Pénurie de médicaments, peut-on pallier le problème au local ?
La pénurie de médicaments est devenue une préoccupation majeure en France, affectant à la fois les patients et les professionnels de la santé. Les signalements de ruptures de stock explosent. Ce problème pousse le gouvernement à élaborer un plan d’action, afin de juguler ces pénuries. Avant que les effets ne se fassent sentir, peut-on pallier localement ces manques ? Tour du sujet.
Une des principales causes de la pénurie de médicaments en France est la forte dépendance aux importations, notamment en provenance d’Asie. Environ 60 à 80 % des principes actifs des médicaments sont fabriqués en Inde et en Chine. Cette concentration de la production expose la chaîne d’approvisionnement à des risques élevés de perturbations, comme l’a montré la pandémie de Covid- 19. Le retard accumulé par la France dans le domaine industriel est également un facteur clé.
L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pointe également des origines multifactorielles aux pénuries. Comme l’explique Céline Kauv, directrice des affaires pharmaceutiques du LEEM, l’organisation professionnelle qui représente les entreprises du médicament : « Les causes des pénuries sont multiples : augmentation du volume de vente, pics épidémiques, problèmes d’approvisionnement, notamment en verre pendant la guerre en Ukraine, problèmes de qualité (bien que représentant moins de 5 %), ainsi que des problèmes réglementaires et de transport ». Céline Kauv ajoute : « Il y a deux ans nous avons rencontré des problèmes de capacité de production. L’an dernier, le problème s’est déplacé, c’était une répartition inégale sur le territoire qui a perturbé la chaîne de distribution. Le ministère a alors réuni les acteurs pour signer une charte pour un accès équitable des patients aux médicaments, mais cela a seulement déplacé le problème. Depuis 2021, il y a une réglementation obligeant à déclarer les ruptures de stock. Les tensions peuvent également être causées par des décalages de livraison et des problèmes de production, qui peuvent être longs selon la méthode de fabrication du médicament ».
PROFESSIONNELS DE SANTÉ ET PATIENTS SUR LE FIL
Les conséquences des pénuries de médicaments laissent patients et professionnels de santé sur le carreau. En 2023, des médicaments essentiels comme l’amoxicilline sous forme pédiatrique, des antidiabétiques comme l’Ozempic ou le Trulicity, et même le paracétamol ont été en rupture de stock. Cette situation génère du stress, des retards dans les traitements et, parfois, une détérioration de l’état de santé des patients.
Pour les pharmaciens, les pénuries signifient des dizaines d’heures perdues chaque semaine à essayer de se procurer les médicaments nécessaires. Ils doivent également contacter les médecins pour trouver des alternatives de traitement et gérer l’anxiété des patients. Cette surcharge de travail peut aussi affecter la qualité des soins dispensés. Une gérante d’officine à Strasbourg confie : « Forcément, les choses se tendent avec les patients. Avant, nous avions des préparateurs en pharmacie, nous pouvions ponctuellement pallier certaines quantités de médicaments “simples” comme le paracétamol. Aujourd’hui, avec le rythme de travail, les gestes en plus que nous devons effectuer (vaccinations, test PCR etc.) et la gestion alourdie des stocks ce n’est plus possible ou alors extrêmement ponctuellement ».
Pendant la crise sanitaire due à la COVID-19, quelques pharmacies alsaciennes possédant leurs propres laboratoires, avaient pu sauver la mise aux parents en détresse face aux fièvres infantiles en fabriquant du paracétamol liquide adapté. « Mais il faut compter le temps de production ! et le problème que nous avons avec ces pénuries c’est qu’il ne s’agit pas seulement de médicaments fabricables dans des laboratoires locaux. » Historiquement, à Strasbourg, le Laboratoire de la Pharmacie de l’Homme de Fer était connu pour sa production de paracétamol. Durant la dernière crise sanitaire, Alain Boetsch, pharmacien à Strasbourg et président du syndicat des pharmaciens du Bas-Rhin déclarait à nos confrères de France 3 (en 2022) : « C’est extrêmement compliqué depuis plus de deux mois parce que nous manquons aussi bien de paracétamol que d’antibiotiques pour les petits. Selon le poids de l’enfant, on arrive à trouver des solutions en diluant et en expliquant aux parents. Mais toutes les formes manquent, le suppositoire, le sachet, tous les dosages enfants. C’est pire pour les antibiotiques, il ne nous reste qu’une ou deux familles ou nous avons encore du stock mais pour les essentiels, l’amoxicilline ou l’Augmentin, on n’a plus rien ». Deux autres établissements locaux avaient pu produire et fournir la précieuse molécule durant cette période. Les pénuries créent aussi des disparités régionales. Par exemple, il est souvent plus difficile de se procurer des antigrippaux à Marseille qu’en région parisienne ou en Alsace en raison de circuits d’approvisionnement différents.
