Yasmina Khouaidjia , de « Thrill » à « Touch me »…

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Rencontre avec une commissaire d’exposition qui a de la suite dans les idées et qui nous revient pour un grand rendez-vous plein de belles et bonnes surprises…

Or Norme : On vous a connu à l’époque de l’organisation de votre première grande exposition, « Thrill » en 2011 à l’Ancienne Douane, mais quel est votre parcours ?

Yasmina Khouaidjia : « Je suis née à Strasbourg, j’y ai fait mes études et j’y ai construit ma famille. Après un DEA en droit privé à l’université Robert Schumann j’en ai fait un autre à Paris et puis j’ai commencé à travailler à mi-temps dans une banque, mais dès la fin de mes études, avec quelques amies nous avons créé la galerie associative Impact qui existe donc depuis l’an 2000. On a fait plusieurs expos et la deuxième avait lieu dans les anciennes glacières… C’était très impressionnant.Entre 2000 et 2005 on a réussi à faire une exposition par an que nous financions nous-mêmes. À la ville, Norbert Engel fut notre premier soutien et je me souviens très bien d’une première aide de 10 000 Fr. qui représentait beaucoup pour nous à l’époque.
Entre 2005 et 2011 je me suis consacrée essentiellement à l’éducation de mes enfants mais la quarantaine arrivant je me suis rapprochée d’une autre association avec l’idée et l’envie de monter Thrill ensemble.
Et comme toujours depuis nos premières expos avec ce goût pour l’échange avec le public autour des œuvres et autour de la vie des gens. Et Thrill c’était beaucoup ça !
J’en suis ressortie épuisée mais cette exposition m’a beaucoup appris sur moi, sur ma force de travail : en même temps que je cherchais les artistes et que j’organisais le catalogue j’ai assumé mon rôle de maman… Et je me suis aperçu que les gens me faisaient confiance y compris les politiques et les artistes. Alors bien sûr tout n’était pas parfait et on a fait des erreurs, mais je crois avoir réussi à tirer les leçons de cette expérience et en 2015, j’ai quitté mon job à la banque car j’avais déjà en tête une prochaine exposition.

ON : Alors quelle est la genèse de cette biennale d’art contemporain ?

YK : J’avais très envie d’organiser un événement d’envergure à Strasbourg car je ne supporte plus la centralisation à la française, et comme je passe beaucoup de temps à Berlin, je constate qu’il y’a une ouverture d’esprit et un regard sur l’avenir très différents grâce à la sensibilité de cette ville pour l’art contemporain. C’est là que j’ai compris à quel point cette sensibilité pouvait donner une vision de l’avenir différente sur notre époque et j’ai considéré que c’était important pour moi, pour mes enfants et qu’en fait ça concernait tout le monde.
Alors j’ai commencé par aller voir Alain Fontanel pour faire le bilan de Thrill et valider avec lui s’il était possible que Strasbourg puisse accueillir un événement encore plus ambitieux. De suite, je lui ai dit que le lieu serait fondamental. Alors j’ai écrit le projet, je suis repartie à Berlin plusieurs fois et je suis retournée le voir en évoquant différents lieux possibles. J’avais d’abord pensé à la Manufacture des tabacs mais j’ai très vite découvert que l’Hôtel des postes allait changer de destination. J’ai réussi à rentrer en contact avec un responsable de chez Bouygues à qui j’ai parlé du projet et qui s’est montré de suite intéressé mais ensuite ça a duré encore un an jusqu’à obtenir un accord écrit de la Poste. Ce lieu était devenu ma priorité car il est complètement connecté avec le sujet sur les télécommunications et le numérique qui est l’axe central de la biennale.

ON : Pourquoi avoir choisi ce thème ?

YK : C’est en aidant ma fille à faire un exposé sur Léonard de Vinci que j’ai compris à quel point notre époque ressemblait à celle de la Renaissance. Même si je n’ai pas fait d’histoire de l’art je prends la mesure de ce qu’on traverse et là, j’ai le sujet de cette exposition qui arrive, et en me demandant qui peut nous guider sur la vision de ce que peut engendrer l’arrivée du numérique, je pense de suite aux artistes et aux hackers.
En tant que citoyenne, mais aussi en tant que maman, j’ai besoin de comprendre où on va mais je refuse le langage négatif de la peur qui engendre des positionnements politiques dans la fermeture et la haine. Je n’ai pas envie d’élever mes enfants là-dedans, voilà pourquoi j’ai pensé que les artistes étaient les mieux à même de nous montrer des chemins différents…

ON : Comment avez-vous sélectionné les artistes présents ?

YK : Il y a des artistes que j’avais découverts dans des expositions à Berlin et d’autres que j’avais vu à Paris. Puis en discutant avec mon scénographe, la liste s’est enrichie. Ce qui nous a guidés, c’était l’envie de montrer une exposition qui ne soit ni sur une approche trop technique ni trop anxiogène. Cette expo va s’adresser à tous, aux parents, aux enfants, et à tous ceux qui ont du mal à comprendre la transformation que nous vivons. Il y a beaucoup de gens qui se sentent exclus de ce que nous traversons, quelque soit leur âge ou leur condition. Alors je me suis dit que ce serait bien de trouver des artistes qui mettent le public à l’aise et qui nous offrent un miroir où l’on peut aussi rire de nos propres usages, et nous regarder à travers leurs œuvres. Et vous verrez en même temps que derrière chaque œuvre, il y a une prise de position très forte de chacun de ces artistes qui sont avant tout des citoyens engagés. Il y a quelque chose de très politique dans leur démarche.
Mon souhait est qu’à la sortie de cette exposition, les gens le sourire et aussi la conscience qu’ils ont encore le contrôle, qu’ils ont encore le choix et la possibilité ne pas dire oui à tout ! Tous les artistes sont pour un usage intelligent du numérique, notamment pour partager nos connaissances afin de mieux communiquer, d’échanger, et d’arrêter d’avoir peur… mais l’arrivée des GAFA et les contrôles mis en œuvre par les États ont douché l’enthousiasme des débuts d’Internet . C’est tout ça qui m’interroge, et voilà pourquoi je me suis dit que ce n’était pas un seul sujet, mais plusieurs sujets et qu’on allait donc imaginer une biennale autour de ce thème du numérique : cela fait 25 ans qu’on est rentré dans cette ère et les questions ne vont cesser d’arriver… On est sur un temps long et voilà pourquoi je suis persuadée que cette biennale peut durer sur ce thème. Et le faire à Strasbourg où Gutenberg a inventé l’imprimerie me paraissait une évidence !.. »

Biennale d’art contemporain de Strasbourg
1ère édition « Touch Me » – du 15.12.18 au 03.03.19
Hôtel des Postes de Strasbourg
www.biennale-strasbourg.eu

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