Table ronde⎢SDF : le débat

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Depuis quelques mois, les équipes de notre magazine travaillent sur la problématique de cette table ronde et enquêtent dans l’hypercentre de Strasbourg en dialoguant avec les habitants, les commerçants, les usagers, les associations et bien sûr les personnes sans abri elles-mêmes. Mais aucun indicateur officiel n’est disponible pour évaluer la situation concrète et, au final, chacun ne peut exprimer que son propre ressenti en la matière. C’est la raison d’être de cette table-ronde autour de laquelle nous avons convié des spécialistes de ces questions dans une double intention : y voir plus clair d’une part et favoriser la réflexion sur des solutions allant au-delà de celles déjà connues de tous…

Les participant(e)s :
Floriane Varieras, Adjointe à la maire de Strasbourg en charge de la ville inclusive et vice-présidente du CCAS (Centre communal d’action sociale)
Gabrielle Clar, Porte-parole de l’association Abribus
Florian Gesnel, Directeur de l’association L’Îlot
David Allard, Gérant de l’enseigne Super U, Grand Rue / Rue du 22 Novembre à Strasbourg
Éric Demonsant, Directeur du SAIO 67 (Service Intégré d’Accueil et d’Orientation du Bas-Rhin)
Patrick Adler, Directeur de la publication de Or Norme Strasbourg

Pour lancer cette table ronde, je voudrais donner d’entrée la parole à Patrick Adler pour qu’il synthétise les réactions que nous avons recueillies en dialoguant avec notre environnement, ici, à l’hypercentre de Strasbourg.

Patrick Adler : « À la rédaction de Or Norme, nous pensons que cette thématique des sans-abri est un vrai sujet à Strasbourg, comme d’ailleurs, on peut le penser, dans la plupart des grandes agglomérations du pays. Nous avons tous des responsabilités qui nous amènent à fréquenter très souvent le centre-ville et on constate de façon flagrante qu’il y a de plus en plus de SDF qui s’installent de façon pérenne et de plus en plus à proximité directe des commerces. C’est surtout le cas autour de la place Gutenberg et des rues qui y mènent. Ces gens qui sont installés à demeure posent des problèmes aux commerçants et nous avons été frappés sur deux points, en interrogeant ces derniers. D’une part, leur résignation – « on ne peut rien y faire, c’est sans solution, disent-ils – et une forte exaspération d’autre part, qu’ils n’expriment pas seulement qu’en ce qui les concerne. Les commerçants nous ont dit : « Après tout, j’arrive à 9h pour ouvrir mon commerce et j’en repars à 19h, mais je pense surtout à tous ces gens qui habitent dans les appartements du centre-ville, à ces petites dames qui n’osent même plus sortir de chez elles et qui, quand elles s’y résignent, se font agresser verbalement ». Si nous avons voulu enquêter sur ces sujets et organiser cette table ronde, c’est parce que nous sentons que quelque chose de très tendu est en train de germer et se mettre en place. Car beaucoup de gens sont à bout, cette situation peut donc déboucher potentiellement sur de véritables drames. Et notre sentiment est aussi que ça n’a jamais été aussi explosif qu’en ce moment. Il y a quotidiennement des tensions extrêmes entre les gens qui sont dans la rue et le reste de ceux qui fréquentent l’hypercentre. Pour être complet, on a également attiré notre attention sur le phénomène des bandes organisées en matière de mendicité, ce qui n’est pas tout à fait la même problématique que celle des sans-abri, mais vient encore renforcer les tensions dans la rue. Une des premières questions que nous pouvons peut-être examiner ensemble serait peut-être de se demander s’il y a eu un réel afflux des SDF dans l’hypercentre et depuis quand. Une des choses qui nous a été affirmée, et à plusieurs reprises, est que l’abrogation de l’arrêté permettant de lutter contre la mendicité agressive, qui avait été voté sous l’ancienne mandature municipale, aurait abouti à une sorte d’appel d’air. Une forme de fraternité entre les SDF de tout le pays existerait et, dès qu’une ville, à tort ou à raison apparaîtrait comme plus tolérante qu’une autre, elle serait rapidement rejointe par d’autres SDF vivant ailleurs sur le territoire national. Aucun moyen n’existe pour vérifier ça, bien sûr… Alors peut-être pourrait-on commencer par recueillir votre sentiment à toutes et à tous sur ces constats…

