Stéphanie Scharf « Le monde hôtelier doit se renouveler, il faut réinventer une destination »

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Si la question de la réouverture des bars et des restaurants occupe une grande part du champ médiatique, il est un autre secteur qui suscite moins l’attention et qui subit pourtant lui aussi la crise de plein fouet : l’hôtellerie.

Bien qu’officiellement non contraint à la fermeture, c’est évidemment tout un secteur qui s’est arrêté dès lors que le confinement a été prononcé : tout le monde chez soi, hôtels vidés, portes fermées ! À l’instar de la restauration qui a pu se doter du À emporter pour maintenir une petite activité, pas d’options possibles pour réinventer l’offre des hôtels tant que les choses ne sont pas revenues à la normale, aussi bien au niveau de la libre circulation des individus, que dans leurs envies – pour le moment nostalgiques – d’échappées belles…

Une forte perte économique, qui impactera sans conteste le monde hôtelier sur le long terme, car s’ils étaient dans les tout premiers à arrêter, ce seront également les derniers à se relancer, subissant le contrecoup de tous les secteurs en difficulté suite aux mesures sanitaires : tourisme, restauration, événementiel, spectacle vivant, etc.
Mais si tout semble tendre vers le pessimisme, pourquoi, au contraire, ne pas s’interroger sur les potentiels effets bénéfiques de ce « monde d’après » : l’univers de l’hôtellerie ne pourrait-il pas gagner à se réinventer ? Bien sûr, son essence reste l’accueil, mais pourrait-on y observer une offre enrichie, une expérience client augmentée ? Cette crise ne pourrait-elle pas également favoriser un retour à l’hôtellerie traditionnelle ?
On est en effet en mesure de se demander si les touristes ne seraient pas moins enclins à réserver un AIRBNB, par crainte d’un manque de mise en place des normes d’hygiène par exemple. Les hôtels ont en effet mis au point un référentiel sanitaire permettant de garantir une hygiène sûre pour la reprise. La dimension sanitaire et sa maîtrise pourraient donc devenir des critères de choix…

Face à ces différentes questions, qui mieux qu’une spécialiste de l’innovation et de l’expérience client pour évoquer les enjeux à venir ?
Rencontre avec Stéphanie Scharf, Directrice Concept & Innovation de la SOGEHO*, une société de gestion hôtelière, qui gère 8 hôtels bien connus de Strasbourg à Colmar*, comme l’Hôtel BOMA, l’Hôtel & Spa RÉGENT PETITE FRANCE,  l’Hôtel Les Haras ou bien encore l’Hôtel Cour du corbeau

ON : Avant tout, pourriez-vous nous expliquer votre fonction et ce qu’est la partie « Concept & Innovation » de la SOGEHO ?

Je suis, depuis août dernier, Directrice Concept & Innovation de la SOGEHO, c’est-à-dire que je chapeaute à la fois tout le service marketing et communication, ainsi que la partie concept et innovation. Cela comprend l’innovation pour tous les hôtels qu’on peut développer et pour lesquels on crée des concepts, mais également pour les hôtels déjà existants. La direction de l’innovation commence à se voir dans pas mal d’industries, comme le textile par exemple, mais il faut savoir qu’il est encore rare de trouver ce type de poste au niveau de l’hôtellerie.

Intiment liée au marketing et à la communication, cette fonction consiste à être en état de veille permanent sur les différentes techniques de communication, l’évolution de la société, les attentes de la clientèle et ce qu’elle recherche. Je situe vraiment ça aux niveaux sociétal et humain, car un hôtel est véritablement un lieu de vie, et se doit d’être une expérience. Pour chaque hôtel, on travaille à une vraie identité, un vrai ADN de marque.

L’Hôtel Cour du Corbeau ©DR

Suite aux deux mois qui viennent de s’écouler, comment allez-vous en tant qu’entrepreneuse mais aussi en tant que citoyenne ?

