Thierry Danet « On navigue à vue et c’est le pire des schémas… »

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– article publié dans Or N°38 dans le cadre du dossier SOS Culture –

Joint une première fois à la mi-juillet, Thierry Danet nous avait incité à attendre la veille-même de notre bouclage pour pouvoir s’exprimer en parfaite connaissance des évolutions de la crise sanitaire. Un mois plus tard, à la mi-août, le boss de La Laiterie n’en savait finalement pas beaucoup plus. Sa structure dont le cœur d’activité est la programmation de « concerts debout », est à l’épicentre de l’élaboration des protocoles ministériels… et de l’attentisme des pouvoirs publics. Et rien ne le pousse à l’optimisme, même minimal. Il faut lire son plaidoyer…

La passion de l’homme est bien connue, elle ne s’atténue nullement avec le temps qui passe. Son éloquence défie toutes les conventions et lui a déjà permis de remporter bien des combats. C’est pourquoi il faut écouter le désarroi de Thierry Danet sans trop l’interrompre car les mots viennent assurément des tripes…

«  Nous n’avons aucune vision sur les semaines et les mois qui viennent et je crains que ce soit ainsi pendant de longs mois encore car, au fil de la communication gouvernementale, toute décision est reportée de semaine en semaine. Le type de musique qu’on propose n’a aucun sens sans ces concerts « debout » et nous sommes donc dans la pire situation qui soit. Le 6 juin dernier, en organisant sciemment un concert qui respectait strictement les dispositions en cours, la distanciation notamment, nous avons démontré l’inanité du concept pour nous : 50 personnes parsemées dans la salle figées sur des croix peintes sur le sol : il est évidemment impossible de fonctionner dans ces conditions-là…

Depuis la mi-mars, nous avons perdu 60 concerts car leur reprogrammation sur cet automne reste hautement improbable. Les tournées nationales et européennes ne se reconstituent pas sur un claquement de doigt, les « routing » (l’enchainement cohérent des dates en fonction de la planification géographique des salles, notamment -ndlr) sont impossibles à mettre sur pied rapidement. On essaie de faire le max pour ne pas compromettre la saison qui vient mais on sent bien que ça parait très compromis de pouvoir assurer des concerts cet automne. Rien ne se débloque en ce sens, septembre est d’ores et déjà fichu, octobre très compromis, et on est plus qu’inquiets pour novembre-décembre…

Il y a surtout cette impuissance des pouvoirs publics de dire les choses clairement. Il est impossible pour nous de nous adapter dans ces conditions car on navigue à vue en prévision de la rentrée et ça, pour nous, c’est le pire des schémas. Et bien sûr, l’inquiétude devient presque une angoisse quand on songe à nos structures de recettes : 70% de notre budget est assuré par nos ressources propres, concerts et produits annexes des concerts. Sans cette activité, notre viabilité est frappée de plein fouet, d’autant qu’il est difficile de discuter avec les élus locaux.

Avec quelques autres directeurs des salles les plus actives du pays – La Laiterie en est, avec une dizaine d’autres- , nous essayons de faire prendre conscience au ministère d’un constat probant : c’est quoi un pays où ce type de musiques-là est complètement à l’arrêt et où les jeunes qui les plébiscitent ne peuvent plus se rassembler pour vivre ensemble l’expérience de leur musique ? On le voit, c’est un sujet qui dépasse largement le seul domaine artistique, on est dans le social et le sociétal.
Que va décider l’Etat ? On a tellement de mal à entrevoir les perspectives. Ce flou nous empêche d’y voir clair. C’est très pénible, c’est angoissant et c’est exténuant de se battre à l’aveugle sans avoir vraiment les armes en main… »

CR : Nicolas Rosès

 

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