David Allard : Sincèrement, moi qui me confronte quotidiennement avec les thématiques que vous évoquez, je ne pense pas que ce soit pire qu’avant. En 2012- 2013, j’avais à faire chaque jour à la fermeture de mon magasin de la Grand’Rue à quarante ou cinquante punks à chiens auxquels je devais faire face avec huit agents de sécurité que j’avais recrutés. Cette période-là a été très compliquée, vraiment, ces marginaux, qui me reconnaissaient, sont même allés jusqu’à cracher sur mon bébé quand je le promenais, ce qui m’a contraint à déménager du centre-ville. Ça a duré un an puis le problème a fini par s’autoréguler. Aujourd’hui, on n’a plus à gérer ce problème- là, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas d’autres. Je dépose à peu près 400 plaintes par an, pour vols et violences : ça peut paraître beaucoup, mais il faut quand même savoir que je fais 20 000 passages à la caisse par semaine. Sur ces 400 plaintes, 380 le sont pour vol – et les SDF constituent 70 à 80% de ces cas – et vingt seulement pour agressions, en général. Donc, dans le cas de mon magasin et du quartier où il se situe, il n’y a pas d’augmentation sur ce dernier point. Mais après avoir dit ça, moi qui côtoie mes collègues commerçants dans nos associations, je sens effectivement un certain ras-le-bol lié à la visibilité des SDF dans certains endroits bien précis de l’hypercentre de Strasbourg… Je dois cependant dire qu’en ce qui me concerne, cette population qui est très visible devant mon magasin ne pose pas de problèmes particuliers. Elle sait depuis longtemps qu’elle ne peut plus pénétrer à l’intérieur du magasin et sincèrement, ces gens-là ne posent pas trop de problèmes…

Gabrielle Clar ©Nicolas Rosès

Gabrielle Clar : À mon niveau, j’ai des chiffres qui sont sans doute de bons repères. Notre association existe depuis vingt-six ans, elle distribue des repas trois fois par semaine, sur une période qui va, chaque année, d’octobre à mai. La saison dernière, on avait distribué environ 19 500 repas. Pour la présente saison, on a arrêté la distribution début mai dernier, on a totalisé, à périmètre d’action constant, plus de 35 000 repas. Je pense que ces chiffres illustrent bien l’état de la précarité à Strasbourg : c’est une explosion totale, on n’avait jamais vécu ça… Maintenant, sur l’aspect violence, ce qui est un autre domaine, moi qui suis depuis huit ans à Abribus je me souviens qu’on a dû appeler la Police à une seule reprise. Une seule fois seulement, sur 35 000 repas distribués, il y a eu un SDF complètement ivre qui a sorti un couteau, mais qui a d’ailleurs fini par fuir lui-même avant l’arrivée des policiers…

Quels types de publics aidez-vous ?

Gabrielle Clar : Nous ne faisons pas de maraude, mais de la distribution alimentaire c’est-à-dire que nous fournissons des repas dans des lieux et à des jours et horaires réguliers. Ce ne sont pas les mêmes publics. Nos publics sont évidemment très variés : cela va des punks à chiens, comme on en parlait tout à l’heure, au clochard du coin. Cela concerne toutes sortes de publics et certains sont dans la très grande précarité : ils n’ont pas les moyens de se payer un logement ou, si c’est le cas, ils ne peuvent pas se payer une bouteille de gaz pour faire la cuisine, par exemple. Et on a aussi ce que l’on appelle les travailleurs pauvres. On y rencontre souvent le racisme, envers les Roms par exemple, ou les gens qui sont logés dans des hôtels dont on ne veut pas entendre parler « parce qu’ils viennent manger notre pain ». En fait, on parle souvent des SDF, mais nous, nous nous adressons aux précaires, au sens large…