SOLUTIONS D’OFFICINES…
« Au niveau du patient, outre-Rhin, il y a parfois des possibilités de se fournir », renseigne une pharmacienne de Kehl. Attention toutefois au coût ! Il faut avancer les frais et transmettre une demande de remboursement à votre caisse de sécurité sociale. La plupart des pharmacies strasbourgeoises communiquent entre elles leurs stocks. Au centre-ville, il n’y a d’ailleurs qu’une exception au tableau. Aussi, il vous sera possible d’avoir des indications de votre pharmacien pour compléter votre ordonnance.
« Le gouvernement nous encourage à nous tourner vers une délivrance à l’unité. Seul problème : les conditionnements eux, ne changent pas. Ce qui veut dire qu’en plus de notre travail actuel, nous devrions ajouter des heures de déconditionnement des boites… », soupire une autre gérante d’officine bas-rhinoise.
D’ailleurs, les pharmaciens en ont assez. Rare et notable, une grève des officines a eu lieu le 30 mai 2024. Pierre Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), a déclaré : « Selon une étude que nous avons commandée, les pharmaciens passent à présent en moyenne douze heures par semaine à s’occuper des pénuries, entre les recherches de boîtes, les appels aux laboratoires, aux grossistes, aux confrères… Un tiers-temps de gâché ». L’intersyndicale des pharmaciens, incluant des étudiants en pharmacie, a organisé une journée de mobilisation nationale pour dénoncer la dégradation des conditions économiques des officines, exacerbée par les pénuries de médicaments. « La profession veut mettre la pression sur le gouvernement, alors que doivent prochainement s’ouvrir des négociations sur les conditions d’exercice et de rémunération du réseau », explique un étudiant en pharmacie strasbourgeois.
Le gouvernement, justement, comme les syndicats de professionnels de santé rappellent également que la consommation excessive et sans ordonnance de médicaments (automédication) participe au problème actuel. Et ce, en plus d’être délétère pour la santé des patients.
… EN ATTENDANT UNE RÉPONSE NATIONALE
Pour répondre à cette crise, le gouvernement français a présenté en février 2024 une feuille de route pour 2024-2027. Ce plan vise à accroître la production nationale de médicaments, notamment en relocalisant la fabrication de 450 « médicaments essentiels ». Des nouvelles lignes de fabrication devraient être annoncées dans les prochains mois. Le ministre de l’Industrie, Roland Lescure, a souligné l’importance de relocaliser la production et d’éviter les départs d’industriels. D’ailleurs deux usines de production vont voir le jour en 2025 : une à Toulouse et une à Lyon. En effet, Ipsophène souhaite désormais produire du paracétamol « 100 % français », à Toulouse. Jean Boher, PDG de l’entreprise, a affirmé à nos confrères de La Dépêche qu’il « n’y avait aucun retard par rapport au calendrier initial ». Rendez-vous donc au second semestre 2025, où les premières molécules de paracétamol devraient sortir de l’usine. Pour les commercialiser, il faudra toutefois attendre la validation du certificat européen de pharmacopée (CEP) qui dépend de la montée en charge de la production. Dans le Rhône, pour répondre aux besoins, Benta Lyon a obtenu, en avril 2024, l’autorisation de mise sur le marché de son anti-douleur de 500 mg.
De premières avancées saluées par deux entreprises pharmaceutiques d’Alsace, dont une a répondu plus en avant à nos sollicitations : « Nous espérons que cette dynamique s’applique à une réindustrialisation plus intense de nos territoires. L’industrie pharmaceutique est jugée sale, polluante et dangereuse, donc nous avions relégué les productions à l’autre bout du monde. Évidemment il y avait aussi une question de coûts ! Mais l’idéal pour la santé publique est d’avoir une production nationale suffisante pour les médicaments de base, et pourquoi pas rêver à une relocalisation de la production d’antibiotiques ! »
Le gouvernement entend améliorer la transparence de la chaîne d’approvisionnement grâce à l’outil DP-Rupture (Distribution Pharmaceutique Rupture), mis en place par l’Ordre national des pharmaciens. Cet outil permettra un suivi plus précis des stocks et des ruptures de médicaments. De plus, un tableau d’équivalence des médicaments devrait aider les médecins et les pharmaciens à trouver des alternatives plus rapidement. Face aux pénuries d’antibiotiques pédiatriques, l’ANSM a instauré de nouvelles règles pour prévenir les ruptures pendant l’hiver prochain. Les pharmacies doivent désormais se procurer ces médicaments auprès des grossistes répartiteurs, assurant ainsi une répartition équitable des stocks. Ces mesures seront réévaluées à l’automne pour s’assurer que les pharmacies disposent des quantités nécessaires de médicaments.