L’oeil du collectionneur au MAMCS

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Strasbourg aime ses collectionneurs d’art

En matière d’art, le Rhin reste une vraie frontière entre l’Allemagne, la Suisse, et notre hexagone… D’une rive à l’autre, les comportements des collectionneurs diffèrent, quelquefois considérablement.

Outre-Rhin, les collectionneurs privés suisses ou allemands présentent volontiers leurs œuvres (et pas seulement dans les galeries des grandes agglomérations). Pour les plus fortunés d’entre eux comme Beyeler à Bâle, Burda à Baden-Baden et même l’industriel Würth au sein de son unité alsacienne d’Erstein, ils créent musées ou fondations pour exposer au grand jour leurs collections.

C’est là que le pari de Strasbourg est audacieux. On imagine sans peine qu’il a bien fallu prendre le temps de convaincre les collectionneurs privés de la ville et de la région d’exposer leurs œuvres au MAMCS. Le résultat est formidable et, pour une fois, Strasbourg donne la leçon à bien d’autres grandes métropoles françaises en concentrant sous la lumière des projecteurs le meilleur de ses collectionneurs d’art.

Robert Mapplethorpe coll Musée - Ornorme

Robert Mapplethorpe

Après une première vague de quatre collections depuis la rentrée (dont celle du regretté Marcel Burg qui nous a quittés le 3 septembre dernier sans avoir pu assister à l’hommage de sa ville), le MAMCS met en lumières cinq nouveaux collectionneurs jusqu’au printemps prochain : Lionel van der Gucht (Le désir est partout – 90 artistes), Madeleine Millot-Durrenberger (Comme une respiration- 67 artistes), Jean Brolly et un collectionneur anonyme (Voies de la peinture figurative contemporaine – 10 artistes) et un dernier collectionneur qui a souhaité garder l’anonymat (Collectionner les formes – 25 artistes).

De vrais passionnés

Impossible ici, faute d’espace suffisant, de détailler la richesse de ces ensembles imposants qui présentent tous ce qui paraît être la caractéristique la plus importante qui soit pour un collectionneur : la cohérence. En outre, le musée a laissé chacun d’entre eux entièrement libre de présenter ses œuvres comme il l’entendait, ce qui renforce l’intérêt d’une telle exposition.

On lira avec attention, plus avant, les belles réflexions de Madeleine Millot-Durrenberger sur sa passion de collectionneuse. Mais c’est une autre caractéristique commune aux neuf collectionneurs qui auront joué le jeu avec le MAMCS qui saute aux yeux ; leur démarche est à des années-lumière des pratiques devenues usuelles aujourd’hui en matière d’art contemporain : cette espèce de frénésie spéculative d’un malsain total qui préside aux transactions, ces golden-boys largement incultes en matière d’art et qui n’ont que les ratios d’investissement que leur confirment nuit et jour le tableur excel qu’on leur a greffé dans le cerveau. L’art comme une marchandise précieuse, un simple levier pour des plus-value toujours plus mirifiques.

Pauvres enfants du siècle si éloignés des vrais collectionneurs qui avec patience et simplement forts de leurs goûts et de leur flair ont constitué lentement mais sûrement un patrimoine artistique à la hauteur de leur passion. Ce n’est pas le moindre des mérites de cette exposition strasbourgeoise de nous le rappeler avec autant de superbe…

« Ce qui compte, c’est la rencontre avec l’artiste… »

MADELEINE MILLOT-DURRENBERGER - Ornorme

MADELEINE MILLOT-DURRENBERGER

Son lumineux appartement du boulevard de la Victoire à Strasbourg est parsemé d’œuvres d’art et pas seulement de photographies. Madeleine Millot-Durrenberger nous y reçoit, presque surprise qu’on s’intéresse à sa passion de collectionneuse : « Tout a commencé avec une photographie que j’ai achetée à un réfugié politique, au début des années 1980. Je dirais que cet acte initial a été un pur hasard car, bien sûr, je n’avais rien imaginé d’autre que de l’aider. Mais ce fut le début de ma collection. Puis on a réussi à réunir d’autres photos de lui et avec quelques clichés de ses copains, ce fut une petite exposition dans une galerie parisienne. Peu à peu, je me suis mise à acheter. Mes moyens n’étaient pas énormes mais il faut dire que l’achat de photos était alors loin d’être aussi onéreux qu’il ne l’est devenu depuis. Il y avait alors des usages comme celui de se voir offrir par l’artiste une troisième photo après avoir acheté les deux premières… ». Madeleine fait ainsi allusion à l’emballement qui a saisi le marché de la photo d’art : « Les jeunes photographes ont vite rompu avec ces pratiques vertueuses. Certains n’étaient pas loin de penser que si Cartier-Bresson vendait certains de ses clichés 18 000 €, et bien l’une ou l’autre de leur photo pouvait partir à 10 000 €… »

Devenue donc collectionneuse presque par hasard, comment a-t-elle peu à peu réussi à réunir les plus de 1 300 photos originales qu’elle possède aujourd’hui ? « En fait, la mécanique s’est enclenchée naturellement » se souvient-elle. « Avec quelques photos, j’ai fait une première expo. Ce n’était même pas une vraie collection mais très vite, j’ai trouvé mon angle : présenter le travail des auteurs pour le partager avec le public. En faisant tout moi-même : l’encadrement, notamment, il ne me viendrait même pas à l’idée, même aujourd’hui, que quelqu’un d’autre que moi s’en charge. J’encadre, je transporte et j’accroche ! Ce fut le cas aussi pour la collection que je présente au MAMCS. J’ai obtenu de pouvoir exposer autant d’œuvres que je souhaitais et de les accrocher à ma façon. Et comme je tenais à en montrer le plus possible au public, l’accrochage sera plus serré, plus dense, loin du savoir-faire d’un musée. Je préfère un travail moins propre en quelque sorte mais qui m’est plus personnel. J’assume tout » dit-elle en souriant, nous confiant qu’elle réalise ainsi une moyenne de trois expos chaque année.

« Je n’achète quasiment que des photos de contemporains car tout chez moi est basé sur la rencontre, c’est mon crédo en tant que collectionneuse. Je ne suis pas spécialement attirée par les photographes classiques, plutôt par les artistes qui finissent par utiliser la photo comme vecteur d’expression. Mes rencontres avec eux sont souvent magiques et même ensuite, je poursuis mes conversations avec eux, je n’arrête pas de correspondre, le dialogue reste constant, même longtemps après la rencontre initiale. Pour beaucoup d’entre eux, on est loin du simple acte d’achat, c’est toute une vie qui se déroule. Récemment, j’ai pu rencontrer un photographe très connu. Très malade, il ne se rend même plus à ses propres vernissages dans les galeries parisiennes qui l’exposent. Il a voulu me rencontrer juste pour me dire qu’il souhaitait vraiment figurer dans un document que j’éditais. Il a refusé de se rendre à la FIAC (surtout pas, m’a-t-il dit) mais, malgré sa maladie et sa fatigue, on s’est rencontré dans un petit bistrot de quartier. Il a mobilisé toute son énergie et son courage pour poser pour moi et l’édition que je prépare, lui qui fuit depuis longtemps les mondanités et les choses surfaites. Ma démarche lui a plu et bien entendu, pour moi qui ne fonctionne qu’avec la magie et le carburant de l’échange, cette rencontre fut une réelle récompense… »

Photos : Musées de Strasbourg – DR
Iconographies : Madeleine 8346 / Stéphane Coutturiez / Robert Mapplethorpe