Un groupe facebook a recueilli des milliers de témoignages de voyageurs écoeurés par le fiasco du REME

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Article publié dans le cadre du dossier « L’incroyable fiasco du REME »   (Or Norme N°48 en mars)  à découvrir également en ligne

À l’époque des réseaux sociaux, le citoyen possède au fond de sa poche l’arme ultime : son téléphone mobile. Alors, coincés dans des trains surbondés ou amassés sur des quais de gares à scruter désespérément les écrans d’information de la SNCF, les usagers ont été des milliers à publier des photos de leurs galères et à écrire des lignes où la colère se mêlait au désabusement. Près de 1 500 d’entre eux se sont fédérés via un groupe Facebook…

Vanessa Mikuczanis, 51 ans, est secrétaire à Strasbourg. Chaque matin, elle part de la petite gare de Soultzen- Forêts, à 40 km au nord de Strasbourg, et y revient en début de soirée. Sa gare se situe sur la ligne Strasbourg – Haguenau – Wissembourg, à environ 45 minutes de la capitale alsacienne. Cette ligne était bien sûr (et reste) un des grands axes concernés par le REME.
« Beaucoup s’imaginent que j’ai créé le groupe “TER Grand Est –Le ras-le-bol des usagers” quand la grande pagaille du REME s’est déclenchée, mais non… » précise d’entrée Vanessa. « J’ai créé ce groupe début novembre, un peu plus d’un mois avant le lancement du REME, car j’étais très excédée par les retards et les suppressions de trains qui étaient déjà très nombreux. On se rendait bien compte que la SNCF n’avait pas assez de moyens humains et matériels. Dans mon esprit, ce groupe devait servir à discuter entre les usagers de cette ligne, notamment pour recenser l’ensemble des problèmes qu’ils rencontraient quasi quotidiennement, alors. À un mois du lancement du REME, je me souviens que nous étions tous très positifs, nous pensions que les 800 trains supplémentaires par semaine et leur cadencement toutes les demi-heures tels que c’était annoncé allaient régler tous les problèmes.
Et la catastrophe est arrivée. Décembre et janvier ont été un cauchemar. Très vite, j’ai mis une pétition en ligne, nous en sommes à ce jour (le 10 février dernier) à quasiment 2 800 signatures, je n’aurais jamais pensé qu’elle rencontrerait un tel succès. J’ai également écrit à tous les élus de la Commission des Transports de la Région Grand Est et bien sûr à Mme Dommange, la directrice de TER Grand Est. Dans ces courriers, j’évoquais bien sûr la catastrophe des innombrables retards et suppressions, mais aussi, forte des témoignages des usagers de ce groupe, la question des horaires qui chamboulent tout dans la plupart des petites gares desservies via les omnibus. La plupart du temps, les gens s’étaient déjà résolus à rejoindre une gare plus grande que celle qui était à proximité pour que leurs enfants accèdent à leur établissement scolaire à des horaires normaux… »
On lui pose bien évidemment la question qui nous brûle les lèvres sur les suites données à ses courriers, mais aussitôt, Vanessa nous livre sans surprise la réponse : « Bien évidemment, personne ne m’a répondu.  Mais je sais très bien qu’ils surveillent de près nos publications sur Facebook. On a quand même obtenu 50 % de réduction sur nos coûts d’abonnement pour février-mars- avril, alors qu’on avait demandé un remboursement depuis décembre. Alors aujourd’hui, on se doute bien que le bazar va durer au moins jusqu’en avril. Ce dédommagement est loin d’être suffisant, les gens sont contraints de prendre leur voiture ou de faire du covoiturage et ils continuent quand même à prendre leur abonnement pour pouvoir profiter des trains qui roulent normalement. Déjà que beaucoup d’entre nous ont dû négocier des changements d’horaires de travail pour pouvoir coller aux nouveaux horaires… »

