Papilles – Partitions pour jeune sommelier

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– article paru dans Or Norme N°42, Cultures

Jeune sommelier, bonjour. Tu as choisi le métier à la grappe dorée, intimement lié à l’expérience gourmande et aux tendances alimentaires. Partie intégrante de la culture française, aussi. Si le rythme de la restauration t’anime, tu valses dans un cadre qui peut être luxueux ou décontracté. Dans tous les cas, tu utilises tes connaissances afin de faire chanter les papilles du consommateur en quête de bien boire.

Depuis quelques années, je ne joue plus au restaurant comme toi. Mais j’accroche toujours des sourires avec le vin. Plus jeune, j’ai pris le large vers d’autres pays producteurs. Entre l’Europe et l’hémisphère Sud, j’avais soif de voir ailleurs. J’ai rapidement compris que les connaissances acquises en classe sont les prémices d’un long cheminement. Dans ce métier, l’apprentissage par l’exemple – du moins la dégustation – prend tout son sens. À défaut de pouvoir dissimuler un verre entre ces pages, j’y pose quelques observations liées à des tranches de vie. Libre à toi de les grappiller.

Attention à ne pas t’y perdre !

La restauration, c’est le joyeux des rencontres, le brouhaha des assiettes, et le bonheur des accords. C’est exigeant, et drôlement stimulant. Bouteille à la main, le sommelier pirouette dans l’adrénaline d’une salle bondée. Discerner les attentes d’un client, ça se travaille. Je te rassure, la pratique permet de s’ancrer un peu plus fort dans ses baskets. Certains appellent cela la sagesse liée à l’âge. J’appelle cela aptitudes.

Certains soirs, tu croiseras des clients fébriles d’être attablés. C’est que tes conseils marqueront des moments de vie importants. S’y accrocheront idéalement un oui, et quelques tintements de verre. Prolongement de l’intimité des clients, garde ces moments précieux dans ta poche. Ils contribuent au beau de la profession.

Tu rencontreras inévitablement des buveurs d’étiquettes. Ces derniers accueillent les recommandations avec désinvolture. Ils cherchent le prestige, un réconfort par rapport à leur choix – qu’on se le dise, peu de chances de se tromper, avec un Haut Brion – et méprisent généralement le reste. Pour ces victimes du marketing, assure-toi d’avoir certaines pépites largement sur cotées en cave.

Il y a aussi les petites habitudes. Certains clients, notamment, sont des inconditionnels du glaçon. Ils en commandent jusque dans tes précieux Champagne Jacquesson. Rappelle-toi qu’en matière de goût, chacun a sa petite affaire, et ce, même s’il s’agit d’une fausse note.

Le vigneron fait du vin avec son cœur et ses tripes. N’arrête jamais de t’y intéresser. La curiosité élèvera la précision de tes propos, et le nombre d’étoiles dans tes yeux. Les professionnels qui marquent le milieu sont les plus assoiffés – au sens figuré, bien sûr – et les plus humbles. À ce sujet, quelques dégustations à l’aveugle permettent de réaligner ses pistes. Fais le test ; les plus fiers ne voudront pas jouer. Ils préfèreront étaler leur confiture à tout vent.

Tu constateras que connaissances et pouvoir sont étroitement liés. Attention à ne pas t’y perdre. Les sommeliers les plus appréciés sont ceux qui font du bruit avec leur personnalité, leurs émotions, et leur brin de fantaisie. Dans cet esprit, sache que les meilleurs arrangements ne sont pas fatalement classiques. L’accord d’un Champagne Extra Brut et d’un paquet de chips nature, par exemple, peut rencontrer le nirvana gustatif.

© Caroline Paulus – L’insigne du sommelier, représentant une grappe de raisin

Ce goût de revenez-y …

Au fil des épaulés jetés, tu construiras une bibliothèque de pépites personnelles. À coup sûr, tu auras envie d’en coller plein la carte des vins. La frénésie de tes achats se limitera néanmoins au portefeuille de ta hiérarchie. Bien qu’il soit guidé par la passion – enfin, je te le souhaite – le métier représente un important rôle de gestionnaire. Entre enthousiasme et budget, réalise une carte des vins qui met en appétit ton envie de les partager. Dans le même esprit, vendre mieux, ce n’est pas qu’une question de marge.

Le monde du vin est en constante mutation, et la profession l’est tout autant. Si ta niaque s’effrite, bouge ! Malgré toute la beauté que peut contenir un jus de raisin fermenté, un sommelier aigri n’encourage pas les tchin-tchin. Au début de mon parcours, j’ai saisi l’opportunité d’user mon tire-bouchon dans un restaurant chic, et aux idées festives. La confiance des clients m’a permis d’oser un éventail de références. Ce goût de revenez-y, il s’acquiert à la mesure des émotions que tu passes dans le verre. Telles une chanson, certaines notes font vibrer les sentiments.

Sous des airs de mélophile, observe.
Ecoute.
Trouve le rythme.
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