Visages villages : le délicieux miel des rencontres
Ce début d’été marque, comme à chaque fois, une certaine disette en matière de bons films en salles. Pourtant, depuis le 28 juin dernier, un petit joyau n’attend que vos yeux et votre âme, grand ouverts.
Visages villages, c’est d’abord la rencontre entre Agnès Varda et JR.
Elle, 89 ans, la coupe au bol bicolore, ses yeux ne voyant plus très bien, manifeste toujours cet extraordinaire et immuable entrain qu’on lui connaît depuis la lointaine Nouvelle Vague dont elle fut l’une des rares réalisatrices.
Lui, 34 ans, photographe inspiré, cachant ostensiblement ses yeux derrière ses sempiternelles lunettes noires, colle depuis treize ans sur les murs du monde ses clichés géants en revendiquant leur caractère éphémère.
Souvent, il les imprime à partir d’un camion sophistiqué qui lui sert de labo sur roues.
Ils sont donc partis tous les deux sur les routes de France, à la recherche de ces gens authentiques « qui ont des choses à dire ». De voyage en voyage, de rencontre en rencontre au fil de cette année à peine entrecoupée de retours à leurs projets personnels, le film déroule le scénario de cette belle rencontre entre deux artistes dont les chemins ont manifestement réussi à se croiser au bon moment.
Les Français anonymes
Du nord de la France (avec le portrait de Jeannine qui sera la dernière à quitter sa cité minière condamnée à la démolition) au Luberon (le bon facteur de Bonnieux) en passant par les falaises et les bunkers des plages normandes (avec cette mer grise qui effacera en une nuit la trace sublimement apaisée du photographe disparu et ami d’Agnès Varda, Guy Bourdin), les deux complices photographient et affichent en XXL les visages de ces Français anonymes qui tous ont pris le temps de se poser pour raconter leur histoire.
Oh ! ce sont des histoires simples, des histoires de chèvres dont il ne faudrait surtout pas cautériser les cornes à la naissance pour éviter qu’elles se blessent plus tard au moment de produire leur précieux lait ; des histoires d’ouvriers à la veille de leur pré-retraite et qui se sentent comme « au bord de la falaise » ; des histoires de femmes de dockers dont les portraits géants collés sur les containers du port du Havre affichent le soutien indéfectible à leurs maris ; des histoires de ces gens qui passent systématiquement sous les radars de la pseudo-modernité ambiante et mondialisée mais des histoires qui sont les nôtres, tout simplement les nôtres…
Magnifiquement, le film échappe à l’éternelle tare des docs « road movie », la difficulté à boucler avec une fin à la hauteur des 90 minutes précédentes. Là, (et on ne vous dira évidemment rien qui viendrait gâcher votre surprise et votre plaisir), la lumière de la salle se rallume sur les yeux embués des spectateurs. Il ne s’agit pas, bien sûr, d’une émotion hollywoodienne à deux balles mais bien la conséquence magique d’avoir vécu ces moments de vie incroyables, précieux et bienveillants en compagnie de deux très grands artistes contemporains. Avec cette belle allégorie d’un flambeau qui se transmet facilement, quand les talents sont si éclaboussants.
⇒ Ce petit bijou, dont on fait le pari que vous ne l’oublierez pas de sitôt, est actuellement sur les écrans du Star à Strasbourg (horaires, cliquez ici).