Dounya et sa fondatrice ont l’Afrique au cœur
« J’ai découvert l’Afrique et sa culture avant la danse » prend soin de préciser Claudine Pissenem, la fondatrice incroyablement punchy de la Compagnie Dounya, l’école strasbourgeoise de danse africaine qui, forte d’un bouche-à-oreille élogieux depuis treize ans, accueille toujours plus d’élèves de tous âges…
C’est, au mois de juin de chaque année, le même rituel qui s’installe pour un week-end au Dôme, la salle de spectacle de Mutzig, à une demi-heure de Strasbourg. La Compagnie Dounya y organise ses spectacles de fin d’année. Dis comme cela, l’information a sans doute un petit côté fête scolaire : il n’en est rien, les spectacles de Dounya sont réputés, chaque année, pour leur professionnalisme et leur haut niveau technique.
Claudine Pissenem, 45 ans, est la fondatrice de Dounya et, bien sûr, la chef d’orchestre de ces grands rendez-vous. Elle se souvient que la jeune ado qu’elle était dans sa Haute-Saône natale « fuguait dans les boîtes de nuit locales pour danser jusqu’à plus soif –et filer au toilettes dès les premières notes des slows car on n’était pas là pour ça », rigole-t-elle encore aujourd’hui. Arrivée à Strasbourg pour suivre des études de médecine, Claudine abandonnera vite la filière pour obtenir une double licence, biologie et ethnologie.
Le coup de foudre pour la danse africaine surviendra à l’âge de vingt ans lors d’un cours de danse presque impromptu suivi lors d’un séjour au Burkina-Faso. « La puissance des tambours, une énergie incroyable, cette force et cette puissance qui m’attiraient… Je n’ai eu de cesse de pouvoir retourner là-bas durant les années d’étudiante. J’ai travaillé pendant huit ans avec des Africains de Côte-d’Ivoire, ce fut une formidable école de travail, de rigueur et d’apprentissage, ponctuée par des concerts et des courts de percussions. On a vraiment beaucoup travaillé » se souvient-elle « mais on s’est séparé car eux voulait continuer l’aventure de la scène et moi, je savais déjà que je voulais transmettre, je me sentais vraiment faite pour ça. Dounya est née de cette certitude il y a huit ans désormais… »
La joie brute de la danse
400 élèves (de l’âge de quatre ans jusqu’aux adultes) répartis en quatre sections (Débutants, Débutants 2, Intermédiaire et Avancé) dansent chaque semaine au sein de Dounya. « C’est parce que j’ai fait la route de la danse africaine avant eux et que je sais qu’elle est longue et difficile que je peux être aussi exigeante pour mes élèves, au même titre que cette discipline est exigeante en elle-même » commente Claudine Pissenem. « La danse africaine est un méconnue, à côté de la salsa ou de la danse orientale par exemple » poursuit-elle « mais elle progresse bien. Cette année, le Centre chorégraphique de Strasbourg a ouvert des locaux magnifiques et les propose à quelques compagnies, dont la mienne. J’en suis évidemment ravie ! En prolongation des heures de cours que je donne dans le cadre de Dounya, je monte aussi des projets avec des écoles, grâce à des dispositifs particuliers mis en place par l’Education nationale. Les enfants manifestent spontanément la joie brute qu’ils prennent à danser. Mouvement et dynamique sont les maître-mots avec eux. On leur donne à voir et à ressentir. Ils se branchent vraiment très vite sur cette énergie-là, ils sont vite conquis… Pour revenir à Dounya, sachez que l’école fonctionne sans un seul euro de subvention publique. La Compagnie fonctionne avec les revenus des cours qu’elle prodigue, à ses élèves et aux écoles et le revenu de ses spectacles. On y parvient grâce à cette belle équipe qui m’entoure, le bureau de l’association, et aussi tous les danseurs qui s’investissent à fond avec moi. Dounya est plus qu’une école de danse, c’est une famille, on partage beaucoup plus que les apprentissages, on partage la joie d’être sur scène, la joie de créer, de se remettre en question et on cultive l’amitié. Il y a des bébés Dounya qui sont nés de rencontres entre des élèves ; Quand ils grandissent, ils se mettent eux-même à danser, ils sont incroyablement brillants. Autant d’expériences uniques qui aident les individus à se construire… »
« Je me sens redevable à l’Afrique… »
Claudine voue une véritable passion pour l’Afrique, c’est évident. « Je ne suis pas Africaine » nuance-t-elle fermement, « je ne fais que parler de l’Afrique, de sa culture que je connais bien puisque j’ai dû y séjourner une quarantaine de fois. Je connais sa littérature, sa musique et tout cela fait que je me sens porteuse de tant et tant de choses, je me sens tant redevable à l’Afrique. En Europe, les gens connaissent peu le continent africain car la lucarne médiatique qu’on lui réserve est minuscule. C’est un continent jeune, avec une énergie qu’on n’a plus chez nous depuis longtemps. 40% des Africains ont moins de 25 ans ! Cette Afrique-là, qui est inventive, est porteuse de plein d’espoirs mais on ne l’entend que trop peu. Elle est plus mature qu’on ne le pense : au Burkina Faso après un énième coup d’Etat, le dictateur a été chassé démocratiquement, sans effusion de sang. La garde présidentielle de l’ancien président a tenté cet été un putsch militaire. Le peuple s’est levé et a dit non ! L’armée a fini par le soutenir et tout est rentré dans l’ordre. Un gouvernement de transition a été installé et il prépare de nouvelles élections… »
Quand elle parle de sa chère Afrique, les yeux de Claudine Pissenem deviennent vite incandescents : « Il faut combattre tous les clichés qui circulent : une Afrique pauvre, des gens qui ne travaillent pas… Chez nous, en Europe, on a peur des émigrants alors qu’ils peuvent être porteurs d’une formidable énergie de vie. On devait au contraire les soutenir. L’avenir ne se fera pas en Europe car nous sommes devenus trop peureux. Je ne sais pas s’il se fera en Afrique mais si l’élan qui a porté le peuple du Burkina Faso se transmet à d’autres pays alors oui il y aura toutes les chances pour que l’avenir s’écrive là-bas. Malgré tout, je ne l’idéalise pas l’Afrique de mon cœur. Je la vois telle qu’elle est et surtout comme porteuse d’énergie pour ce vieil occident qui décline. Alors je dis à tous les lecteurs d’Or Norme : venez ! Venez danser, venez investir votre corps dans l’instant, venez vous relier à vous-même et aux autres avec la danse africaine ! » conclut cette formidable passionnée.
Photos : Médiapresse – dr