Surréalice et illustr’alice I Alice déconstruite

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Alice a la tête en bas, Alice a le corps coupé en deux, le monde d’Alice est bizarre, inquiétant, autant que l’inconscient d’un enfant. Ce monde est le centre de deux expositions à Strasbourg, l’une au MAMCS quant à l’influence importante de Lewis Carroll (1832-1898) sur les surréalistes, l’autre au Musée Ungerer sur l’illustration d’Alice, notamment par les femmes.

Il s’agit principalement, dans ce musée Ungerer plein de charme, des illustrations d’Alice au pays des merveilles (1865) dans les éditions enfantines, certaines étant de toute beauté comme celle de Trnka, le célèbre tchèque, d’autres sobres comme celles d’Antony Browne, plus inquiétantes de Tove Janson ou douces de Marie Laurencin, plus cruelles pour Nicolas Claveloux, féeriques pour Adrienne Ségur, beaucoup plus absurdes pour Ralph Steedman ou Mervin Peake. Le monde d’Alice est celui du non-sens, de l’absurde, du jeu. Tout se joue dans la figure d’une carte à jouer, sa figure coupée en diagonale. C’est un monde transgressif où rien ne va de soi, où le corps d’Alice est enfantin autant qu’il n’est pas innocent, où plantes et animaux s’expriment à égalité de l’humain. Une manne pour les surréalistes qui s’en trouvent très inspirés. Le MAMCS met merveilleusement cela en scène. En dehors de l’entrée de la grotte faite dans des matériaux pauvres qui ne correspond pas à l’élégance des salles, le reste de l’exposition est somptueux, avec ces quatre salles noire, rouge, vert sombre, bleu clair, montrant différentes éditions d’Alice, mais aussi les tableaux de Max Ernst, de Dali, travaux d’André Breton, photos d’Hans Bellmer, illustrations très étonnantes de Frédéric Delanglade de Victor Brauner ou de Dali, superbes également celles de Dorothéa Tanning ou Leonora Carrington et de la si rare Unica Zürn, ainsi qu’un texte très cruel de la très précoce Gisèle Prassinos.

René Magritte, Alice au pays des merveilles, 1946

La grande réussite de cette exposition – Barbara Forest et Fabrice Flahutez en sont les commissaires – est son intelligence. Les peintres connus côtoient d’autres moins connus, les femmes ont reconnues à leur valeur d’artistes à part entière, on a la chance d’assister à une très fine compréhension de l’univers d’Alice en tout sens, femme-enfant centrale, sous les trois grands thèmes du jeu, du langage et de l’image. Le rapport image/écriture est l’écho du monde de Lewis Caroll chez les surréalistes des années 20 aux années 60. « Nous avons conçu un parcours immersif où l’on peut entendre tant des chants populaires que du jazz ou des classiques tels que Tchaikowsky, Schubert, Wagner, Liszt… » précise Mathieu Schneider.
C’est un vrai théâtre qui se joue là, dans un décor où de cet univers en apparence velouté émane tous les rêves et les abécédaires d’une enfant prodige, magnifiquement folle, objet des rêves et oeuvres des plus grands artistes.
Lewis Carroll, gaucher maladroit, sujet au bégaiement, a inventé une figure intemporelle.

« Comment savez-vous que je suis folle ? », dit Alice.
« Vous devez l’être », dit le chat, « sans cela vous ne seriez pas venue ici. »

Souhaitons plein de fous pour aller voir cette exposition dont la beauté est tellement nécessaire.

SURRÉALICE, LEWIS CARROLL ET LES SURRÉALISTES MAMCS
1 pl. Jean-Hans Arp
Strasbourg 19 novembre 2022 au 26 février 2023

ILLUSTR’ALICE Musée Tomi Ungerer 2 bd de la Marseillaise Strasbourg
Mêmes dates

Ralph Steadman, Alice and the Wasp, 1971

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