Morgane Royo, Contemporanéité et Caravage

Partager

À travers l’objectif de son appareil, Morgane Royo fusionne la peinture et la photographie, héritage familial d’une vie nomade en Afrique. De ses récréations artistiques en confinement strasbourgeois à la construction de sa recherche, plongez dans l’univers de cette restauratrice d’oeuvres peu commune.

Archéologue, photoreporter ou réalisatrice ? Enfant, Morgane Royo se rêvait déjà dans l’art. Bien lui en a pris, puisque cette restauratrice d’oeuvres est également photographe. Et c’est une histoire de famille ! Née en Afrique, passée avec ses parents et sa soeur par le Sénégal et la Côte d’Ivoire, elle a toujours vu son père appareil photo en main. Photographe paysager, c’est aussi lui qui lui offrira son premier boîtier. Lorsqu’elle rentre en France à douze ans, dans le sud de la France, vers Montpellier, leur pèlerinage père-fille prend place dans l’exposition de photoreportages.
Arrive l’heure des grandes décisions. Pour son orientation, Morgane Royo est sûre d’une chose : elle souhaite mêler art, lettres et sciences dans son futur métier. Sans avoir de but précis, elle prépare sur un coup de tête, en quinze jours, les concours de l’INPI de Paris, pour la restauration des oeuvres. Et c’est un coup de maître puisque voici ouvertes pour elles les portes du monde très fermé de la restauration. Là aussi son coeur balance et pour sa spécialisation dans le Master de ce diplôme d’État, il finira par pencher vers les manuscrits persans. Elle se mettra à son compte puisque les places dans le public sont chères et aussi rares que les oeuvres sur lesquelles elle travaille.

A droite : Coquetterie complice, par Morgane Royo. À gauche : Sous les oliviers (Coquetterie) par Francis Picabia 1925-1926

STRASBOURG, MON AM… CONFINEMENT !

Rares, mais existantes ! Une ouverture de poste de restauratrice à la BNU de Strasbourg lui fait faire ses bagages. Direction le pays des cigognes, des bretzels et bienvenue dans la ville de Môman avec ses élégants colombages. Oui, mais voilà… En nous ouvrant la porte de son studio photo portatif, elle se souvient : « Nous sommes en 2019, je vis dans un 19m2 près de la sublime cathédrale de Strasbourg, et je suis… confinée ! ». L’oeil pétillant de celle qui refuse de se laisser abattre se dirige vers les impressions A4 au mur. « Il me fallait un projet. Un projet prenant, qui se partage et me permette de communiquer avec l’extérieur ». Alors, pour sortir de la litanie répétitive et morose des journées de confinements, pour se réapproprier un équilibre de vie, et parce qu’entre amies elles se lancent un jour un défi de se faire deviner une oeuvre (cinématographique, littéraire, etc.) : Morgane Royo se met à créer. À l’aide d’un objectif. « J’avais débuté la photographie en argentique, puis avec un D80 offert par mon père. Avec cela j’avais un petit objectif 18-55 millimètres un trépied et puis par la suite ça a été de la débrouillardise avec un rideau une lampe de bureau des accessoires, etc ».
La première oeuvre réalisée pour ses amis pendant le confinement fut celle d’entrer dans la reconstitution d’un maître italien. Sa première vraie photo du style a été réalisée en 2020. C’est d’ailleurs un portrait familial qui lui est cher. À la suite de cela, ses parents lui ont offert un studio mobile.
Un des principaux traits du travail de Morgane Royo, c’est l’intégration dans sa reconstitution d’éléments bricolés, créés de toutes pièces avec les moyens du bord. Du body painting, des collerettes en feuilles A4, des voiles en film alimentaire… tout est dans l’illusion ! « Pour la reconstitution du Prêteur et sa femme, la balance est remplacée par deux bouchons de vin et un bout de fil de fer », illustre la créatrice. Sa préparation, sa recherche, ce temps passé sur les décors et ses accessoires, sa quête constante de modèle qu’elle va même jusqu’à interpeller dans la rue, font partie de sa trame créatrice.

A droite : Le prêteur et sa femme par Morgane Royo. A gauche : Le prêteur et sa femme par Quentin Metys, 1514

NOTION D’OMBRE ET DE LUMIÈRE

Pour son choix de tableaux, ce qu’elle met en valeur, c’est le feeling et l’intérêt technique qui s’y rapporte, ensuite : « Je me donne en général un mois pour réaliser un tableau, c’est-à-dire accessoirisation, recherche de modèles, confection des accessoires, du décor, calcul de la lumière, etc. ». D’ailleurs, cette notion d’ombre et de lumière fait elle aussi partie intégrante de son travail intrinsèquement lié à la photographie, cette notion entre en résonnance avec les choix des tableaux qui l’inspirent, de Chagall à Caravage.
Morgane Royo ne cherche pas tellement à transmettre un message à travers son oeuvre, mais plutôt une expérience, un esprit ludique, l’envie de faire sourire le spectateur de son oeuvre. « Pour moi, c’est une activité récréative dans tous les sens du terme : de la création à la récréation en passant par la re-création. J’ai coutume de dire : “La créativité harcèle, l’art démange, le culot fait le reste.
” Cette activité, c’est un peu ce qui concentre mon équilibre intérieur. Une sensation d’accomplissement à la fin de chaque mois, quand j’ai réalisé une nouvelle oeuvre ». D’ailleurs, cette sensation prendra plus de sens encore en octobre, puisque ses oeuvres feront partie de l’exposition Art Photography, en octobre.

A droite : Autoportrait à la fraise par Morgane Royo. A gauche : Portrait de Ana de Mendoza, princesse d’Éboli, source d’inspiration.