Où va l’Alsace ? Où va Strasbourg ? I Libre Opinion

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Chaque trimestre, vous retrouverez désormais une rubrique reflétant la vie publique de notre ville et de notre région. Ni partisane, ni flagorneuse, cette rubrique se veut le reflet de l’actualité politique et citoyenne.

 

1er janvier 2021 : les Départements du Haut Rhin et du Bas-Rhin n’existent plus. Ils sont remplacés par l’Alsace, ou plus exactement, la Collectivité Européenne d’Alsace (la CEA).  Qu’est-ce que cette nouvelle collectivité ? Remplacera-t-elle l’ancienne « Région Alsace » ? Est-ce l’occasion de rattraper le rendez-vous manqué du référendum de 2013 initié par Philippe Richert, qui proposait aux Alsaciens la fusion des deux Départements et de la Région ?

A l’époque, tout le monde pensait que c’était un bon projet. Mais quelques-uns parmi les élus du Haut-Rhin notamment, y ont sans doute vu une menace pour leurs prérogatives, et leurs petites ambitions ont anéanti une opportunité historique. Quelle ironie de voir ensuite les politiques alsaciens pleurer sur l’absorption de l’Alsace dans le Grand Est !

La fusion de deux départements, et quelques compétences supplémentaires 

L’Alsace ne revient pas par la grande porte… les compétences de la Région resteront au Grand Est. Mais la CEA disposera de compétences particulières qui ne sont pas qu’anecdotiques. Outre les compétences des Départements, la nouvelle collectivité pourra prendre des initiatives dans le domaine du bilinguisme et de la promotion de la langue régionale ; elle pourra ainsi créer des postes d’intervenants bilingues destinés aux établissements scolaires. 

La CEA est également « chef de file » des collectivités territoriales dans le domaine des relations transfrontalières. Il lui appartiendra de coordonner l’action des collectivités (on peut imaginer quelques résistances du côté de Strasbourg et de la grande Région), et d’élaborer un schéma de coopération transfrontalière qui vaudra pour toute l’Alsace. La CEA aurait aimé récupérer la compétence économique, ce qui eût été cohérent à l’observation des territoires, tant il est vrai que l’Alsace a des spécificités très éloignées de celles de la Lorraine et de Champagne Ardennes ; mais le Parlement et le Gouvernement ont préféré ne pas toucher aux compétences de la Région, ne laissant à la CEA que le domaine du tourisme. Cela étant, la très puissante ADIRA (Agence de Développement de l’Alsace), présidée par Frédéric Bierry, fait déjà un large travail de promotion économique et d’accompagnement des entreprises… et ce domaine restera amplement couvert, de facto, par la nouvelle collectivité. 

Enfin, l’Etat transférera la totalité du réseau des routes nationales non concédées (cela exclut donc les autoroutes payantes, dont l’A4 et le GCO, et l’A35 sera gérée par la CEA sur toute sa longueur, sauf pour la traversée de l’agglomération strasbourgeoise, l’Eurométrolope étant amenée à gérer ce tronçon). 

Tout cela est le fruit d’un équilibre savant et de compromis entre collectivités, qui n’ajoute pas vraiment à la clarté des rôles de chacun, ni à la simplification dans la gestion des grands projets alsaciens. Si cette question des compétences a été tranchée…  il n’en est pas de même de bien d’autres sujets. 

Jusqu’à quand éviter les questions qui fâchent ?

Les conditions de création de la nouvelle collectivité restent floues au moment où nous écrivons ce texte, au tout début décembre. Qui sera le Président ? Où sera le siège de la CEA ? Officiellement, le traitement de ces questions est reporté au lendemain des élections départementales.

Certes, il appartiendra à la future assemblée de désigner le lieu du siège, et d’élire le nouveau Président. Le poids économique et financier, comme l’importance démographique, donnent naturellement un avantage à Strasbourg et au Bas-Rhin. Mais force est de constater qu’aucun accord a priori n’a pu aboutir, et que l’Alsace avance ainsi de façon divisée… Mais toute son histoire est ainsi, au moins depuis la création de la décapole en 1354.

Mais comment envisager de ne pas profiter de la force de Strasbourg, capitale européenne et capitale du Grand Est ? Le pire serait un accord à courte vue et très politique, sur le mode : « on élit un président Bas-Rhinois, et on choisit Colmar comme ville siège »… Quelques oreilles habituées aux couloirs des Départements ont entendu parler de ce scénario…

Qu’en pense d’ailleurs la nouvelle équipe municipale de Strasbourg ?  La Maire ne s’est pas exprimée publiquement sur le sujet. Comme sur beaucoup d’autres…

Où va donc Strasbourg ?

S’il y a bien une question à laquelle les Strasbourgeois ne savent pas répondre aujourd’hui, c’est bien celle-ci : où va notre ville ? Quel est le grand projet des nouveaux élus, et quel est leur dessein pour la ville ? 

On peut dire que la nouvelle équipe a bien du mal à s’installer et à prendre les rênes du destin de Strasbourg. Au terme d’une élection surprise qui n’a mobilisé qu’un tiers des électeurs, les premières déclarations de l’équipe issue de l’ancienne majorité laissaient penser qu’il y aurait rupture, nouvelles priorités, et nouvelle gouvernance… 

De l’incantation à la réalité… six mois sont passés sans que l’on sache vraiment quels sont les grands objectifs poursuivis concrètement. Au contraire, la suppression du conseil municipal d’octobre, l’annonce du report du vote du budget, sont autant de « jamais vus » dans l’histoire de la mairie. En effet, la majorité n’était pas prête à gouverner.

