Ordinateur quantique : développement en cours, veuillez patienter…

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Olivier Ezratty, ingénieur développeur en logiciel, désormais indépendant, est connu des milieux scientifiques comme le « couteau suisse de la vulgarisation des nouvelles technologies ». En décembre dernier, IBM a annoncé en fanfare son record de bits : 127. L’ordinateur quantique fait rêver. Il est aussi de ces technologies qui évoluent au gré des marées : avancée, stagnation, avancée… Une onde monotone qui prête à l’oubli. Il fait son retour sur le devant de la scène…

Engageant, l’oeil taquin de l’éternel curieux, il a pour habitude de courir les conférences en France comme à l’étranger. Référence dans le milieu, les passionnés de nouvelles technologies se repèrent sur les terrasses de café à l’évocation de son nom. Olivier Ezratty, expert de la vulgarisation des sciences et technologies quantiques, s’est intéressé à ce domaine il y a quatre ans. Depuis, il maintient une veille et transmet sa passion à qui le souhaite. La quantique, pour le commun des mortels, ce sont quelques vagues notions en introduction simplifiée au cours d’un TD de physique au Lycée. Le (pauvre) chat de Schrödinger. Un livre au pluriel d’Ortoli et Pharabod (Le Cantique des Quantiques). C’est un champ des possibles.

La Quantique, cette lettre « Q » placée à tout va dans les projets à la mode, qu’est-ce que c’est ?

C’est de la magie. Tu ne sais pas comment ça marche. Quand j’ai commencé à travailler dessus je me suis dit : « Qu’est ce que c’est que ce truc que personne ne comprend, et que moi je ne comprends pas, comment ça marche, et à quoi ça sert ? ». La physique quantique à l’origine, c’est la physique des particules élémentaires. C’est-à-dire la physique des atomes, des électrons, des photons, qui sont les petits éléments de matière qui gouvernent notre vie. Elle explique pourquoi la matière est solide. La physique quantique est utilisée depuis très longtemps dans les produits de tous les jours qu’on utilise. Il faut savoir que tous les outils numériques qu’on a maintenant sous la main, notre visioconférence, notre smartphone, les ordinateurs dans le cloud, c’est de la physique quantique en fait. Pourquoi ? Parce que les transistors, qui sont à l’origine de tous ces produits- là, s’appuient dessus. Ils utilisent les interactions entre la lumière et la matière, ils utilisent la manière dont les électrons tournent autour des atomes. La quantique, c’est l’échange d’énergie entre atomes et lumière. Viennent ensuite des notions plus poussées qui ne sont pas utilisées à l’heure actuelle dans le numérique.

Olivier Ezratty

Ce sont ces notions de physique, abstraites et un peu contre-intuitives qui amènent à cette innovation qu’est l’ordinateur quantique, n’est-ce pas ? Là où un ordinateur actuel code 0 ou 1 sur un bit (une unité d’information), un quantique peut coder simultanément 0 et 1.

C’est exactement ce qu’est la superposition. Et l’intrication, c’est la capacité de particules quantiques d’avoir des états corrélés. Supposons qu’on prenne un photon, par exemple. C’est un grain de lumière. Si on coupe ce photon en deux, et qu’on envoie un bout à droite et un bout à gauche, et qu’on mesure l’état d’un des photons, il sera le même que celui du photon parti de l’autre côté. C’est en cela qu’on a une corrélation. Mais elle est aléatoire. Et c’est ce qu’on n’explique pas, et qui est abstrait dans l’esprit des gens. Les recherches en sciences et technologies quantiques travaillent là-dessus pour former des prototypes d’ordinateurs quantiques.

Pour le moment, et malgré la guerre des records menée entre les GAFA, il y a plus de fantasme que d’ordinateur quantique exploitable, pourquoi ?

L’ordinateur quantique existe, et ceux d’IBM sont testables dans le cloud, mais il est limité. Notamment par l’unité de traitement de calcul qu’on appelle le qubit, qui est l’objet quantique de base qu’on manipule à la place du bit classique. Il en faut plus d’une cinquantaine pour avoir des résultats, et on travaille dans un univers analogique fait de 0 et de 1 exclusivement. Comme sur les anciennes cassettes audio, il y a donc un bruit de fond, parasite, qui représente sur le quantique 1 % du signal. C’est énorme et ça entraîne des erreurs de calcul, qu’on tente de corriger, mais qui ajoutent donc des qubits… et du bruit. Il y a redondance avec ce système.

Ce qui entraîne donc une perte. À Strasbourg, la méthode en cours de développement est-elle différente de celle utilisée par Google ou IBM ?

Il y a une très grande diversité de technologies qui sont testées en parallèle par les créateurs de ces systèmes. Il y a un enjeu technologique et scientifique énorme pour arriver à contourner ce bruit pour faire en sorte qu’on puisse monter en puissance et réaliser la promesse d’augmenter la puissance de calcul. Pour l’instant on n’y est pas encore. Strasbourg présente en effet un autre développement de prototype. L’Unistra s’est dotée, en association avec l’Europe, d’un nouveau laboratoire avec le duo de chercheurs Shannon Whitlock et Guido Pupillo. Et ils sont dans la course…

aQCess 

Strasbourg a son laboratoire quantique européen Dirigé par le Professeur Guido Pupillo, le CESQ (Centre Européen de Sciences Quantiques) a rejoint ses locaux flambants neufs à Cronenbourg. Avec son acolyte, le Professeur Shannon Whitlock, ils travaillent sur une plateforme destinée à la quantique. À la suite de la stratégie nationale sur les sciences et technologies quantiques lancée en janvier 2021 (PEPR), les deux physiciens ont porté auprès de l’Agence Nationale de Recherche (ANR) un projet interdisciplinaire de grande envergure. Soutenus par le Région, l’Eurométropole et des fonds privés, ils se sont associés à la Karlsruhe Institute für Technology (KIT), Bale et Freiburg. aQCess est la première plateforme informatique quantique publique. En effet, chercheurs, étudiants, entreprises y auront accès pour effectuer des calculs de systèmes quantiques, ou résoudre des problèmes. Le prototype sur lequel travaillent les Professeurs et leur équipe est différent de celui d’IBM. Il se base sur les neutrons. Pourquoi ? « Pour la stabilité de l’atome, et la facilité d’isolation de cet élément par rapport à son environnement ». Impliqués dans la formation des générations futures dans la quantique, ils insistent sur l’aspect « long terme » de leur domaine de recherche. Et sur la capacité de Strasbourg et son expertise. Néanmoins, « les entreprises annoncent l’arrivée de cette technologie. Alors, oui, quelque chose va sortir, c’est vrai dans un sens : ça va venir. Mais c’est toujours en développement ! ». Leur souhait pour leur projet ? « Réussir ! ».

Guido Pupillo (à gauche)et Shannon Whitlock