Pierre Mann, les Mémoires d’un passionné de l’Homme et de la Terre

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Il aura gaillardement traversé plus de six décennies, caméra au poing, et transmis à des centaines de milliers de spectateurs sa passion des animaux sauvages et de la nature. Désormais octogénaire, il continue à parcourir le monde pour témoigner, à hauteur d’homme, de la magnificence de la vie animale et des dangers qui la menacent. Récit unique d’un parcours de vie vraiment exceptionnel…

Parmi les nombreux lecteurs qui ne manqueront pas de dévorer les Mémoires de Pierre Mann, beaucoup seront peut-être surpris par les dramatiques souvenirs personnels qu’il évoque et qui datent de la Seconde Guerre mondiale et ses suites qui n’ont pas épargné sa vie naissante et celle de sa famille. « J’avais à peine six ans quand, le 13 février 1945, je me suis retrouvé sous les bombes des avions alliés qui ont complètement rasé la ville allemande de Dresde, un des épisodes les plus tragiques de la fin de cette guerre » se souvient Pierre. « Mais, si jeune, coincé plus d’une fois dans cette cave obscure où nous étions tassés et dont les murs vibraient sous le coup des explosions, à aucun moment je n’ai été traumatisé, pour autant que je me rappelle. Je pense qu’à cet âge, on n’a ni la notion ni la peur de la mort. En fait, la peur que j’ai ressentie dans ces circonstances extrêmes était plus liée à cette partie béante et totalement obscure de la cave qui se trouvait devant mes yeux. Plus tard, nous sommes sortis une première fois de notre abri, et nous n’avons pas fait cent mètres avant que nos cheveux commencent à grésiller. Je me souviens de la vision dantesque d’une véritable tornade de feu qui barrait le fond de notre rue, provoquée par les milliers de bombes au phosphore qui venaient de s’abattre sur la ville. Nous habitions en bordure d’une très grande place où il y avait, en son centre, un immense réservoir d’eau à ciel ouvert. Je me souviens de ces gens qui couraient désespérément, avec le feu sur eux, pour plonger dans ce réservoir et de ce feu qui ne s’éteignait pas pour autant. Ma tante, avec qui j’étais, ne songeait qu’à fuir cet enfer et lors de notre deuxième sortie, nous avons commencé à longer l’Elbe, mais tous les ponts étaient détruits. Elle m’a alors confié à un vieil homme qui passait à vélo avec l’adresse de ma seconde tante qui habitait dans un petit village, loin de la ville… »

Un second épisode, plus traumatisant celui-là, va marquer le jeune garçon. La guerre terminée, à leur retour à la maison familiale au Neudorf, les parents réalisent qu’ils ont été littéralement spoliés de leurs biens. Un voisin, « résistant de la 25e heure » comme on le disait à l’époque, avait dénoncé mon père, prétendant qu’il était un collaborateur. Il fait également dénoncer nombre d’autres personnes, utilisant à chaque fois la même lettre, ne changeant que les noms. « Emprisonné, mon père n’a même jamais été entendu par un juge », raconte Pierre Mann. « On sait très bien que durant cette période d’épuration, les cas de justice expéditive n’ont pas manqué… », commente-t-il, sans colère, mais avec de la tristesse dans la voix. Les lecteurs du livre apprendront qu’il aura fallu très longtemps pour qu’il réussisse à raconter cette douloureuse histoire. Son épouse, Sabine Trensz, l’aura mainte fois incité à le faire, mais ce seront plusieurs rencontres avec le cinéaste Costa-Gavras qui auront au final été déterminantes : dans un des courriers que le réalisateur de Z a envoyés à Pierre Mann figure ce simple mot : « Osez ! ». Pierre a fini par oser…

