« Notre objectif : remplir les tribunes et offrir un spectacle unique, porteur de valeurs »
Ils ont maintenu le tournoi contre vents et marées pendant la crise COVID, et ils ont bien fait !
Denis Naegelen, Jérôme Fechter et Christophe Schalk abordent cette édition 2023 avec le sourire entre hospitalité à guichet fermé, accueil de la direction de la WTA en marge des Internationaux de Strasbourg, et écoresponsabilité encore plus poussée…
A l’heure où nous écrivons ces lignes, la WTA n’a pas rendu sa décision de passer les Internationaux de Strasbourg en WTA500. Pouvez-vous nous dire pour- quoi vous avez candidaté et ce que cela changerait pour le tournoi ?
Jérôme Fechter : Nous avons répondu à l’appel d’offres de la WTA et nous sommes comme beaucoup d’autres candidats. C’est en passionnés et ambitieux que nous avons candidaté pour le 500. Denis en 2018 a eu l’idée de développer le tournoi et de l’ancrer localement. Ce projet nous permet d’aller à fond ! Si nous passons en 500, nous serions parmi le Top 5 des tournois en Europe, numéro trois en France, tournois masculins inclus, et numéro un des tournois féminins. Cela serait un honneur.
Denis Naegelen : Nous vivons très bien en 250. Notre volonté, c’est de faire grandir le tournoi par le public, par l’attractivité des joueuses. Le 500 boosterait le projet d’avoir des installations pérennes pour les Internationaux de Strasbourg.
Denis, vous avez racheté les IS à la Fédération française de tennis (FFT) en 2010. Qu’avez-vous apporté à l’organisation de ce tournoi féminin international pour qu’il se maintienne à Strasbourg ?
Denis Naegelen : Une réputation, ça compte et ça se construit. Un an après avoir racheté le tournoi avec Quarterback, j’ai décidé de relocaliser le tournoi et cela a été une très bonne décision, tant pour le décor que la proximité du centre-ville. Notre modèle économique repose à 35% sur l’hospitalité, être au cœur de la ville est très important pour favoriser l’invitation des clients. Le modèle économique que j’ai mis en place est de dépendre le moins possible de l’argent public, et j’ai multiplié par 50 les revenus privés. Les collectivités représentent moins de 20% du budget global, contre 60 à 70% pour des tournois comme l’Open 13 Marseille ou l’Open Moselle. L’équipe de repreneurs devait être autant passionnée par la région que par le tennis. Jérôme, Christophe et Pierre-Hugues ont ces qualités. Tenir a été le meilleur traitement anti-Covid ! On a pris le risque de maintenir le tournoi. On n’avait pas créé une société pour s’arrêter à la première grippette ! Même si ce n’était pas qu’une grippette…
Jérôme Fechter : Il a fallu une bonne dose d’énergie, de folie aussi, pour vouloir organiser malgré tout. Mais grâce au soutien de nos partenaires et des collectivités, nous nous en sommes sortis. On a eu la chance aussi de passer entre les gouttes car le tournoi se déroulait quand l’épidémie ralentissait.
En 2022, vous révéliez dans nos colonnes qu’il fallait que cette première édition « normale » après la crise sanitaire se passe bien, au risque d’être en difficultés. 2023 est là, et vous êtes toujours là !
J.F. : Avec Christophe Schalk et Pierre- Hugues Herbert, nous avons racheté le tournoi à Quarterback avec Denis Naegelen, qui est resté directeur du tournoi, en 2019. Je n’avais donc jamais orgnisé un tournoi sans jauge avant 2022 ! C’était une édition formidable, sans masques, sans règles, sans contrôles sanitaires. On a retrouvé notre public, les joueuses pouvaient être en interaction avec les spectateurs, faire un selfie, apporter du plaisir…. Nous avons pu récolter les fruits de notre persévérance. Et finalement le COVID a eu quelques bénéfices : comme nous étions l’un des rares événements maintenus, plusieurs entreprises sont venues aux IS, elles ont aimé, invité des clients, qui sont également devenus clients. Grâce au travail de notre équipe commerciale, des équipes de Christophe, grâce à notre situation à Strasbourg, nous avons pu gagner de plus en plus de clients qui ont choisi le sponsoring et l’hospitalité pour leur fonctionnement. Cette année nous ont rejoint le groupe Naos, hôtels officiels des IS, Mise au Green, le nouvel équipementier lifestyle du tournoi, Centrakor qui fournira l’espace public et une partie du village en mobilier, Freshmile, mais aussi Ologik, qui a créé une machine de diagnostic de santé des femmes, que nous a apporté la WTA. Surtout, nos partenaires majeurs, à savoir Engie, Espace H, Carola, Kronenbourg ou LCR, ne nous ont pas lâchés.
