Vanessa Schneider, l’insouciance assassinée

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Vanessa Schneider, grand reporter au Monde, est la (jeune) cousine de Maria Schneider, l’inoubliable actrice du « Dernier tango à Paris » disparue il y a sept ans à l’âge de 58 ans . Dans son livre, la journaliste évoque avec tendresse et pudeur la vie tourmentée de Maria et sa carrière d’actrice irrémédiablement marquée par la scène infernale tournée avec Marlon Brando, alors qu’elle n’avait pas vingt ans…

Par une douce matinée ensoleillée de début juin dernier, Vanessa Schneider nous rejoint sur la terrasse d’un petit hôtel coquet comme tout, à deux pas des Grands Boulevards parisiens. « Le livre vient juste d’être envoyé à la presse, c’est ma première interview à son sujet » dit-elle, à deux doigts de paraître timide, ce qu’elle n’est bien sûr pas.

Et tout de suite, on évoque avec elle le sujet quasi central de son livre : cette famille qu’on qualifie « d’un peu déglinguée, dans le sens où on l’entendait dans les années 60/70 » et qu’elle requalifie aussitôt de « plutôt dysfonctionnelle », sans rien éluder cependant. « Finalement, ce type de famille était fréquent à cette époque et il y en a encore beaucoup comme cela » commente-t-elle. « Mais c’est vrai, il y avait dans ma famille un concentré sans doute plus fort que dans d’autres de drogue, d’alcool, de suicides… Je pense cependant qu’aucune famille ne peut prétendre être totalement épargnée par la folie. Et dans ce contexte, Maria est pour moi le symbole de tous ces dysfonctionnements familiaux. Elle en a été actrice et victime, tout à la fois… »

Une vie

« C’est un livre que j’ai écrit à hauteur de petite fille, très souvent… » commente-t-elle en faisant écho à l’importante différence d’âge entre Maria et elle (17 ans). « Maria était la fille de la sœur de mon père et de l’acteur Daniel Gélin » qui, « marié avec l’actrice Danielle Delorme, ne l’a reconnue que bien plus tard, par voie de presse ». « Je l’ai cependant bien connue lors de mon enfance et de mon adolescence car elle était alors très présente à la maison puisqu’elle avait vécu chez mes parents avant ma naissance. J’avais avec elle un double rapport : de fascination, d’abord, car quand j’étais petite, je l’ai connue au top de sa célébrité. Quand Le dernier tango à Paris est sorti sur les écrans français, je n’avais que quatre ans… J’ai été bien sûr très impressionnée par son mode de vie : elle connaissait personnellement des gens dont on voyait noms et photos dans les magazines, elle voyageait beaucoup, elle vivait une vie trépidante dans des endroits invraisemblables… En même temps, elle était très inquiétante pour les enfants que nous étions alors, mon frère et moi, à cause de la drogue et cette forme de violence et de folie que nous percevions déjà. Quand je suis arrivée à l’âge adulte, la différence d’âge s’est bien sûr estompée. Vers la fin de sa vie, on s’est de nouveau beaucoup côtoyées… Mais ce n’est pas moi qui aie été la plus proche d’elle alors, je ne veux surtout pas m’attribuer un rôle que je n’ai pas eu. Maria avait une compagne qui lui a consacré toute sa vie, jusqu’à sa mort, sans jamais l’abandonner, même dans les plus durs moments. Elle ne veut pas apparaitre, c’est pour ça qu’elle est peu présente dans le livre. Brigitte Bardot avait recueilli Maria un peu comme une petite sœur à un moment-clé de sa propre vie, l’annonce de la fin volontaire de sa carrière, qui a correspondu, pour Maria, aux lendemains immédiats de la sortie du « Dernier tango ».  Brigitte, qui lui a été fidèle jusqu’au bout et a tenu à régler la facture de ses obsèques m’a un jour posé cette question : « Et toi, qu’as-tu fait pour elle ? » Je lui ai répondu que j’ai été présente au maximum, comme beaucoup dans notre famille. En dehors de l’enfance, j’ai eu un lien particulier avec Maria, à un certain moment. Toutes deux nous avions signé un contrat pour un projet de livre mais ça ne s’est jamais fait et c’était d’ailleurs devenu comme une sorte de blague entre nous. Le livre qui sort en cette rentrée vient donc de cet autre livre-là… Mais ce n’est évidemment ni la même histoire ni le même ouvrage.  »

