Fondation Louis Vuitton

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La folie Chtchoukine

La légendaire collection du collectionneur russe Sergueï Chtchoukine n’avait jamais quitté la Russie depuis sa quasi mise sous séquestre par les révolutionnaires bolchéviques de 1918 et encore plus par Staline, ensuite. 130 chefs-d’œuvre absolus (la moitié de la collection) sont enfin visibles à la Fondation Louis Vuitton à Paris. Profitez de vos congés de fin d’année pour vous y rendre : certains ont attendu des décennies pour admirer ces merveilles !

Imaginez… Imaginez un rêve d’amateur d’art. Des salles qui se succèdent comme autant d’écrins délicats et d’une si belle sobriété. Une orgie de chefs-d’œuvre, des Gauguin, Cézanne, Matisse, Courbet, Derain, Picasso, Monet, Rousseau, Signac… comme s’il en pleuvait. Quasiment tout l’art moderne du début du XXème siècle accroché là, sous vos yeux, juste pour vous…

Ce rêve est devenu réalité et il se poursuivra jusqu’au 20 février prochain (au moins, car au vu des foules immenses qui se pressent aux entrées, une prolongation paraît d’ores et déjà plus que probable). Ouverte depuis deux ans à peine, la Fondation Louis Vuitton nous offre ainsi un inoubliable rendez-vous…

Paul Gauguin | Or Norme

Une légende du XXème siècle

Il est des vies qui sont des chefs-d’œuvres à elles toutes seules. Celle du collectionneur russe Sergueï Chtchoukine fait partie de celles-là., puisque c’est bien un seul et même homme qui a réalisé cet exploit de réunir tant de toiles prestigieuses.

Ce fils d’un opulent négociant en textile de la Russie tsariste de la fin du XIXème siècle aurait pu se contenter de suivre les traces paternelles en dirigeant quelques prolifiques sociétés commerçant avec l’Europe voisine. C’était sans compter avec son coup de foudre pour l’art académique russe qui, d’abord, l’incita à l’acquisition et lui communiqua le virus du collectionneur. Mais ses voyages à Paris, pour les affaires, eurent vite raison de sa destinée d’industriel. Au contact quasi quotidien des impressionnistes français, son destin prit très vite un tour déterminant. Revendre sa collection de peintres russes lui procura un supplément de fortune appréciable… qu’il décida immédiatement de consacrer à quelques achats à Paris. Un premier tableau de Monet dès 1898 puis, rapidement, les premières toiles de Degas, Toulouse-Lautrec, Pissarro, Renoir… A peine une poignée d’années plus tard, il investit sur une nouvelle vague qui, dans le contexte de l’époque, les années 1905 et suivantes, constituait un pari plutôt risqué, même si les toiles ne se négociaient pas très cher à l’époque. Bingo, puisque ces peintres alors quasi inconnus s’appelaient Cézanne, Gauguin, Van Gogh… Un peu plus tard, ce furent Matisse, Picasso… Plein d’autres encore, jusqu’à constituer la plus belle collection d’art moderne au monde, 275 toiles pour être précis.

On apprend dans le catalogue (forcément magnifique) de l’exposition que Sergueï Chtchoukine a toujours eu l’objectif de réunir sa collection dans un musée de sa chère Russie. Malin en terme d’achat d’art, il se révéla aussi plus que lucide sur la destinée de son pays. Dès 1913, soit quatre ans avant la révolution bolchévique, il avait déjà transféré ses avoirs financiers à l’étranger. Mais il dut précipitamment s’exiler à Paris en 1918, abandonnant sa précieuse collection au néo-pouvoir communiste. Le mystère règne encore aujourd’hui sur la fin de sa vie et sur les raisons précises qui le firent se couper totalement du milieu de l’art. Chtchoukine est mort en 1936, âgé de 82 ans, sans voir pu admirer ses trésors une dernière fois.

L’avènement de Staline eut pour effet d’enterrer sa collection dans le tombeau de l’obscurantisme de ces années de terreur rouge. La moitié des tableaux fut stockée dans les réserves du musée de l’Ermitage de Saint-Petersbourg (ou plutôt Leningrad, à l’époque), l’autre moitié au musée Pouchkine à Moscou où elles dormirent jusqu’aux années 1980. Après la perestroïka de Gorbatchev, elles refirent peu à peu leurs réapparitions dans les collections permanentes de nouveau visibles par le public.