Christophe Schalk : Nous avons bien fait de nous entêter, même si économiquement cela n’avait pas vraiment de sens. Mais chaque jour, je me disais que de revoir la vraie vie, cela n’avait pas de prix. D’autres manifestations qui ont été suspendues pendant le COVID n’existent plus aujourd’hui. En 2001, il y a 22 ans, j’avais créé une régie pour vendre les IS, j’aimais déjà les relations en marge de la compétition sportive entre tous les acteurs du territoire. Chez Top Music, le modèle économique est basé sur 450 clients en Alsace chaque année, clients pour la plupart des IS. Avec mes équipes, on a pas mal secoué le pommier depuis deux ans, et les retombées sont encore plus positives pour cette édition. Cette année, on savait déjà un mois et demi avant le début du tournoi que l’on avait fait le plein en termes d’hospitalité. Cela signifie que les entreprises créent au sein de l’événement leur propre manifestation. Parce que les gens au fond, ont tous envie de se retrouver.
2023 annonce un événement majeur dans l’événement : la réunion des instances de direction de la WTA à Strasbourg, du 22 au 24 mai.
J.F. : Habituellement, la WTA, les directeurs des tournois et les représentants des joueuses se réunissent deux fois par an, une fois lors de l’US Open à New York, et une fois à Miami, là où est installé son siège. Cette année, le tennis mondial sera réuni à Strasbourg et c’est une première en France ! C’est un immense honneur. Ils seront accueillis à l’hôtel Marriott, notre partenaire, et les réunions se dérouleront à l’Hôtel de Région. Nous en serons partie prenante, nous aurons un pied à l’Hôtel de Région et l’autre au Village. C’est vraiment un événement dans l’événement ! Nous accueillerons son président Steve Simon qui a récemment marqué l’actualité sur ses positions sur le droit des femmes. Quand la joueuse chinoise Peng Shuai a accusé un haut dirigeant chinois de viol, ils ont décidé de l’empêcher de jouer. En réaction, la WTA, qui considère que l’on ne peut empêcher personne de travailler, a décidé qu’il n’y aurait plus de tournois en Chine. Cela a été très critiqué, car cela représente 4 à 5 millions de revenus. Mais historiquement, la WTA a toujours défendu les droits des femmes. Accueillir un président d’une fédération internationale à Strasbourg, c’est, je le répète, un immense honneur.
« CETTE ANNÉE, LE TENNIS MONDIAL SERA RÉUNI À STRASBOURG ET C’EST UNE PREMIÈRE EN FRANCE ! »
Les violences faites aux femmes seront d’ailleurs au cœur des sujets des Internationaux de Strasbourg.
