MIKE SWAPE, de Kinshasa à Stras, les maux pour royaume…

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Des mots qui claquent, qui frappent. Slam. Mike. Swape. Beaux arts. Origine : Kinshasa. Débarqué à la Hear de Strasbourg en 2012 pour y poursuivre ses études, à la faveur d’un partenariat universitaire qui n’existe plus. Six ans après, dans la chaleur de l’Abyssinia, première fois que je croise son regard. Bug spatio-temporel, limite, de ne jamais avoir croisé ce gars, depuis tout ce temps qu’il est là.

Savons d’Hélène, Kitch’n, Strasbourg mon amour, Bibliothèques idéales, Forum mondial de la Démocratie… Pas forcément, les plus grandes scènes, même dans les cas les mieux couverts, mais sentiment, quand même de « fail » magistral. Parce qu’impossible de passer à côté. Impossible de ne pas le voir, dreads en vrac plantées sur le haut du crâne, bras de manchot et élégance des maux pour plus belle arme. Ce soir de resto, rue Déserte, des artistes, des journalistes, des auteurs, qui passent à table. Personne ou presque ne fait alors attention à Mike. Juste un gars sympa, fondu dans la petite foule de notables. Plusieurs musiciens passent tour à tour, pour faire découvrir leurs dernières compos. Musique et confidences entre deux verres de Che. La soirée passe; se passe; bien. Puis vient cet instant, où avec son groupe du Kinshasa Musée Poétique, fondé il y a deux ans à peine, Mike se met au mic.

Chienne de vie

Deux notes, peut-être trois et la force des mots qui déchirent et se déclinent en Chienne de vie, écrite à Kinshasa, alors qu’il n’était pas encore là. 25 ans, alors : sa mère à qui il doit tout, partie rejoindre les anges. Un père absent qui, quelque temps après, s’est souvenu qu’il avait un premier fils, auquel il confiera dans un dernier souffle qu’il est fier de lui.
Puis une situation précaire, qui se déchaîne. Sans revenus, l’héritage familial dilapidé, Mike vit de débrouillardise, rassemble des artistes peintres autour de lui, à qui il demande de réaliser des portraits d’administrateurs d’entreprises privées ou d’artistes internationaux de passage.
Puis ce slam, qu’il cherche à développer dans la capitale avec le soutien inconditionnel de quelques amis qui n’ont de cesse de le motiver : « Tu écris, tu as cette faculté, alors vas-y ». « Ils ont mis en place un conseil des ministres autour de moi et m’ont incité à reprendre l’écriture », en partie délaissée à l’âge de 14 ans, faute de trouver le bon flow. « Camille Dugrand qui était alors étudiante à Science-Po Paris a commencé à me rapporter des recueils de slam, de rap et d’autres romans à chaque fois qu’elle venait sur Kinshasa ».
Mike accumule alors les griffonnages en bas de pages, travaille, tel Ferré, à donner du rythme à sa vie et à se susciter l’espoir de lendemains qui chantent. Son ami Djo Bolankoko y croit depuis le début, le pousse dans cette voie, du Congo jusqu’en France. L’Institut français, l’Académie des Beaux-arts, l’ambassade d’Espagne le suivent dans cette démarche : créer la première scène de slam locale. La chose marche, mais pas suffisamment encore pour franchir la marche qui le sépare d’une sécurité sociale. Puis vient cet échange universitaire avec la Hear, dans lequel il s’engouffre, pour finir ses études à Stras.

Redécoller, tout seul, comme un moineau…

Mike Sapwe, in « La Révolution Est L’Oeuvre D’Art D’Une Femme » à l’Aubette en novembre 2018.

Les arts décoratifs lui apportent une nouvelle forme d’exigence, de rigueur, de remise en question.

Rejet total du confort de création. Perte de confiance, un certain temps. Mike, incapable d’écrire, tel ce gamin de 14 ans. Flashback. « Puis, en observant le travail artistique de mon ami Arno Perf Luzamba, j’ai commencé à construire ma propre identité artistique, de Voltaire à Handicapable, un projet sur le handicap, qui lui permet de « redécoller, tout seul, comme un moineau ».
Et puis, il y a Marie. Marie Otmesguine. Ancienne prof d’anglais à la fac. « Une dame juive-marocaine de 70 ans qui organise des cafés des poètes dans des bars de Strasbourg, « Pendant deux ans, cette femme sera comme une tante pour moi, m’apportera la lumière dans mes difficultés ». Marie lui présente les lieux, les personnes importantes de sa nouvelle capitale. Lui fait voir les choses autrement et, surtout, lui (re)donne force et courage.
L’écrivaine Fatou Diome, aussi, en marge des Bibliothèques idéales, l’invite à lui déclamer dans la rue son poème Chienne de vie. Emue, elle prend son numéro de téléphone, le rappelle le lendemain, lui offre un recueil avec une belle dédicace et l’encourage à son tour à ne rien céder de son talent d’écriture. Au café des poètes, Mike rencontre aussi Saida Theophile, qui l’invite en 2016 à déclamer ses textes à Strasbourg Mon amour. Suit une invitation à se produire la même année, Arno et lui, aux Bibliothèques idéales, en première partie de l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou, avec leur projet artistique développé à la Hear, « J’ai épousé Voltaire », en référence à cette langue que sa mère ne cessait de son vivant de lui rappeler avec fierté qu’elle était sienne.

Suivent d’autres scènes entre Paris et Stras. Avec la mémoire, toujours, humble et discrète de ce parcours, jusqu’à la petite salle de l’Abyssinia : « Mon stylo et moi surfons sur les belles vagues du slam pour cette pratique qui est l’écriture », déclame-t-il. « J’ai les armes / ma poésie n’attend pas le r.s.a / elle prépare plutôt la vendetta / Prends ce sageme, comme un roi sans couronne / mais à 8.000 kilomètres déclenchant un extrême cyclone / des fois, mon intellect déconne / et mon inspiration sans permission s’envole. / Malgré les difficultés, je garde mon stylo / ma fierté, mon royaume, ma couronne ».
Avant, qui sait, visa artistique et piles de livres sous le bras, de s’envoler vers d’autres territoires, à l’occasion d’un premier EP et recueil de textes en prépa, pour rappeler, depuis une France de plus en plus fermée à sa propre altérité, que les mots peuvent encore écrire les plus belles pages de son Histoire.