Le cinéma, en autodidacte…

Son père blanchi et rétabli enfin dans ses droits, le petit Pierre Mann est devenu un jeune ado. C’est le Strasbourg des années 50 et il devient littéralement fou de cinéma. À l’époque, les acteurs se succédaient dans la capitale alsacienne et c’était alors la chasse aux dédicaces. Chaque week-end, avec un copain complice, c’était toujours la classique manoeuvre des « sans-le-sou », l’entrée par… la porte de sortie des spectateurs de la séance précédente. « Peu à peu, je me suis comme forgé un oeil cinématographique, dit Pierre, et, plus tard, je me souviens encore de la réflexion du projectionniste d’un grand cinéma parisien où je venais de présenter mon premier film professionnel Les chemins du désert en présence notamment de Françoise Giroud (rédactrice en chef de l’Express) et du grand cinéaste René Clair : “Par quelle école de cinéma es-tu passé ?” m’a-t-il demandé. Je lui ai avoué que je n’avais pas suivi les moindres cours… “Et bien, ton montage est incroyable, il faut que tu continues…” a-t-il poursuivi. Pour moi, cet avis était extraordinaire. Plus tard encore, on m’a parlé de la remarque de Claude Lelouch : « Lorsque vous sortez d’une école de cinéma, oubliez aussitôt tout ce que vous avez appris… »
« J’ai toujours préféré les grands films documentaires et bien sûr, ceux consacrés aux animaux. La toute première fois que j’ai découvert l’Afrique, je me suis dit : mais bon sang, ce n’est pas du tout ça ! J’en étais resté aux films de Tarzan avec Johnny Weissmuller que j’avais dévorés au début de mon adolescence ! J’étais dans la savane et je pensais ne trouver que la jungle… (rire) ».

Les combats pour la vie

Parallèlement à la réalisation de ses tout premiers films, Pierre Mann a d’emblée milité au sein de l’Association Fédérative pour la Protection de la Nature (plus connue aujourd’hui sous le nom d’Alsace Nature) qui venait juste de voir le jour. « À l’époque, nous étions clairement des pionniers, nous étions très minoritaires et on nous considérait un peu comme des rigolos. Dans mes premiers films, je dénonçais déjà la pollution, l’usage des pesticides, la disparition de la forêt primaire… bref tous ces thèmes devenus aujourd’hui très populaires. Tout ce que j’évoquais à l’époque s’est bien sûr gigantesquement aggravé depuis… Mais j’avais trouvé ma voie en filmant la nature et les animaux. Parallèlement, j’avais une famille et un métier. J’ai toujours été soutenu inconditionnellement par Évelyne, ma première épouse. Professionnellement, j’étais cadre bancaire et je dirigeais un large secteur de la Caisse d’Épargne. Il m’est arrivé plus d’une fois de poser mon stylo le vendredi après-midi et de filer attraper mon sac et mon matériel, car j’avais un avion le même soir pour l’Afrique. Et j’utilisais l’intégralité de mes congés pour produire mes films. Les journaux ont commencé à parler régulièrement de mes réalisations. Alors, le grand patron de la banque a fini par dire : “Il va falloir quand même que Mann choisisse entre le cinéma et notre banque”. Mais comme j’obtenais de très bons résultats, jamais on ne m’a obligé à faire ce choix. D’autant plus qu’à l’époque, FR3 Alsace m’avait demandé d’animer des émissions régulières. Évidemment, j’y avais associé la Caisse d’Épargne… » se souvient Pierre avec malice…
Tout le reste, du prix de la Fondation de la Vocation juste avant ses trente ans (face à plus de 3 000 candidats) jusqu’à la réalisation de dizaines de films (le dernier, monté il y a à peine quelques mois, a déjà été acheté par Arte qui le diffusera l’an prochain), vous le lirez dans les pages de Leçons d’humanité qui sera disponible lors des prochaines Bibliothèques idéales. Le titre résume bien les combats de cet authentique amoureux de la nature, lui qui se plait à répéter sans cesse que « ce n’est pas la planète qu’il faut sauver, mais bien l’espèce humaine qui la peuple… »

Infatigable, Pierre Mann commentera son livre puis il bouclera ses valises pour un nouveau voyage en Afrique, cet automne. « J’ai parcouru la planète entière, les terres glacées, les savanes, les déserts, les jungles… mais les voyages sur ce continent fascinant, je ne les compte plus », dit-il. « Je ne dois pas être loin du 130e, je crois… »

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