toute petite PME comme la nôtre, d’après notre Conseil.

Ce qui aurait pu être peut-être plus efficace, c’est de monter un collectif d’artisans et de chefs d’entreprise victimes de ces pratiques, mais l’expérience montre qu’il ne faut pas se leurrer, je ne crois pas trop à cette action de solidarité entre commerçants.

Nous avons donc vendu notre affaire et nous avons déjà informé nos clients que notre activité s’arrêterait en 2025. En plus des changements en matière d’habitudes de consommation que j’évoquais tout à l’heure, le coût de l’énergie a fi ni de nous convaincre de procéder ainsi. À la base, avant la crise sanitaire, nous avions prévu une enveloppe de 3 à 5 millions d’euros de travaux pour tout rénover. Mais aujourd’hui, il y a de grandes chances pour que ce modèle de club tel que le nôtre devienne obsolète, hormis peut-être à Paris. D’ailleurs, aucun des nouveaux propriétaires n’a souhaité que cette activité de club perdure… Les crises ont marqué la fin d’une longue histoire familiale. C’est bien sûr dommage qu’elle se termine ainsi, mais on n’a pas eu le choix, il nous était impossible de surmonter cette perte de trois millions d’euros qui a débuté en 2020 avec le confinement… »

 

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