Penseurs de la crise : quand la philosophie nous accompagne en temps d’incertitude

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Ce qui est en cause dans le progrès, c’est une accélération sans décélération, c’est-à-dire une hubris, une démesure.” – Paul Virilio –

Alors que dirigeants et leaders d’opinions nous demandent de nous préparer à vivre dans un monde différent, il est peut-être nécessaire de revenir aux textes clés de cette modernité changeante. Petit tour d’horizon de penseurs qui n’avaient pas attendu une crise pour interroger notre société et nous livrer les clés de ses faiblesses, mais aussi de son potentiel. Quand la philosophie se fait conseillère et nous accompagne en ces temps d’incertitudes.

Ulrich Beck, La société du risque

Sociologue allemand, Ulrich Beck (1944-2015), propose une réflexion sur la notion de risque dans laquelle il voit un phénomène social total. Industrialisation, technologie, écologie et mondialisation ont, selon lui, reconfiguré la société en redistribuant le facteur risque. D’après le sociologue, les acteurs censés garantir notre sécurité (gouvernements, dirigeants) ne sont plus en mesure de le faire désormais, allant même jusqu’à mettre en place des solutions parfois aussi dangereuses que le problème.

La politique se spécialise dans la légitimation des conséquences qu’elle n’a ni causées ni vraiment pu empêcher.

Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes

Réputé pour ses travaux en sociologie des sciences, le sociologue, anthropologue et philosophe français né en 1947, interroge la modernité elle-même, la reliant à l’idée de progrès. Latour met en avant la perméabilité des mondes techniques, politiques, culturels et économiques. Créateur d’objets hybrides, cet assemblage bouscule nos représentations fondées à la base sur le partage nature/culture. Embourbés dans une contemporanéité protéiforme, nous ne sommes plus capables de penser les objets et concepts qui nous entourent, en d’autres termes : nous n’avons jamais été modernes.

Nous n’avons jamais été plongés dans un flux homogène et planétaire venu soit de l’avenir, soit du fond des âges. La modernisation n’a jamais eu lieu. “

Hans Jonas, Le Principe responsabilité

Hans Jonas (1903-1993), historien et philosophe allemand, est particulièrement connu pour ses travaux portant sur l’éthique à l’âge technologique et notamment sur les questions inhérentes aux problèmes environnementaux et à la génétique. Jonas en vient à la conclusion que l’Homme a atteint un stade où il est capable de s’autodétruire. Pour éviter une catastrophe sans pareille il faut, selon lui, interdire toute technologie comportant un risque pour l’humanité. Si l’utilisation d’une technologie induit plusieurs conséquences, il faut donc décider de son emploi en fonction de l’hypothèse la plus pessimiste, c’est “le Principe responsabilité”.

Le Prométhée définitivement déchaîné (…) réclame une éthique qui, par des entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l’homme de devenir une malédiction pour lui.”

Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe

Edgar Morin (né en 1921, bientôt centenaire !) analyse notre époque avec pertinence depuis plus de 70 ans, il n’est donc pas surprenant de le voir prendre la parole dans divers médias en cette période de crise. Dans sa bibliographie fournie, on peut souligner son ouvrage consacré à la pensée complexe. Fille de notre modernité, la complexité est ici abordée comme un défi à surmonter pour se saisir des enjeux du réel. S’inspirant de la cybernétique et de la théorie des systèmes, Morin nous livre des clés pour penser autrement.

Le phénomène de désorganisation (entropie) poursuit son cours dans le vivant, plus rapidement encore que dans la machine artificielle ; mais, de façon inséparable, il y a le phénomène de réorganisation (néguentropie). (…) L’entropie, dans un sens, contribue à l’organisation qu’elle tend à ruiner.”

Edgar Morin

Fredric Jameson, Le postmodernisme ou la logique du capitalisme tardif

Il est aujourd’hui plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme.” C’est au critique littéraire américain, Fredric Jameson, né en 1934, que l’on doit cette citation alarmante que l’on retrouve un peu partout ces derniers temps dans la presse. Fin analyste de la condition postmoderne, Jameson étudie, à partir de productions culturelles (littérature, peinture, architecture, cinéma…) le passage de l’aire de la modernité à celle du capitalisme qu’il traduit par une spatialisation de la culture.

La disparition du sujet individuel et sa conséquence formelle, l’indisponibilité croissante du style personnel, engendrent la pratique aujourd’hui quasi universelle de ce que l’on appelle le pastiche.

La crise est un événement et non une fatalité, à nous de puiser dans la culture les outils conceptuels pour aborder sereinement le changement et dessiner les contours d’un avenir meilleur, celui d’un âge de raison.

Il faut essayer de reconnaître à l’éclatement ou à la dislocation une valeur qui ne soit pas de négation.” – Maurice Blanchot –