Éric Demonsant : Je pense qu’il faut définir ce qu’on entend par SDF, car il y a beaucoup de réalités différentes. En fait, il y a les sans domicile et il y a les sans-abri. Pour l’INSEE, les sans domicile sont ceux qui ont passé la nuit précédente soit dans un hébergement d’urgence soit à la rue ou dans un lieu non prévu pour l’habitation, un abri de fortune ou un squat par exemple. C’est important de ramener ces quelques auteurs d’incivilité dont vous parliez à ce qu’ils sont : une statistique assez marginale vis-à-vis de l’ampleur du phénomène du nombre de personnes sans abri. Si on considère ces gens qui sont ceux que la maraude rencontre dans la rue, ils sont environ 250 actuellement à Strasbourg, un chiffre qu’il faut sans doute considérer comme inférieur à la réalité, car les différentes maraudes ne les rencontrent pas tous. Parmi eux, il y a une quarantaine de mineurs. Une partie sont des familles et une autre des isolés, en grande majorité des hommes. On y rencontre des grands précaires, qui n’ont connu que la rue : je ne connais pas les chiffres au niveau de Strasbourg, mais les enquêtes nationales disent qu’ils représentent 43% de la précarité. Si on parle maintenant des personnes qui sont en hébergement d’urgence, leur nombre est autour de 6 000 à Strasbourg : 2 500 environ sont à l’hôtel et 2 500 sont dans d’autres formes d’hébergements d’urgence… Je ne parle pas ici des demandeurs d’asile qui sont dans les CADA, les Centres administratifs pour demandeurs d’asile. Voilà la réalité des chiffres que nous connaissons sur Strasbourg.

Eric Demonsant ©Nicolas Rosès

Vous parlez « d’autres formes d’hébergements d’urgence » que les hôtels. Vous pensez à quoi ?

Éric Demonsant : Il y a plusieurs dispositifs qui existent. Je précise qu’il y a un raccourci qui est souvent fait quand on dit « qu’il n’y a pas de place au 115 ». En fait, le 115 ne dispose d’aucun local d’hébergement, il ne fait que répartir les sans-abri dans les places existantes qui sont mises à disposition. Pour répondre à votre demande de précision, il y a deux sortes de solutions : pour les personnes isolées, il y a les solutions d’hébergements proposées par les associations, mais comme il y beaucoup plus de gens que de places disponibles, elles ont été contraintes de mettre en place des systèmes de roulement d’accueil. Pour les familles, on ne peut plus faire des orientations sur les solutions proposées par les associations, on nous a demandé de cesser de le faire. Ne restent donc que les places dans les hôtels… et ça se passe donc au compte-gouttes, quand les critères de vulnérabilité sont réunis…

Florian Gesnel, quelle est votre perception de ces problématiques au niveau de l’Îlot ?

Florian Gesnel : Nous voyons ça d’un peu plus loin puisque nous proposons une structure de logements avec un nombre de places bien défini et donc, par définition, nous sommes toujours pleins. À terme, nous proposerons quarante logements. Mais je voudrais dire qu’il y avait un biais dans votre première question : je pense qu’il y a effectivement une augmentation des sans-abri dans les rues de Strasbourg et qu’elle est liée à une multitude de facteurs, mais je ne crois pas trop, personnellement, à « Radio SDF » qui ferait venir tout le monde dans notre ville. La lutte contre la précarité dépend beaucoup des services de l’État et la politique de la mairie n’est pas forcément la même que celle de la Préfecture. Par rapport à ça, je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui, Strasbourg soit la ville la plus hospitalière pour accueillir les personnes à la rue. En ce qui concerne leur nombre qui serait en augmentation, il y a plusieurs explications : le Covid, qui est passé par là, le fait que nous soyons aussi une ville qui est un carrefour européen où se déposent beaucoup de demandes d’asile. En ce qui concerne la perception que nous avons de tout ça, et sans refaire un cours universitaire sur l’histoire des politiques sociales, il y a cette peur du pauvre qui existe depuis le Moyen-Âge. Peut-être aurait-il été nécessaire d’avoir un policier autour de la table qui nous aurait précisé le nombre de plaintes qui sont déposées pour des agressions par des SDF, je ne suis pas sûr qu’il y en ait beaucoup…

David Allard : Vous savez bien que toutes les plaintes envisagées dans un premier temps ne sont pas toutes déposées effectivement…

Patrick Adler : Dans le cadre de notre enquête, nous avons questionné la Police municipale. Ils nous ont confirmé qu’aujourd’hui, ils sont souvent dans l’incapacité d’intervenir. On nous a parlé de ce cas, cet hiver, dans une rue du quartier- Gare, de ce couple de jeunes qui avait installé à demeure sur le trottoir un matelas qu’il avait récupéré dans un hôtel. Tant que ce matelas n’est pas devant l’entrée d’un commerce ou d’un immeuble, on ne peut rien faire, a répondu la Police municipale à des riverains qui se plaignaient. Ce ne sont pas des véritables agressions, ce sont des incivilités, mais les gens n’en peuvent plus…

Florian Gesnel : Je pense qu’il y a une question de ressenti et que cela nécessite de la pédagogie. C’est aussi une question de visibilité : Strasbourg n’est pas une ville qui pratique la chasse aux SDF. Et si cela se pratiquait, ça n’irait pas loin, les SDF sont rarement dans la rue par choix.