Revenons sur les faits qui ont ponctué le début de ce mandat. Il y a d’abord eu l’élection de Pia Imbs à la présidence de la métropole. Une élection quelque peu surprise par rapport à la tonalité de la majorité verte de Strasbourg, puisque Pia Imbs avait fait des offres de service à tous les candidats strasbourgeois, et qu’elle est connue comme maire pour ses positions plutôt droitières et conservatrices. 

En réalité, Danièle Dambach avait la possibilité mathématique de prendre la présidence de la métropole avec l’appui des Verts de Strasbourg ; mais ceux-ci ont pensé que la maire de Schiltigheim, confortablement élue dès le premier tour des municipales, deviendrait vite la personnalité référente des Verts sur l’ensemble du territoire si elle était aussi présidente de l’EMS. Ce qui s’apparentait à un crime de lèse-majesté à l’encontre de Jeanne Barseghian, qui lui a donc préféré la maire d’une commune de 3 500 habitants pour diriger l’agglomération de 500 000 habitants… et ce, même si celle-ci est marquée à droite. 

Jeanne Barseghian © Nicolas Roses

A défaut de projets, l’organisation tisse (lentement) sa toile. Le directeur de cabinet est remplacé près de six mois après le départ du précédent, et une nouvelle directrice générale a pris ses fonctions en même temps, le 1er décembre. Autre surprise : cette nouvelle DG, par ailleurs réputée compétente, ex-DG du Département du Bas Rhin, proche de Pia Imps, est, elle aussi, marquée à droite. Militante RPR à l’université, elle a poursuivi sa carrière dans l’univers des collectivités de droite. Que ceux qui craignaient l’arrivée de l’extrême gauche à Strasbourg soient rassurés ! Et que ceux qui espéraient que les Verts allaient construire une alternative plus à gauche encore que l’ancienne majorité conduite par Roland Ries s’interrogent…  

C’est d’ailleurs le cas de nombreuses associations qui œuvrent dans le domaine social, et interrogent la municipalité avec inquiétude : elles ne voient rien venir de nouveau, et ce vide est souligné par la communication tonitruante et la mise en scène d’une décision de grande envergure : la création de 104 nouvelles places pour les sans abris… Juste un an après que Roland Ries ait créé, plus discrètement il est vrai, 100 places nouvelles… 

Pia Imbs © Nicolas Roses

Et en matière d’environnement ?

C’est le grand silence. Au-delà des incantations, les premières décisions prises vont à contre-sens des engagements. Ainsi, les Verts ont décidé le report de la mise en place de la ZFE, la Zone à Faible Emission. Plus clairement, ils ont repoussé l’échéance interdisant aux véhicules les plus polluants (disposant d’une vignette de type Crit’air 5) de circuler dans Strasbourg. Comme beaucoup de grandes villes, dont Paris, l’ancien conseil municipal avait délibéré pour que cette mesure soit appliquée dès le mois de janvier 2021. Cela concerne 5 600 voitures sur un total de 280 000 voitures sur le territoire de l’agglomération… Pas une révolution donc … Mais la marque d’une hésitation et d’un manque de détermination, que l’on sent dans de nombreux dossiers. 

Autre exemple : celui du logement. Roland Ries était engagé dans une politique explicite ; celle qui privilégiait la densification de la Ville, pour éviter son extension dans les campagnes et les terres agricoles alentour. Cette politique était d’ailleurs parfaitement soutenue par Alain Jund, alors adjoint à l’urbanisme (l’homme qui signe les permis de construire), Syamak Agha Babei, alors vice-président de l’EMS en charge du logement, et Philippe Bies, alors président de CUS Habitat et d’Habitation Moderne, si proche des Verts qu’il en a été récompensé par la création d’un poste spécifique au sein de la SERS. Aujourd’hui, quel est le projet ? Personne ne s’est exprimé autrement que par des propos galvaudés et insignifiants sur cette dimension pourtant capitale pour l’avenir du territoire. Il est vrai qu’il y a un paradoxe ; comment concilier l’impératif de construction, ne serait-ce que pour répondre aux immenses attentes en matière de logement social, et la volonté de malthusianisme, voire de décroissance, que l’on sent poindre dans certaines expressions d’adjoints ? Nous devrons encore attendre avec patience la détermination d’une politique claire dans ce domaine. 

Nous pourrions épiloguer sur la dimension internationale de Strasbourg (l’épisode du refus du statut de capitale européenne de la démocratie interrogera encore longtemps les chercheurs de Sciences Po : comment peut-on commettre une telle faute, même en tout début de mandat ?), sur le projet de développement économique (les contradictions sur le projet d’implantation de HuaweÏ : Jeanne Barseghian dit non, Pia Imbs dit…  « on verra » …). 

Force est de constater qu’à ce jour, les Strasbourgeois n’ont aucune visibilité sur ce que va devenir leur ville, sur le chemin que la nouvelle équipe municipale leur propose d’emprunter concrètement… 

Alors certes, il y a la pandémie de COVID, la jeunesse et l’inexpérience… Mais 160 jours après l’élection, à Lyon comme à Bordeaux, les deux autres grandes villes nouvellement dirigées par les Verts, les habitants savent où leur équipe municipale veut les emmener. 

Certains y adhèrent, d’autres non. Mais au moins, ils savent…