D.N. : C’est une décision que nous avons prise avec la Fédération française de tennis. Depuis 14 ans, nous sommes engagés pour la défense de la place de la femme dans la société, à travers la parité, la médiation des sports féminins, l’égalité dans les postes de management… La thématique de cette année est loin de la parité, c’est la FFT qui a donné le LA en s’engageant contre les violences faites aux femmes. Ensemble,
nous organisons la journée du 25 mai sur le sujet, avec des encadrants, des entraîneurs, les parents… Nous allons expliquer de façon très précise que les violences faites aux femmes, ou aux jeunes filles, viennent d’éducateurs ou d’entraîneurs. Il n’y a plus de déni dans le sport. Des gendarmes, des avocats seront présents pour détailler les processus d’alertes, et des victimes viendront témoigner. Isabelle Demongeot, ancienne numéro 2 française, devrait être présente. Son livre, son film, seront présentés dans le cadre de cette journée. Le sujet peut être tellement touchy, tant qu’il n’y a pas de preuves, cela peut être déstabilisant pour les victimes. Nous ne voulons pas faire d’amalgames, nous parlons de 0,5% de cas, mais ils sont déjà trop nombreux. Il est important que les parents, les enfants, sachent qu’il faut rester vigilants. Nous sommes un tournoi professionnel féminin, nous devons porter ce message.
En plus d’être 100% féminin, les IS sont reconnus pour être l’événement sportif le plus écoresponsable au monde.
En 2021, vous avez obtenu le Label Bas carbone pour votre plan de reforestation à Mollkirch afin de compenser vos émissions carbone. Cette année, vous avez décidé de refaire un Bilan carbone. Pour quelles raisons ?
D.N. : Le premier, nous l’avons réalisé en 2010, le second avant le COVID. Nous devons le réactualiser. Si notre candidature est retenue pour passer en WTA 500, cela ne changera rien, la méthode de calcul sera adaptée au nombre de spectateurs. Il faudra refaire l’évaluation s’il y a un changement majeur de process. Par exemple, si nous passons d’un stade éphémère à un stade permanent, on n’aura pas le même impact. Même le nombre de téléspectateurs est pris en compte dans le Bilan carbone.
J.F. : Nous encourageons le public à prendre les transports en commun et à bénéficier ainsi de 3€ de réduction sur la billetterie, ou à covoiturer pour avoir une place de parking gratuite. L’an dernier, on s’est focusé sur le tri des déchets, y compris des biodéchets, jusqu’au court central. Les joueuses
ont été formées avant le début du tournoi. Ce n’est quand même pas banal de mettre une poubelle de tri sur un central ! Cette année, nous travaillons aussi sur la réduction des déchets produits par l’organisation et le public. Nous réfléchissons notamment avec la restauration pour trouver des solutions de services, comme de ne pas servir dans des coupelles en plastique, de proposer de la vaisselle réutilisable, de privilégier les verres consignés, les éco-cup. Toute l’organisation, jusqu’aux joueuses, seront équipées de gourdes, car les bouteilles en PET ont un vrai impact en volume de déchets ! Nous travaillons aussi sur la carte des prestataires pour qu’il n’y ait pas trop de déchets. Nous avons par exemple conseillé à Pur’Coop de privilégier ce qui se mange à la main, dans une feuille de papier… Nous veillons sur toutes ces petites choses.
D.N. : Il est important que l’on soit convaincu et convaincant. Les IS, ce sont 3500 repas entre le déjeuner et les afterworks. On avait exigé de notre traiteur Effervescence qu’ils proposent des produits de saison et régionaux. Ils l’ont fait, et aujourd’hui, ils en parlent avec reconnaissance, car on les a formés à bousculer leur modèle et ils ont gagné en marchés.
J.F. : De même, nous avons fixé comme objectif à notre traiteur et à nos chefs de ne pas dépasser 600 g de CO2 par repas, contre les 2200 g de CO2 traditionnels d’un repas gastronomique. On affiche la trace carbone sur le menu, et je dois dire que les discussions tournent beaucoup autour de ce sujet ! Pour y parvenir, le choix se fait sur les produits, nous ne servons quasiment plus de viande rouge par exemple… Que ce soit Marc Haeberlin, Joël Philips ou François Baur, ils jouent le jeu. C’est d’ailleurs toujours un grand honneur d’avoir ces grands chefs qui signent nos menus. Bien sûr, il est impossible pour eux d’envoyer 500 repas en même temps, mais ils sont présents pour s’assurer de l’assemblage, ils sont là comme chefs d’orchestre. C’est tout à leur honneur de faire la démonstration de la gastronomie de notre région, de parler de notre territoire.