Florian Gesnel ©Nicolas Rosès

Floriane Varieras, quelle est la perception que l’adjointe à la Ville inclusive que vous êtes devenue il y a deux ans a de ces questions-là ? Notamment sur le fait qu’il y a eu, et peut-être existent-ils encore, des débats très nerveux entre la préfète du Bas-Rhin, c’est-à-dire l’État, et la maire de Strasbourg, sur ces mêmes questions…

Floriane Varieras : C’est assez clair. Sur la grande précarité, la Ville n’a aucune compétence en matière d’hébergement. Légalement, c’est la préfecture. En revanche, la Ville fait de l’accompagnement social en direction des personnes qui sont à la rue. Elle organise elle-même une maraude, elle a ouvert « La Bulle », un espace de soins et d’hygiène pour les sans-abri. Et bien sûr, la Ville soutient les associations qui tentent de venir en aide à ces personnes, par l’intermédiaire de subventions ou d’aides matérielles au cas par cas. La responsabilité de la prise en charge de ces publics dépend donc essentiellement de l’État, la Ville n’intervient que dans des interstices pour faire en sorte que leur vie soit le moins pénible possible et la période pendant laquelle ils seront à la rue soit la moins longue possible.

Depuis votre arrivée à la tête de la municipalité strasbourgeoise, vous avez renforcé les moyens, humains par exemple ?

Floriane Varieras : Oui. Au niveau de la maraude du CCAS, il y a cinq personnes désormais, contre trois auparavant. Par ailleurs, 2 500 personnes étant domiciliées juridiquement au point d’accueil de ce même CCAS à la Place de l’Étoile, nous avons renforcé à la fois les personnels d’accueil et les travailleurs sociaux. Il y a bien sûr la prise en charge des personnes sous addiction, qui ne sont pas toutes des personnes dans la précarité. Et puis, même si ça n’entre pas dans leurs obligations légales, la Ville et l’Eurométropole ont financé 400 places d’hébergement qui rentrent dans le pot commun géré par le SAIO. Mais pour répondre à votre interrogation initiale sur l’augmentation des sans-abri dans nos rues, je pense plutôt qu’il y a des situations qui se cristallisent, Gutenberg étant un exemple et pas mal d’autres qui sont mouvantes, certaines disparaissant, d’autres réapparaissant…

Patrick Adler : Il y a bien sûr cette augmentation de la précarité constatée au niveau national. Mais avez-vous constaté précisément une augmentation du nombre des SDF après l’abrogation de l’arrêté municipal anti-mendicité agressive ?

David Allard : Je me permets d’intervenir sur cette question, si vous permettez. Je vais donner un avis apolitique. Je pense que cette mesure n’avait aucun intérêt et que ses motivations étaient essentiellement politiques. Elle a été prise pour des raisons politiques. Et abrogée pour des raisons politiques aussi…

Floriane Varieras : Pour répondre à votre question le plus précisément possible, la situation à Strasbourg est plus liée à l’augmentation générale de la précarité. Mais il y a aussi un effet Covid. On a réussi globalement à limiter les dégâts pour les personnes à la rue, je trouve, même si on a eu à faire face à pas mal de personnes qui auraient dû être prises en charge par des instituts psychiatriques et qui ne l’ont pas été parce qu’il n’y avait pas de place ou seulement pendant trois semaines, alors Floriane Varieras que ce délai n’était pas suffisant pour soigner ces gens. Un problème qui perdure d’ailleurs et face à ce problème, la Ville est bien sûr très démunie…

Floriane Varieras ©Nicolas Rosès

Pour en arriver aux solutions qu’il faudrait mettre en oeuvre, dont certaines nouvelles, pourquoi pas, que pourrait-on imaginer pour apporter ne serait-ce qu’un début d’amélioration à la situation très tendue qu’on connaît ?

