NO BRA : Lâchez-nous les boobs !

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– article publié dans Or Norme N°39, décembre 2020

Depuis le premier confinement, de plus en plus de jeunes femmes se laissent tenter par la tendance du No Bra, entendez ne plus porter de soutien-gorge. Entre motivation féministe et recherche de confort, elles revendiquent le droit de s’habiller comme elles le souhaitent sur fond de recrudescence du harcèlement de rue, notamment à Strasbourg.  

Le confinement a libéré les seins. Une étude IPSOS révélait en juillet qu’une jeune femme sur six ne portait plus de soutien-gorge (18%) soit une proportion quatre fois supérieure à celle mesurée avant le confinement (4%). Certes marginale, cette tendance s’est confirmée durant le déconfinement. 

En tête des raisons de faire tomber le soutif, le désir de confort (pour 53% des sondées), découvert pendant ce confinement où les sorties étaient plus que limitées. Mais ce qui ressort surtout, c’est la position revendicatrice des plus jeunes qui sont 32% (versus 15% pour ces dames) à défendre que leur choix est déterminé par « le souhait de lutter contre la sexualisation des seins féminins qui impose de les cacher au regard d’autrui. » 

« J’éprouve un vrai sentiment de liberté et je ne focalise plus sur mes seins »

En témoigne Nina, Strasbourgeoise de 14 ans, qui refuse catégoriquement d’en porter, sauf en sport. « J’aime pas ça, je n’en ai pas besoin et je suis à l’aise sans. La majorité de mes copines n’en portent pas non plus. Je pense que le soutif, c’est quelque chose qui a été imposé par la société aux femmes, alors que c’est un peu inutile, c’est une légende que les seins tombent si on n’en met pas. » En rentrée de 4e l’an dernier, la CPE a interpellé l’une de ses amies qui portait un débardeur sans soutien-gorge. « Elle lui a dit qu’au collège on se devait d’avoir une tenue décente. On n’a pas le droit non plus de porter des tee-shirts courts ou des décolletés. » De quoi rappeler le débat autour du crop-top à la rentrée, notre ministre de l’éducation exhortant les collégiennes et lycéennes à porter « une tenue républicaine ». « Mon fils de 14 ans ne comprenait pas le problème de voir le nombril des filles, il n’y prêtait pas attention, témoigne Barbara Salerno-Lefèvre, 50 ans, commerciale chez Top Music. C’est en faisant des remarques que l’on attire l’attention… » Elle-même est désormais adepte du No Bra depuis le confinement. « J’éprouve un vrai sentiment de liberté. Mon mari n’a pas regardé d’un très bon œil que je parte au bureau sans, mais il s’y est habitué par la force des choses, sourit-elle. Au bureau, je n’ai subi aucune remarque. L’une de mes collègues de 20 ans n’en porte pas non plus. C’est plus commun pour cette génération que dans la mienne. Mais aujourd’hui, j’assume totalement ma petite poitrine et j’ai arrêté de me poser des questions sur mes seins. » 

©Nicolas Rosès

Dans le milieu professionnel pourtant, les barrières persistent. « Le nœud du problème, c’est qu’on est à l’aise seule, en famille, entre amie.s, mais dans la rue et la vie pro c’est autre chose. Le temps passant, j’ai persisté, mais ces regards sur des tétons apparemment visibles et donc indécents n’ont pas cessé… Alors j’ai récemment fait un peu marche arrière en achetant des brassières sans coutures. De cette façon je n’ai plus à m’interroger sur ce que l’on voit ou pas », témoigne Julie, enseignante et photographe de 42 ans. Idem pour cette prof en lycée et BTS qui préfère conserver l’anonymat. «J’ai commencé à ne plus en porter il y a deux ans. Mais j’ai eu des remarques comme quoi ça allait exciter les élèves mâles de la part d’une collègue et d’amis. Alors j’ai arrêté, ou je mettais des cache-tétons. Et puis cet été, pas mal de posts ont tourné autour de ça, du regard toujours sexualisé porté sur le corps des femmes. Ça m’a pas mal confortée dans ma décision d’arrêter d’en mettre. Mais je ne mettrais pas un tee-shirt blanc ou même un truc moulant clair. Alors que je n’ai pas un besoin physiologique d’en porter. » 

« Le No Bra a le mérite de mettre en lumière les limites de la liberté vestimentaire des femmes »

Ce que révèle ce sondage, c’est aussi et surtout la peur d’être agressée. Chez les Françaises de moins 25 ans, les freins au « No Bra » sont les mêmes que ceux pour le topless sur les plages, à savoir la gêne d’exposer leurs tétons (69%) et « la crainte d’être l’objet d’agression physique ou sexuelle » (57%). « Le No Bra a le mérite de mettre en lumière les limites de la liberté vestimentaire des femmes dans une société où l’hyper-sexualisation des poitrines féminines les surexpose encore à des formes de harcèlement ou de « rappels à l’ordre » , confirme François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » de l’Ifop.

L’étude révèle en effet que pour 20% des Français « le fait qu’une femme laisse apparaître ses tétons sous un haut, devrait être pour son agresseur une circonstance atténuante en cas d’agression sexuelle. » 

« Ensemble en jupe » pour dénoncer les violences sexistes à Strasbourg fin octobre ©Nicolas Rosès

Une circonstance atténuante vraiment ? De quoi nous faire toutes flipper. En témoigne la recrudescence du harcèlement de rue, notamment à Strasbourg et Mulhouse, avec cette jeune femme agressée pour avoir dit « Non » au Baggersee, cette autre traitée de « sale pute » place Kléber. Pour dénoncer ces faits, deux Strasbourgeoises, Sophie Cambra et Marie Villienont ont organisé une marche pacifiste « Ensemble en jupe » fin octobre. Tiphany Hue, initiatrice de l’association Ru’elles pour dénoncer ces violences sexistes post-confinement, a créé une carte de Strasbourg où elle compile tous les lieux où des agressions ont eu lieu les dernières semaines. 

« La rue est à tou·te·s »

Sur Instagram, les hashtags #Freethenipples #NoBrachallenge fleurissent. Comme pour rappeler que depuis la nuit des temps, la mode est un terrain d’émancipation des femmes. Durant la Première Guerre mondiale, elles ont laissé tomber leur corset pour une lingerie plus souple pour pouvoir assumer sans contrainte physique le travail de leur mari parti au front. En mai 1968, déjà, place au No Bra et au topless sur les plages. Dans les années 90, les femmes ont assumé la lingerie sexy mettant en avant leurs attributs – souvenez-vous de la pub avec Eva Herzigova… 

Alors si en 2020 nous avons envie de libérer nos seins par désir de confort ou tout simplement parce que nous n’en avons pas besoin physiologiquement, nous le ferons. « La rue est à tou·te·s ». En jupe, en jeans, avec ou sans soutif. 

©Izhak