Neuro atypiques : les femmes invisibles

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 Article paru dans ORNORME n°42, CULTURE –

Pendant des années, elles ont vécu sans vraiment se connaître ni se comprendre elles-mêmes… Comme beaucoup de femmes neuro-atypiques, ces trois Strasbourgeoises n’ont pas été repérées pendant leur enfance. Elles témoignent de leurs difficultés, mais aussi de leur soulagement au moment du diagnostic.

« C’est à l’occasion d’un stage auprès d’enfants autistes que j’ai réalisé que j’étais peut-être concernée moi aussi », décrit sans détour Caroline, étudiante en Master de psychologie à Strasbourg. « Pendant mon enfance, mais surtout mon adolescence, j’ai eu beaucoup de difficultés dans mes relations sociales, qui m’ont vraiment affectée moralement, mais personne n’a su repérer des signes évocateurs de l’autisme. »

Comme beaucoup de femmes atteintes d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA), Caroline est passée entre les mailles du filet. L’Inserm estime que le TSA affecte une fille pour trois ou quatre garçons, et cette différence monte même à une pour neuf pour le TSA sans déficience intellectuelle. « On ne sait pas précisément si c’est la prévalence qui est moindre, ou si les filles sont moins bien repérées que les garçons », expose Dr Edwige Heitzmann, psychiatre à Strasbourg. « La deuxième hypothèse me semble cependant la plus probable. » En cause, des grilles diagnostiques élaborées à partir de cas masculins, et des capacités à masquer leurs difficultés davantage développées chez les filles. « Les femmes diagnostiquées le sont en moyenne quatre ans plus tard que les hommes », ajoute la spécialiste.

Survie sociale

« Au lycée et pendant mes études, j’ai toujours su que j’étais un peu bizarre, mais je réussissais à exister dans cette étrangeté. Les difficultés se sont surtout manifestées quand j’ai commencé à travailler. Les relations informelles, les consignes pas claires, les réunions, les subtilités du fonctionnement hiérarchique, tout cela dans un bureau partagé : j’ai trouvé ça très dur », détaille Margot, 27 ans, elle aussi atteinte d’un TSA. « J’étais épuisée, et j’ai eu ce qu’on appelle des crises autistiques. En rentrant le soir, j’éteignais toutes les lumières, je coupais le téléphone, je limitais tous les bruits au maximum et je me mettais sous la couverture pendant une demi-heure à une heure et demie. J’étais vraiment très mal. »

Pour Caroline aussi, ce sont les moments informels, où les codes sociaux sont plus durs à décrypter, qui lui posent le plus problème. Pourtant, dans leur entourage professionnel, peu de gens sont informés de leur TSA. « C’est comme un réflexe de survie sociale, on se force à avoir l’air normales, on met en place des stratégies, mais c’est au prix d’une grande fatigue », témoignent-elles toutes les deux. « Les filles et les femmes autistes développent souvent des stratégies de coping. Elles apprennent à imiter les autres pour savoir comment réagir. Dans un environnement connu, elles font illusion, mais dans une situation nouvelle, elles sont plus perdues. Tout cela est générateur de fatigue et d’angoisse », décrypte Edwige Heitzmann.

« J’apprends encore à me découvrir »

Bien souvent, c’est une situation de détresse, voire de burn-out, qui les pousse à consulter. Un autre cas de figure est fréquent : celui des mères qui mettent en place un suivi pour leur fils et réalisent alors qu’elles partagent certains traits. Ce repérage tardif n’est pas spécifique au TSA et concerne tous les fonctionnements neuro-atypiques : troubles dys, déficit de l’attention, haut potentiel… « Mon mari et moi-même avions déjà été repérés pour le haut potentiel intellectuel (HPI) suite au bilan réalisé pour nos enfants », décrit Virginie Bouslama, présidente de l’association Typik’Atypik.

« Lorsque notre fils a eu son bilan pour le TDAH (trouble du déficit de l’attention/hyperactivité), les caractéristiques qu’on nous énonçait me correspondaient aussi et j’ai alors été évaluée. » C’est ainsi qu’à 40 ans passés, cette énergique mère de famille a enfin pu comprendre ses réactions impulsives et ses difficultés à se concentrer. Car c’est bien là que le bât blesse.

« On perd des années à ne pas vraiment se connaître… », commente Caroline. Pour les trois femmes, le diagnostic est arrivé comme un soulagement. « Ça a été un changement de prisme : je ne voyais plus des choses que je n’étais pas capable de faire, avec de la culpabilité, je voyais juste un fonctionnement particulier, que j’étais prête à respecter », raconte Margot. Elle espère désormais pouvoir travailler à son compte, pour être plus en phase avec ses besoins. « J’apprends encore à me découvrir », reconnaît Caroline, « mais je sais désormais, par exemple, que je peux sortir mon casque anti-bruits ou mes lunettes de soleil si je suis agressée par l’environnement. »

Pour Virginie, des thérapies comportementales et médicamenteuses ont été mises en place. « Et surtout, j’ai créé l’association Typik’Atypik, pour venir en aide aux autres familles », se félicite-t-elle. Margot et Caroline aussi ont pu trouver un appui et un lieu d’épanouissement au groupement d’entraide mutuelle (GEM) Aspies & Cie. En rêvant du jour où la société dans son ensemble acceptera sans mal leurs particularités…

« Je ne voyais plus des choses que je n’étais pas capable de faire, avec de la culpabilité, je voyais juste un fonctionnement particulier, que j’étais prête à respecter »

© Abdesslam Mirdass
Rencontre et portrait de la présidente de l’association Typik’Atypik Virginie Bouslama et la vice-présidente Corinne.

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