On a fait ce qu’il fallait pour tenter de garantir au mieux les choses. Ça a été la première inquiétude : comment tout stabiliser, rassurer les salariés, mettre en place les plans de financement… Il faut savoir que nous n’avons pas eu d’obligation de fermeture, mais à partir du confinement, plus personne n’a bougé et donc par conséquent, il n’y a plus eu personne dans les hôtels. Il y a eu une vraie prise de conscience et une organisation en amont, on s’est préparé avec mes équipes pour mettre en place le télétravail. Les directrices se sont organisées pour fermer, pour mettre en place ce qu’il fallait, les alarmes… Ce sont des choses qu’on ne fait jamais, car un hôtel vit toujours ! Il a fallu s’adapter très rapidement à ce qui nous est arrivé.
Personnellement, j’ai été malade et donc incapable de travailler pendant une semaine. Mais après ça, très vite ça a été : comment rebondir ? Car si tout le monde se posait la question de comment ça va se passer, en tant qu’entrepreneur on se demande immédiatement comment on va se relever, comment le monde va se réinventer, et en l’occurrence dans ce ca comment l’hôtellerie va se transformer ? Pour moi la seule réponse a été : il faut bosser, il faut repartir, il faut régénérer les richesses, relancer l’économie.

Avez-vous eu malgré tout l’effet « sas de décompression » ?

Pas trop ! Dans ma vie de femme ça a été plus compliqué, je me suis au début imaginée pouvoir lire, faire du yoga… Même si je l’ai fait un peu, j’ai continué à être fortement mobilisée, et j’ai continué à travailler. Cette période de confinement m’a tout de même permis d’être dans un rythme plus lent. C’est quelque chose que je voulais depuis longtemps, mais nous sommes dans une phase de croissance, et mon choix c’est aussi d’accepter la situation. Cela ne m’empêche pas de profiter à côté, c’est vital pour moi. J’étais auparavant hypnothérapeute, un pan de ma carrière professionnelle mis entre parenthèses ; mais ce côté méditatif, cette prise de conscience humaniste, je l’ai mis notamment au service du BOMA.

Les effets du confinement vont changer des habitudes c’est évident, même si on ne sait pas encore comment. Mon état d’esprit aujourd’hui en tant que femme et entrepreneuse, c’est que je suis persuadée que les choses vont changer, que ça va apporter de bonnes choses, peut-être plus de prises de conscience, dans les modes de consommation, même si ça ne sera pas flagrant de suite. On pourra peut-être consommer plus local, observer le développement d’une industrie plus française… C’est en tout cas c’est ce que je souhaite !

Stéphanie Scharf ©LH

Vous et vos équipes avez été très actives pendant le confinement, on l’a vu sur les réseaux, il y a eu beaucoup d’actions mises en place…

Dès le début du confinement, j’ai dit à mes équipes qu’il fallait garder un lien avec nos clients et notre communauté. L’hôtel BOMA est un lieu de vie, on l’a vu par exemple après les attentats, beaucoup de monde venait échanger, discuter, les gens avaient besoin de ce contact. Il était donc pour moi impératif qu’on reste en lien, mais sans ignorer la situation : « ok on est en confinement, qu’es-ce qu’on peut en tirer de bon ? » On a par exemple partagé sur les réseaux des recettes, fait des Live Yoga & pilâtes, un concert live avec Bary Raman, découvert sur le groupe Tousse ensemble… On est en manque de lien social, alors oui, on ne peut pas se serrer dans les bras, mais on peut, et on doit, continuer à communiquer !
Bien évidemment, ce qui a été mis en avant sur les réseaux c’est également la solidarité des équipes, à travers notre action pour les Anges Gardiens. Là c’est Sandrine Hugonot, Directrice du Régent Petite France, qui s’en est occupé avec les responsables de l’association. Toutes les semaines, des repas ont été cuisinés par Boris, le chef du Régent, mais également par Jérémy, Directeur de la restauration du BOMA… Et tout ça de manière bénévole ! « Des repas pour les anges gardiens » ont ainsi permis de nourrir tous les acteurs qui ont été au front ; personnels soignants, policiers, pompiers… Chapeau !