Avec un infini respect dans la voix mais sans rien minimiser ni des événements ni des faiblesses des un(e)s et des autres, Vanessa Schneider va consacrer de très longues minutes à évoquer la vie de sa cousine Maria, ce père célèbre qui depuis la naissance « n’a rien assumé »,  cette mère « pas très aimante, en tout cas mal aimante » et ces « choses qui étaient presque écrites d’avance, même si on ne pouvait bien sûr pas prévoir qu’elle ferait du cinéma, qu’elle serait à ce point célèbre à un certain moment mais c’est vrai qu’elle était née dans un environnement familial qui ne lui a jamais prodigué la moindre sécurité affective : tout cela ne lui a pas permis de gérer cette célébrité et surtout les conséquences liées à son rôle principal dans Le dernier tango à Paris… »

La descente aux enfers

On a aujourd’hui du mal à imaginer le scandale provoqué en 1972 par la sortie de ce film du réalisateur italien Bernardo Bertolucci. L’immense majorité du public (que le film ait été vu ou pas) ne retiendra vite que cette scène de sodomie jouée par l’immense Marlon Brando et la toute jeune Maria Schneider au détriment d’une œuvre dominée par la parfaite évocation de la solitude et de la détresse humaine face au sentiment d’abandon total. Cette histoire de la courte mais tragique relation purement sexuelle entre un quadragénaire américain désespéré et une jeune femme française à la beauté envoûtante mérite encore aujourd’hui beaucoup mieux que la notoriété saumâtre due à cette scène d’une violence inouïe.

« Bien sûr, il s’agit d’une scène jouée et simulée par deux comédiens et en aucun cas vécue réellement par les deux acteurs. Mais toute sa vie durant, Maria aura été impactée par cette scène-là, tout, sans cesse, tout le temps, aura été ramené à ça. Au moment où elle tourne ce film, c’est son premier grand rôle, elle a dix-neuf ans et on sait maintenant que cette scène ne figurait nulle part dans le scénario du film. Elle a totalement été improvisée et imposée la veille du tournage par un Bertolucci cynique qui plus tard, ira jusqu’à dire qu’une actrice doit se soumettre à toutes les « exigences artistiques » d’un réalisateur. Maria ne se remettra jamais de ce traumatisme-là : sans cesse, et malgré qu’elle ait tourné ensuite avec Jack Nicholson dans Profession reporter d’Antonioni, on la ramènera dans cette case-là. D’ailleurs, elle a reconnu elle-même que c’est au lendemain du tournage du « Dernier tango » qu’elle a basculé dans la drogue » précise Vanessa.

Si le livre s’attache bien sûr à ne pas se cantonner à cette seule période de la vie de sa cousine, il impressionne cependant par les enchainements inéluctables qui l’auront amenée à tant de souffrances. Ce récit subtil et passionnant raconte longuement ces années 70 qui furent peut-être celles de la fin d’une certaine insouciance, sur fond de rock’n roll, de drogue et de liberté sexuelle. Et c’est aussi pour ça qu’il résonne aussi profondément aujourd’hui…

Une scène particulière surprend et bouleverse à la fois. Bien plus tard, Maria croisera Bernardo Bertolucci lors d’un festival de cinéma au Japon. Elle ne savait évidemment pas qu’il se trouvait là lui aussi. Quand un maladroit ou un ignorant les a présentés l’un à l’autre, Maria a répondu sèchement au « bonjour » emprunté du réalisateur par une « gifle » : « Je ne connais pas cet homme ». C’est la réplique exacte prononcée par son personnage Jeanne, interrogée par la police alors qu’elle vient de tuer Paul, joué par Marlon Brando, à la fin du film.

La photo la plus récente de Maria Schneider disponible sur le net date du 1er juillet 2010, elle a été réalisée pour une interview qui est parue dans Libération quelques mois avant sa mort. Les cheveux gris conservent une vague trace des belles boucles frisées des années 70, le visage s’est considérablement émacié et les lèvres de Maria sont devenues très fines. Mais ses yeux noirs restent tout aussi incandescents et le menton se relève imperceptiblement, comme pour marquer la volonté inexpugnable de faire face.

C’est sûrement cette incandescence-là que Bertolucci a dû subrepticement lire dans le regard de Maria, lors de leur dernière rencontre au Japon. Sans doute aura-t-il alors baissé les yeux…

« Ce livre est pour toi, Maria. Je ne sais pas si c’est le récit que tu aurais souhaité, mais c’est le roman que j’ai voulu écrire. » écrit Vanessa Schneider au dos de la couverture de son huitième livre. Ce récit est superbe…

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