Certains regrettent que le côté convivial et VIP du tournoi prenne le pas sur l’évé- nement sportif de niveau international…
J.F. : C’est en effet devenu un lieu de rendez-vous très couru, de rencontres entre entreprises. Or on ne vient pas aux IS que pour manger et boire ! Nous avons décidé de mieux structurer et organiser l’événement, notamment lors des afterworks. Le dernier match se joue à 17h30, c’est l’un des plus beaux moments avec le soleil rasant sur l’ocre du terrain. C’est la plus belle lumière de la journée. On a décidé de ne servir le buffet et l’alcool qu’à partir de 18h30 pour permettre de voir les meilleures joueuses mondiales s’affronter ! De même, on ne peut remplir les loges pendant huit heures. Nous avons donc décidé de remonter les loges et de les concentrer dans la tribune Ouest, avec un service VIP bien sûr. Les premières rangées seront désormais réservées au grand public qui pourra s’offrir des places exceptionnelles.
Vous avez également décidé d’offrir chill et bonne humeur dans la Fan Zone.
C.S. : Nous concentrons nos efforts dans l’espace grand public en créant un espace couvert pour que les gens puissent se mettre à l’abri en cas de pluie ou de chaleur. Nous avons prévu une rétrospective des Internationaux de Strasbourg avec une expo photos retraçant les grandes heures du tournoi qui a vu des joueuses comme Mary Pierce, Sharapova ou Steffi Graff.
J.F. : La Fan Zone c’est un espace de détente autour du tennis, où l’on peut venir en famille, jouer, manger, prendre un verre, profiter d’un écran géant. Avec les DNA, on va proposer un bel espace designé par la fille de Denis dans un esprit nature. On proposera toute une animation autour de la réalité virtuelle. L’idée, c’est aussi de proposer un petit service de restauration après le dernier match pour que les familles puissent aussi manger un morceau, prendre un verre, chiller, avant de rentrer. C’est un superbe endroit, mais il faut le connaître ! Dans le même esprit, la FFT a organisé pour la première fois une journée Urban tennis le 6 mai, place Kléber. L’idée, c’est de mettre le tennis au cœur de la ville, de permettre de toucher, de jouer, et pourquoi pas rejoindre un club ? Contrairement aux idées reçues, le tennis n’est pas une discipline chère, elle porte de belles valeurs, beaucoup de bénévoles s’investissent dans les clubs.
Allez-vous partager la vie du tournoi sur les réseaux pour ceux qui ne pourront s’y rendre ?
C.S. : On avait déjà commencé l’an dernier, mais nous allons plus loin cette année en installant un plateau au cœur du Village VIP pour permettre de vivre les coulisses du tournoi. Sébastien Ruffet sera l’animateur principal et donnera rendez-vous chaque jour à midi pour recevoir des invités qui raconteront les coulisses des IS, l’écosystème de la manifestation. Ce sont des moments de partage avec ceux qui font vivre le tournoi.
Qu’attendez-vous du plateau cette année ?
D.N. : Dans le tennis, le public aime les rivalités. À mon époque, on avait McEnroe, Sampras, Lendl, puis Djoko, Nadal, Federer. C’est plus attractif que les femmes, mais personne ne sait qui est le 5e joueur mondial ! Les sœurs Williams et Sharapova ont créé de grands duels, et offert un intérêt au tennis féminin. Et puis il y a eu l’émergence des joueuses russes et tchèques qui s’appellent toutes « quelque chose …ova ». Cela a créé de la confusion avec Sharapova qui a rendu le tennis féminin plus people. Quand elle a arrêté, le grand public ne savait plus qui était leader. Il y a toujours des cycles, et celui-ci je le trouve très intéressant car on n’a plus les mêmes joueuses en finale, le niveau des 150 premières est extrêmement fort, il y a peu de différences entre elles. Pour un spécialiste comme moi, c’est plus intéressant. Serena Williams contre la 8e mondiale, il n’y avait pas de match. Aujourd’hui, il y a un vrai combat, et c’est très intéressant.