Qui sont-ils ? I Le Or Champ de Roland Recht

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Pourquoi, en période de difficultés financières, s’en prennent-ils avant tout à la culture ? Et pourquoi avoir visé une institution comme les musées, en imposant dorénavant deux jours de fermeture hebdomadaire ? Sans doute avec la conviction que cela ne concernait qu’un public restreint et passif – une « élite » ! Qu’une municipalité ignore le poids symbolique de la culture, est en soi très alarmant. Mais qu’une telle ignorance s’exprime dans une ville comme Strasbourg – avec un urbanisme exemplaire, une tradition musicale unique en France, un patrimoine architectural et muséal d’un intérêt artistique exceptionnel, et je pèse mes adjectifs – c’est une faute politique.

Et d’abord, savent-ils seulement de quoi la culture est le nom ? Hannah Arendt a rappelé qu’elle est devenue un bien public dans l’Empire romain. Le mot « culture », et ceci devrait intéresser les écologistes, vient du latin colere, c’est-à-dire cultiver, veiller sur, honorer, préserver ! Le mot tire son origine et son emploi du soin que prenaient les Romains de la nature : ils considéraient devoir à la culture de l’esprit les mêmes soins qu’ils apportaient à la nature.

À partir du siècle des Lumières, la notion de culture désigne des savoirs, des sensibilités, la conscience d’appartenir à une histoire. Enrichir ces savoirs, affiner cette sensibilité, éclairer cette conscience, c’est se cultiver. C’est aussi contribuer à développer l’esprit critique. C’est l’un des objectifs de l’enseignement, mais aussi des institutions culturelles auxquelles il peut s’adosser – le théâtre, les musées – ou des outils à sa disposition comme la lecture, le cinéma, la musique… La mission d’un pouvoir politique, quel qu’il soit, lorsqu’il est en charge des affaires d’une ville, est d’assurer la transmission des biens culturels aux générations futures en garantissant leur conservation, leur promotion et leur accessibilité, car ils sont un bien commun. Comment osent-ils en disposer ?

« Verdir » la cité ne doit pas avoir pour contrepartie de considérer le patrimoine ancien ou contemporain, cette composante essentielle de la culture, comme une variable d’ajustement. Qui sont-ils ? Ce sont les nouveaux commissaires du peuple qui savent ce qui est bon pour lui. Et ce qui est bon pour le peuple passe nécessairement à leurs yeux par une redéfinition de la culture, voire une éradication de ce qu’ils pensent être la « haute culture ». Car leur ennemi juré, c’est l’élite. Une catégorie générique d’individus qui auraient le privilège d’accéder à la culture « du haut ». C’est pourtant grâce à cette « élite » – mécènes, collectionneurs, interprètes, enseignants, éditeurs, etc. – que les oeuvres laissées par les créateurs du passé existent encore.

Le terme « participatif » est devenu le maîtremot de ces populistes qui se méprennent sur leur véritable responsabilité. En instaurant le « participatif », pensent-ils combler le vide de leur propre inculture ? Le vide de leur inaptitude à faire le choix de la création, de l’innovation ? Le vide, enfin, de leur incapacité à avoir une véritable conscience historique ?

Roland Recht, historien de l’art, universitaire et conservateur de musée, chroniqueur et critique d’art. Directeur des musées de Strasbourg entre 1986 et 1993.

©Nicolas Rosès

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