Gabrielle Clar : Les réponses sont au niveau de la politique nationale, et pas seulement à Strasbourg. Il n’y a qu’à voir au niveau des migrants, par exemple : on a à faire à des gens qu’il faut prendre en charge pendant des années parce que leurs dossiers ne sont pas traités dans des délais acceptables. Si on leur donnait des papiers plus vite, plus vite on les sortirait de la précarité, et on aurait plus de places à terme dans les logements d’urgence. Une autre politique au niveau national permettrait de dégager plus de moyens pour les travailleurs sociaux, ce qui permettrait de sortir de la rue une bonne partie des gens qui y sont actuellement. Ce n’est pas juste à Strasbourg qu’on a à gérer la politique d’accueil, la politique du logement. Nous, les associations, on est là pour faire de l’urgence, finalement. On fait du colmatage…

Patrick Adler : A-t-on l’exemple de pays comparables au nôtre où on pratique différemment et où des résultats peuvent être analysés ?

Floriane Varieras : Il y a la Finlande qui pourrait nous inspirer. Ils ont lancé le modèle du housing first, le logement d’abord. Strasbourg fait partie des premières villes en France qui ont souhaité expérimenter ce système qui a bénéficié de budgets d’État. Il a vraiment démarré l’an passé : un travailleur social dédié va accompagner la personne, trouve un logement avec elle et l’accompagne tant qu’elle le souhaite. L’arrêt éventuel du suivi n’interrompt pas l’accès au logement, car la personne est détentrice du bail, comme n’importe quel locataire. Mais il a fallu au moins six ans à la Finlande pour commencer à afficher des résultats probants…

Florian Gesnel : Il faut bien reconnaître que le système de logement « à la française » a atteint ses limites. Le logement social est lui aussi impacté par les prix du logement à Strasbourg. Il va bien falloir trouver le moyen qu’il puisse se développer sur ses besoins spécifiques, sans quoi on n’y arrivera pas via le seul parc privé. Concernant les personnes dans la précarité, rien dans leur parcours n’est linéaire. Ça prend du temps pour qu’une personne soit prête à habiter seule. Ça ne marche pas toujours et l’action sociale, ça coûte cher. La précarité est d’ailleurs son parent pauvre… et ça prend beaucoup, beaucoup de temps pour que les gens parviennent à en sortir… Les gens n’arrivent pas spontanément à la rue, c’est la société qui les y mène. Et certains sont très abîmés : je connais le cas de l’un d’entre eux qui a pu bénéficier d’un logement pérenne. Il a fallu six mois, entre le moment où on lui a remis ses clés et sa décision d’y passer sa première nuit…

Éric Demonsant : Il faut à mon sens que Strasbourg poursuive ses efforts sur sa politique du logement d’abord. Ça fait sens. L’idée est bien de dire que c’est à nous, acteurs publics ou associatifs, de nous adapter aux besoins spécifiques de la personne et d’y répondre. Dans toute cette problématique, le manque de logements abordables est criant. Les propriétaires qui lisent Or Norme savent-ils qu’il existe un dispositif très intéressant pour eux qui leur permet de confier la gestion de leur bien à une association qui va prendre le bail à son nom et ensuite, le louer à une personne en situation précaire ? À mon avis, ce type de dispositif est mal connu et pourtant, il garantit au bailleur privé le versement d’un loyer régulier, sans vacances locatives.

David Allard ©Nicolas Rosès

Florian Gesnel : Et si ce propriétaire concède un loyer plus modeste que dans le parc privé classique, il peut même défiscaliser une partie de ses revenus…

Floriane Varieras : Au niveau de l’Eurométrople, il y a aussi la plateforme FAC’il qui permet ce système que vous évoquez… Mais, au niveau de la politique municipale, je pense qu’il faut miser beaucoup sur le logement d’abord, c’est une voie très prometteuse…

Gabrielle Clar : La société dans laquelle nous vivons est malade… c’est le principal problème.

Florian Gesnel : Cependant, que ce soit au niveau des associations ou des politiques publiques, il y a un énorme boulot qui est fait. Mais c’est un boulot d’interstices qu’on a du mal à remarquer… »

Réunis autour de Jean-Luc Fournier, directeur de la rédaction de Or Norme et Patrick Adler, directeur de la publication (de dos), de gauche à droite : David Allard, Gabrielle Clar, Florian Gesnel, Floriane Varieras et Éric Demonsant.