De sa position de gestionnaire du groupe Facebook qu’elle a initié, Vanessa se dit non surprise par la colère des gens : « Je les comprends parfaitement. En ce qui me concerne, je suis déjà excédée, mais je reconnais que les problèmes sur ma ligne sont bien mineurs comparés à ceux rencontrés un peu partout ailleurs. Certains usagers sont dans une grande colère et il y a de quoi. J’ai des témoignages incroyables : cette dame, par exemple, qui est au chômage et qui m’a avoué qu’elle a renoncé à chercher du travail, car elle ne peut plus compter sur le train. Elle sait très bien qu’elle sera systématiquement en retard et qu’elle ne pourra pas conserver longtemps un éventuel job. C’est arrivé à une autre personne qui me l’a écrit : CDD non renouvelé à cause des retards trop systématiques. Un autre m’a dit songer à changer de boulot pour ne plus avoir à prendre le train. Ça va loin quand même, c’est incroyable, non ? »
Et quand on revient sur la perception fine que devraient avoir les décideurs de la SNCF sur ce que Vanessa appellera à plusieurs reprises le « grand bazar », elle laisse tomber : « Pardon d’être vulgaire, mais je crois qu’ils s’en foutent. Heureusement, ce n’est pas le cas de la Région, je dois même dire que je suis agréablement surprise par le fait que M. Thibaud Philipps se démène un max pour alléger nos difficultés. De l’avis général, rien ne bouge. On attendait une mise en place efficace du REME au mois de janvier, après la catastrophe de son premier mois d’ouverture. Janvier devait donc être un mois de rodage, à écouter la SNCF. Fin janvier, toujours le même bazar. Depuis le début février, il parle d’un trafic normal pour la fin avril, mais tous les jours, vous entendez bien, tous les jours, le bazar continue. Preuve en est avec les omnibus dont la suppression handicape lourdement des milliers de gens : ils devaient être rétablis après le 6 février. Et bien, à part un arrêt qui a été rétabli à Limersheim où les gens avaient pétitionné en masse, rien, alors que nous sommes aujourd’hui le 10… »

Le groupe Facebook initié par Vanessa Mikuczanis est désormais tellement fréquenté qu’elle songe sérieusement à s’adjoindre quelqu’un qui l’aidera à répondre aux interrogations et sollicitations de ses adhérents. « C’est devenu lourd tout ça. Et j’ai dû aussi répondre aux questions de beaucoup de journalistes que le sujet du fiasco du REME intéressait. Je suis devenue bien malgré moi un peu experte en la matière » rajoute-t-elle en maniant une autodérision assumée : « J’explique comme personne les galères des usagers, ces petits-matins sur le quai de la gare quand, ne voyant rien venir, on s’accroche quand même à une appli pas toujours fiable qui nous a indiqué une heure et demie auparavant que le train allait circuler. Retards, suppressions intempestives, excuses bidons que je pourrais vous réciter par coeur : défaillance de matériel, indisponibilité du matériel, indisponibilité du personnel et celle-là, la fameuse “régulation du trafic”, à la tête du hit-parade et qui revient si souvent. Si j’ai bien compris, c’est à cause de la gare de Strasbourg qui est engorgée et qui reçoit en priorité les TGV et les autres trains grandes lignes et internationaux. Nous, on vient de notre petit coin entre Haguenau et Wissembourg, alors on est bons pour attendre, dix, quinze, quelquefois vingt minutes dans le train. On attend, on attend, on attend… Tous les jours, aux heures de pointe, on a droit à cette folie super stressante ! » Il faudrait aussi parler des nouveaux horaires du REME qui ont été établis sans toujours tenir compte des correspondances :
« Je viens de recevoir un courrier d’un voyageur qui, chaque jour, part de Hoerdt en direction d’une gare sur la ligne Strasbourg- Bâle. Quand son train arrive à Strasbourg, il n’a qu’une minute pour galoper et sauter dans son deuxième train ! C’est pas du n’importe quoi ça ? » interroge-t-elle dans un sursaut de colère avant de conclure, ahurie : « Et dire qu’on nous incite aujourd’hui à prendre les transports en commun pour lutter contre le réchauffement climatique… »

Vanessa Mikuczanis a mis en ligne la page Facebook TER Grand Est –Le rasle-bol des usagers © Nicolas Roses