Simone et Georges Colomb :« Nous, les personnes âgées, on empêche les autres de vivre… »⎢Quelle place donnons-nous à nos aînés ?
– Article publié dans Or Norme n°41 –
Éprouvés par leur vie sociale éteinte, Simone et Georges Colomb peinent à garder de l’espoir. Ils se raccrochent aux petits bonheurs et aux souvenirs heureux.
Avenants et élégants, ces deux-là ne font pas leur âge. Georges Colomb annonce fièrement ses 91 ans, son épouse Simone en confesse « cinq de moins ». Ils ont quitté leur maison d’Illkirch en mai 2019 pour s’installer dans un trois-pièces de la résidence senior Les Jardins d’Alsace, suite à une méchante fracture du bassin de Simone.
« On pensait que ce serait convivial, qu’on verrait plein de gens… Eh bien c’est tout raté ! », soupire Simone. Son sourire se lézarde pour laisser la mélancolie poindre dans sa voix. « On savait, avant, qu’on était des personnes âgées, mais là, c’est devenu très dur. Au début de l’épidémie, on voyait que tout était fait pour nous protéger, mais finalement, on se retrouve complètement isolés : on ne voit plus nos amis, ni notre famille. »
Pourtant, la résidence leur convient : on n’y mange « pas trop mal », c’est en centre-ville de Strasbourg, leur logement est agréable et le personnel est impliqué. Quand ils ont contracté le variant anglais du Covid, fin janvier, ils se sont trouvés très bien pris en charge par l’équipe. Mais même s’ils passent l’essentiel de leur temps ensemble, ils se sentent seuls depuis que la pandémie a changé les règles du jeu. « Avant, on pouvait trouver des gens pour parler, on pouvait jouer aux cartes ! Maintenant, il n’y a plus rien, et les autres résidents sont maussades. Et on ne peut plus retrouver nos amis au restaurant, tout est fermé », regrette Georges.
Avec son accent chantant du Midi, sa belle voix grave et ses yeux espiègles, on l’aurait volontiers imaginé couler sa retraite au bord d’un terrain de pétanque ou autour d’une partie de bridge à l’ombre des pins. « Quand nous avons cessé notre activité, nous avons acheté un appartement à Nice… Nous l’avons toujours ! On y restait de janvier à fin avril, c’était formidable. Nous n’y sommes plus retournés depuis deux ans », songe-t-il. « C’est un crève-cœur », lâche Simone.
« Et puis, ça s’est vidé… »
Quand ils étaient un jeune couple, vivre en Alsace ne faisait pas partie de leurs projets. D’abord installés en région parisienne, Georges a fait ses armes comme « représentant, pour plusieurs maisons » et Simone se plaisait comme comptable à la Fiduciaire de France. En 1964, alors qu’elle est en congé maternité, son père meurt brutalement. « Il était boulanger, il avait exercé longtemps à Paris et il était revenu en Alsace, d’où il était originaire, pour rénover un commerce. Maman a très mal supporté son décès, ils étaient très fusionnels… Nous sommes venus provisoirement, et puis finalement, on s’est installés », racontent-ils à deux voix.
Georges a poursuivi sa carrière de représentant, notamment pour Allibert (les meubles de salles de bains) et Walrand, une société belge aujourd’hui fermée. Simone a dû batailler davantage pour retrouver un poste à la hauteur de ses ambitions. « À Strasbourg, les femmes avaient moins de possibilités de travailler », se souvient-elle. Elle finit par trouver une place dans une mutuelle dédiée aux commerçants, puis ses grandes compétences la conduisent à la tête d’une caisse de retraite locale. « Pour dire qu’on a fait notre trou… », glisse-t-elle.
« En 1970, j’ai fait bâtir la maison à Illkirch, très grande, plus de 200 m2 », raconte fièrement Georges. Un garçon y a grandi. « On en n’a fait qu’un, on a trouvé qu’il était bien… Et puis on n’a pas eu le temps d’en avoir d’autres, on a trop travaillé », plaisante-t-il pudiquement. « On m’avait demandé de faire attention, j’avais eu une tuberculose pulmonaire », complète Simone. Deux petits-enfants, aujourd’hui jeunes adultes, ont continué de dessiner l’arbre généalogique. « Dans la maison, on avait nos amis, ma mère, les enfants… » Simone a le regard qui pétille. « Et puis, ça s’est vidé. Mais on a eu une belle vie, on ne peut pas se plaindre ! »
Dans leur appartement, Georges joue aux cartes sur l’ordinateur, Simone lit des romans. « Ça passe le temps, dit-elle. On pense aux jeunes, pour eux c’est vraiment terrible… Notre petite-fille fait ses études à Lille. L’université est plus ou moins fermée, les stages sont annulés, c’est très dur. Quand je suis démoralisée, je me dis que nous, les personnes âgées, on empêche les autres de vivre. On leur prend les vaccins, on les empêche de se réunir parce qu’ils ont peur de nous contaminer… » Happée par son vague à l’âme, elle ne semble plus entendre le contrepoint de son mari : « Mais ça c’est aussi parce qu’on vit vieux. Mes cinq frères et sœurs sont tous morts dans les 70 ou 80 ans… » En écho, Simone se rappelle d’autres périodes difficiles… « On a vécu la guerre quand on était jeunes. Pour ma tuberculose, j’ai déjà vécu un confinement très dur au sanatorium… Mais à chaque fois, on pensait à l’après, il y avait toujours un après. Maintenant, il n’y a plus d’après à attendre, et c’est ça qui me manque. »
Georges montre quelques signes de fatigue. Le variant anglais lui a laissé en souvenir un besoin accru de repos. « Mais il ne veut pas reconnaître qu’il a eu le Covid ! », s’amuse Simone. Elle conclut l’entrevue en chassant son blues d’un revers de la main : « Regarde, les fleurs sortent, les arbres sont magnifiques… on ne va pas se plaindre. »