Mariame Clément : Barkouf, ou un chien au pouvoir
Pour sa dixième production à l’Opéra national du Rhin, rencontre avec Mariame Clément qui revisite et met en scène l’œuvre censurée de Jacques Offenbach.
Or Norme : Quel est votre rapport avec Strasbourg et l’Opéra national du Rhin ? On vous y sent attendue de façon toujours plus chaleureuse…
Mariame Clément : – « J’adore cette ville. L’Opéra national du Rhin est l’endroit où j’ai le plus travaillé et j’ai chaque fois le sentiment de revenir chez moi. J’y ai débuté comme assistante avant que l’on ne m’y confie une première création, ce qui est rare. Et plus ça va plus je me dis que pour moi c’est le genre de maison idéale par sa taille, son niveau artistique extrêmement bon et ses ateliers dont la réputation est assez unique. Tout cela sans avoir l’inconvénient des énormes maisons qui peuvent être des machines à produire. J’ai traversé trois changements de direction qui sont toujours plus de raisons de faire ses preuves. J’ai pu y faire des choses très différentes, on m’a laissé avoir de l’audace. Simplement pour dire que si je suis attendue, ce qui me ravit, je m’attends moi-même !
O.N. : En termes d’audace, cette nouvelle production l’est à plusieurs égards
– J’avais déjà monté La Belle Hélène à Strasbourg, mais Eva Kleinitz (directrice de l’OnR) m’a réellement surprise en me confiant Barkouf, ou un chien au pouvoir. C’est un honneur et une responsabilité de monter un opéra d’Offenbach qui n’a plus été joué depuis 1860. Il a été créé à l’Opéra-Comique, ce qui était très important pour Offenbach qui signait aussi sa collaboration avec Eugène Scribe, le grand librettiste de l’époque. Ils ont été détruits par la cabale et censurés, ce que l’on comprend très bien quand on lit le livret parce qu’il est explosif, irrévérencieux politiquement et absolument génial. C’est tout de même surprenant que Barkouf n’ait pas été repris jusqu’à ce jour.
O.N. : Dans le journal Le Figaro, Jacques Offenbach avait prévu les attaques qu’il allait subir
C’était brillant et courageux de sa part. Il avait compris que pour des raisons politiques, de jalousies et de rivalités aussi il s’exposait à ce qui allait arriver et cela sans rapport avec la qualité artistique de son œuvre. Il est évident que son génie de mélodiste est opérant comme jamais. Dès la première semaine de répétitions nous avions en tête tous les airs, paroles et musiques. C’est d’autant plus flagrant qu’il n’existe aucun enregistrement.
Vous avez réécrit les dialogues ?
Si la musique reste intemporelle, c’est quand même un répertoire où il est d’usage de réécrire les parties parlées, ce que nous avons fait avec Jean-Luc Vincent. C’est une tradition plutôt justifiée dans le sens où un certain humour assez référencé tout comme certains codes de narrations peuvent avoir vieilli. Barkouf, ou un chien au pouvoir fait partie de ces œuvres qui n’ont pas forcément été pensées pour la postérité mais conçues pour faire mouche. On pouvait couper où réécrire des scènes au gré des réactions du public. D’ailleurs, dans ce fil comique reliant cette époque à la nôtre, Louis de Funès pourrait représenter une sorte de chaînon. Nous avons beaucoup pensé à lui en travaillant.
O.N. : On vous sait sensible à la parole des femmes. D’une certaine façon vous réhabilitez celle d’un homme. Jacques Offenbach va être heureux, 2019 marque l’année du bicentenaire de sa naissance.
– En dehors de l’admiration que j’ai pour son œuvre il m’est extraordinairement sympathique. C’est un immigré qui représente typiquement l’esprit français du second empire alors qu’il est d’origine allemande, c’est merveilleux. Et ses personnages de femmes sortent complètement du moule et du carcan de l’opéra, il a cassé tous les codes. Dans Barkouf on a tout de même une femme qui gouverne, en traduisant les aboiements d’un chien !
O.N. :Vous faites partie des rares femmes faisant de la mise en scène d’opéra
J’aime profondément l’opéra mais il est indéfendable sur la question des femmes. Alors la difficulté serait-elle de leur demander de mettre en scène des œuvres habitées de clichés sexistes ? Je dois dire que lorsque ces œuvres me sont confiées, il m’est particulièrement exaltant de les amener à travers un autre prisme !
O.N. : Qu’auriez-vous envie de dire à Jacques Offenbach?
Bravo. Et merci. »
Plus d’infos :
Barkouf ou un chien au pouvoir
Strasbourg-Opéra du 7 au 23 Décembre
Mulhouse-La Filature 6 et 8 Janvier
Quelques images des répétitions