Les équipes mobilisées pour préparer des repas pour les « anges gardiens » ©FB Hôtel Pavillon Régent Petite France

Quelle est la situation actuelle des hôtels, sont-ils tous fermés ? Quand vont-ils pouvoir ré-ouvrir et surtout comment ?

Tous nos hôtels sont en effet fermés encore pour le moment, mais les gens vont finir par avoir envie de prendre des vacances, et on va ouvrir à minima un établissement. L’objectif c’est après la mi-juin… Si on sent que ça ne bouge pas, on n’aura pas d’intérêt d’ouvrir, mais notre souhait c’est d’être présent, d’avoir une offre, d’être prêt ! On ne peut pas ignorer qu’on ne maitrise pas grand-chose : ce sera en fonction de l’évolution du virus et des décisions gouvernementales. On ne sait donc pas si on va pouvoir être ouvert, mais on se prépare comme si c’était le cas. Le premier message, ce sera de rassurer nos clients et salariés. Toutes les mesures sanitaires seront mises en place : vitres en plexiglass, gel hydroalcoolique, signalétique de distanciation, désinfection de toutes les chambres, etc.
Dans un premier temps, on va déjà rouvrir des cuisines : il y aura sous peu sûrement une offre à emporter au BOMA, et également des menus à emporter pour la fête des mères côté Régent Petite France…

BOMA Bistro ©DR

Est-ce vous allez tenter de séduire et d’attirer les Alsaciens, et même les Strasbourgeois, confinés 2 mois dans leur appartement ?

Oui, absolument. Il y a ce rayon de 100km, des gens qui étaient à la campagne, peut-être qu’ils ont envie de venir en ville, voir les monuments, se promener… L’idée est de séduire les gens dans un petit rayon, et sur le territoire domestique. Peut-être qu’il y aura d’ici-là l’ouverture aux frontaliers ! Tout cela sera de l’ordre de la stratégie commerciale. En tout cas on y tient, on veut séduire les Strasbourgeois, séduire les gens de la région : on veut relancer la machine. Il ne faut pas que Strasbourg soit une ville morte. S’il n’y a pas d’offre, il n’y a pas de demande !

Quelle est votre vision sur la manière dont les événements vont transformer l’offre des hôtels ? Avez-vous d’ores et déjà des pistes ?

Pour tout le monde hôtelier, il faut quelque part se renouveler. La base reste la même certes, mais il faut réinventer une destination. On ne va pas se déconfiner de notre appartement pour venir se reconfiner dans un hôtel ! Il faut réfléchir à ce qu’on va pouvoir offrir comme expériences enrichies, et comme partenariats : des salons de beauté, l’organisation de visites guidées de la ville, du lien avec les fermes-auberges… Je pense qu’au début, ce ne sera pas des longs séjours, mais peut-être des séjours de 2/3 jours. Il faut étudier tout ça. En tout cas, je pense qu’il y aura une nouvelle manière de consommer, plus courte, plus qualitative. On va surfer sur l’évolution des choses encore plus qu’avant.

Pour finir, un message aux Strasbourgeois ?

Un seul mot : vivons ! Continuons à vivre, les oiseaux chantent, la vie est là. Ce confinement nous a apporté tout de même des choses. Pour moi, il faut continuer à partir en vacances, aller au restaurant, se rencontrer. Même avec de nouvelles règles : continuons à vivre, différemment, oui, mais continuons.

*La SOGEHO gère à Strasbourg l’Hôtel & Spa RÉGENT PETITE FRANCE, le Pavillon RÉGENT PETITE FRANCE, l’Hôtel Les Haras, l’Hôtel Cour du Corbeau, l’Hôtel Régent Contades, l’Hôtel BOMA, Le Grand Hôtel, et Colmar le Grand Hôtel Bristol, et Paul & Pia “ Welcome Home Hotel “

Stéphanie Scharf ©LH

L’Hôtel Régent Contades ©DR