Ces décennies de mise sous séquestre contribuèrent pour beaucoup à la fabrication de la légende de la collection Chtchoukine. Inutile de chercher plus loin les raisons du succès de ce formidable événement que constitue l’exposition « Icônes de l’art moderne » à la Fondation Louis Vuitton.

Vladimir Tatlin : Nu | Or Norme

130 chefs-d’œuvre…

Oui, pas moins de 130 chefs-d’œuvre vous attendent sur les quatre niveaux du musée du Bois de Boulogne. D’emblée, il faut saluer le merveilleux accrochage de Anne Baldassari, la commissaire de l’exposition, qui montre ainsi l’étendue de son talent, elle que d’obscures manigances éloignèrent du musée Picasso du quartier du Marais, juste au moment de sa réouverture il y a deux ans. Les linéaires qu’elle propose sont parfaitement agencés en de multiples salles, en autant de formidables ambiances. La salle Gauguin, empreinte d’une belle sérénité, réunit seize tableaux majeurs réalisés lors des deux séjours du peintre à Tahiti. Lors de son premier achat d’une toile de Gauguin, Chtchoukine avait dit : « J’ai acheté cet homme fou ! »

Les salles Matisse sont incroyables, elles réunissent les chefs-d’œuvre réalisés par le peintre durant les quinze premières années du XXème siècle. Au tout début de l’exposition, deux salles consacrées aux impressionnistes sont dominées par plusieurs toiles de Monet dont les sublimes « Mouettes » perdues dans la brume de Londres, une toile jamais sortie de Russie auparavant, qu’on peut donc enfin admirer aujourd’hui de nos propres yeux.

Evidemment, Anne Baldassari a pris grand soin de l’accrochage des salles consacrées à son cher Picasso, qu’elle sut magnifier au Grand-Palais parisien il y a sept ans . Le collectionneur possédait cinquante toiles du peintre espagnol, dont une forte majorité peintes lors de ses années les plus remarquables, entre 1901 et 1915.

Enfin, en plus des génies français du début du XXème siècle, l’exposition montre aussi une trentaine d’œuvre de peintres russes de l’époque.

C’est la première fois que ces 130 chefs-d’œuvre sortent d’un coup du territoire russe, quelques rares d’entre eux ayant déjà été prêtés ici ou là. L’ensemble des visas de sortie avaient déjà été signés par le ministère russe de la Culture et c’est Vladimir Poutine himself qui devait inaugurer l’exposition parisienne le 21 octobre dernier, visite officiellement reportée en raison de tensions diplomatiques entre la Russie et la France.

On notera, pour être aussi complet que possible, que ce rêve d’amateur d’art a pu être possible en raison également du fort soutien accordé par le groupe LVMH, auquel appartient la Fondation Louis Vuitton, en faveur de nombre de musées russes. Parfait symbole de ce soutien de la multinationale française, la restauration de « L’atelier rose » de Matisse jusqu’alors en trop piètre état pour supporter un voyage et qu’on peut admirer, somptueux, dans une des salles consacrées à ce monstre de la peinture du XXème siècle…

 

Icônes de l’art moderne
Fondation Louis Vuitton
8 Avenue du Mahatma Gandhi –  75016 Paris

Un peu à l’écart des transports en commun dans le Bois de Boulogne, la Fondation est facilement accessible par de fréquentes navettes électriques à partir du haut de l’avenue de Friedland, sortie Friedland de la station de métro/RER Charles de Gaulle-Etoile (2 € A/R)

Ouverture chaque jour de 9h à 21h (23h le vendredi soir)

Compte-tenu du succès de l’exposition, il est plus qu’impératif de réserver sa place via le site de la Fondation : www. fondationlouisvuitton.fr

FLV ENTREE | Or Norme

Photos : Fondation Vuitton –  Musée de l’Ermitage Saint-Petersbourg – Musée Pouchkine Moscou – Galerie Nationale Tretiakov Moscou –  Or Norme