Arsmondo 2018 : L’Opéra Le Pavillon d’Or
L’Opéra national du Rhin innove et lance la première édition d’un nouvel événement qui, chaque printemps, fera dialoguer histoires et cultures venues d’un pays où l’opéra tient une place qui n’a rien à envier à celle qu’il occupe en Europe, son berceau. Pour la première de Arsmondo (quel joli nom !), Eva Kleinitz, la directrice de l’ONR, a choisi le Japon, autour de la création française du Pavillon d’Or, tiré du roman de Yukio Mishima.
La création française de l’opéra Le Pavillon d’or de Toshiro Mayuzumi sera au cœur de la première édition de Arsmondo. Cet opéra est directement inspiré du roman du sulfureux auteur japonais Yukio Mishima.
À partir d’un fait divers qui a eu un colossal retentissement dans le Japon d’après-guerre, Mishima a écrit un roman troublant sur la puissance dévastatrice de la beauté.
Le feu ravageur
En ce mois de juillet 1950, le Japon est bien sûr encore impacté par le traumatisme subi avec les bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki. Une nouvelle va alors stupéfier une bonne part du pays : un de ses monuments les plus célèbres et les plus sacrés, le Pavillon d’Or, qui se dresse depuis plus de cinq siècles sur les hauteurs boisées de Kyoto, vient de brûler ! Plus tard, on apprendra que l’auteur de ce forfait est un jeune moine novice du temple Rokuonji, dont le Pavillon d’Or faisait partie. Peu de temps auparavant, ce moine, arrivé six ans plus tôt, avait été menacé d’être exclu par le prieur de Rokuonji, étant devenu au cours des années précédentes un homme dérangé, solitaire et pour tout dire, exécrable avec ses pairs.
C’est à partir de cette menace d’exclusion que ce moine aurait commencé à préparer son méfait, qu’il finit donc par mettre à exécution au début de mois de juillet 1950. On le retrouva prostré et hébété à quelques centaines de mètres du temple. Durant son interrogatoire, il avoua avoir eu primitivement l’intention de brûler vif à l’intérieur, avant de s’enfuir, complètement paniqué. Quant à ses motivations profondes, le jeune moine avoua succinctement avoir décidé de brûler le Pavillon d’Or par « haine de la beauté ». Il ne commenta pas plus et s’enferma ensuite dans un profond mutisme dont il ne sortit plus jamais.
Une des raisons qui explique le retentissement considérable de ce fait divers dans le pays est à rechercher dans le symbole même de la destruction de ce haut-lieu spirituel du Japon. Cinq ans auparavant, la population de Kyoto et celles de nombre d’autres villes du pays avaient vécu des heures d’infernale angoisse après avoir appris la nouvelle de l’anéantissement des deux villes par les bombes atomiques américaines. Durant plus de trois semaines, entre le 6 août 1945 date de l’explosion de la bombe au-dessus de Hiroshima et le 2 septembre, date de la capitulation du Japon, les populations de la plupart des autres grandes villes du pays avaient jour et nuit craint que le feu atomique s’abatte sur elles aussi. C’est pourquoi, cinq ans plus tard, la nouvelle de l’incendie du Pavillon d’Or avait créé tant d’émoi : le temple sacré, véritable monument national, avait échappé durant cinq siècles aux catastrophes naturelles, aux guerres, aux exactions de toutes sortes et avait finalement été épargné par l’holocauste atomique de 1945 mais n’avait pas résisté à la folie humaine, fût-elle individuelle. Dans un Japon meurtri et exsangue, la nouvelle provoqua un nouveau séisme…
Le chef d’œuvre d’un tout jeune romancier
En juillet 1950, Yukio Mishima avait tout juste 25 ans. Issu d’une famille paysanne de la région de Kobe, le jeune Kimitake Hirakoa (son nom de naissance) se révéla très tôt très doué pour l’écriture, écrivant sa toute première petite histoire à l’âge de douze ans et dévorant ensuite les livres d’Oscar Wilde, de Rainer Maria Rilke et les œuvres classiques japonaises. Adolescent fragile et tourmenté, on lui proposa d’écrire dans la société de littérature de son école. C’est là qu’il se choisit son pseudonyme de Yukio Mishima.
Convoqué par l’armée japonaise durant la seconde guerre mondiale, il usa d’un subterfuge pour échapper à l’enrôlement, prétendant souffrir de la tuberculose. Plus tard, il avouera se sentir coupable de cet acte et consterné de ne pas avoir eu le courage d’affronter une mort héroïque.
Diplômé de l’université, il fut en 1947 recruté par le ministère des Finances du Japon mais démissionna très vite pour se consacrer à sa passion, l’écriture. Après quelques ouvrages qui lui apportèrent un beau début de notoriété, il écrivit Le Pavillon d’Or en 1956, fasciné par l’histoire officielle de l’incendie et la personnalité de son auteur.
Personnage tourmenté, complexe, ambivalent (marié, père de deux enfants mais homosexuel caché), Mishima essaya de combattre sa fragilité en se forgeant un corps d’athlète, se laissant complaisamment prendre en photo où il exhibait son physique musculeux. Ses opinions politiques évoluèrent lentement d’abord, puis beaucoup plus fortement vers la fin de sa vie vers un ultra-nationalisme radical.
Le 25 novembre 1970, juste après avoir posté son dernier roman à son éditeur, il se rend à l’École militaire du ministère des Armées, prend en otage le général commandant en chef des forces d’auto-défense et incite les troupes à entamer avec lui un coup d’État nationaliste. Constatant le refus des soldats de le suivre dans cette aventure, il se donne la mort par hara-kiri avant de se faire décapiter par un de ses disciples, selon la tradition rituelle d’un rite ancestral japonais, le seppuku.
La première française à l’Opéra national du Rhin
L’opéra Le Pavillon d’Or a été composé par Toshiro Mayuzumi, qui fut un proche de Mishima. Il présente, de façon lancinante, la profonde nuit de l’âme du jeune moine qui a incendié le temple sacré. Un flux musical sombre et envoûtant est illuminé par des éclats étincelants. Sa création au Deustche Oper de Berlin en 1976 fut un réel événement.
La production de l’Opéra du Rhin sera dirigée par le chef d’orchestre Paul Daniel, à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg avec une mise en scène de Amon Miyamoto, ces deux artistes faisant ainsi leurs débuts à l’Opéra du Rhin avec la création française de cette œuvre puissante.