La Scala Paris – La vie, le théâtre, l’amour…

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En un an, le théâtre La Scala à Paris a réussi son premier pari : séduire un public et faire l’actualité dans une ville et un secteur d’activité où il est devenu ardu de surprendre et durer. Derrière la façade, il y a une belle histoire d’amour, un stock assez incroyable d’énergie et une vraie passion qui ne semble pas prête de s’éteindre…

 

Si Or Norme s‘intéresse à ce nouveau théâtre qui a vraiment créé l’actualité au printemps dernier au moment de son inauguration et dans l’année qui a suivi, ce n’est pas seulement à cause de son adresse du 13, boulevard de Strasbourg, à quelques encablures de la gare de l’Est. Si nous vous parlons aujourd’hui de La Scala, c’est parce qu’une strasbourgeoise, Mélanie Biessy en est un des deux piliers.

Ensemble depuis le 11 septembre 2001…

Elle s’appelait encore Sengel quand elle est arrivée à Paris en 1995. Quelques années auparavant, elle avait quitté Strasbourg où ses deux parents, Danièle et Georges, tenait le restaurant Zimmer-Zengel dans la rue du Temple-Neuf, une véritable institution dans la capitale alsacienne. « J’avais alors 23 ans » se souvient Mélanie. « J’avais envie de voyager et m’assumer et pour cela, il me fallait rompre avec le milieu familial. Après être passée par Lyon, j’ai donc rejoint Paris pour débuter un job de fiscaliste chez France-Telecom… »
La rencontre de sa vie se fera quelques années plus tard, en septembre 2001. « C’était la fin de l’été et aussi celle d’une amourette saisonnière sans importance » se souvient Mélanie. « Et voilà que je me retrouve sur les gradins des arènes d’Arles, assise à côté d’un ami de mon copain d’alors, et je m’aperçois que ce garçon, manifestement, n’avait pas vraiment le moral… ». Lui, c’est Frédéric Biessy, 55 ans aujourd’hui, qui ne se fait pas prier pour avouer qu’il s’est alors spontanément confié à cette jeune femme que le hasard avait placé à ses côtés. « Je n’allais en effet pas très bien, j’étais en plein divorce, c’était très compliqué… ». Le courant est manifestement vite passé, comme le confirme Mélanie : « Très vite, je me suis retrouvée en pleine empathie, son histoire m’avait très émue. Puis, un peu plus tard, il m’a fait beaucoup rire. Et plus que tout, j’ai aimé l’entendre parler du métier de producteur artistique qui était le sien. J’avais toujours rêvé rencontrer un homme qui travaillait dans le monde de la culture et Frédéric côtoyait de très près le monde des artistes, montant des projets artistiques avec et autour d’eux. En fait je crois que cette rencontre a immédiatement ouvert un pan en moi qui était une partie de ma personnalité profonde que je n’osais pas exprimer jusqu’alors. L’expression artistique, je n’avais jamais pris le temps de l’explorer et la vivre. Cette rencontre m’ouvrait un champ énorme, en fait… »


« Sincèrement, sur le coup, il n’était pas du tout question d’une histoire d’amour. J’avais surtout remarqué son empathie et sa gentillesse et très sincèrement, j’avais la tête ailleurs sur le plan sentimental…. » confie Frédéric. « C’est en fait moi qui lui ai demandé son numéro de téléphone » sourit Mélanie. « Je me suis dit qu’il fallait absolument qu’on se revoit, j’ai tout de suite senti qu’une grande amitié pouvait naître, emplie d’échanges et de complicité. Je recherchais tout ça depuis longtemps, en fait… » Cette rencontre date du 9 septembre 2001. Mélanie et Frédéric se rappellent donc le lendemain et se donnent rendez-vous le jour suivant pour dîner, à Paris. Quelques heures avant le rendez-vous, Mélanie informe Frédéric par téléphone sur les tragiques événements qui se déroulent à New-York : « Ce n’est vraiment pas possible qu’on dîne ce soir comme si de rien n’était… » Après avoir à son tour découvert les images des tours qui s’effondrent, une seule idée squatte la tête de Frédéric : sauver ce dîner. Mélanie finit par se laisser convaincre et ils se retrouvent tous deux à la Closerie des Lilas, quasiment les seuls clients dans un Paris ce soir-là déserté. « Voilà, c’est comme cela que ça s’est passé et on ne s’est plus quittés… » conclut Mélanie en adressant à celui est aujourd’hui son mari un superbe sourire amoureux. Et Frédéric d’ajouter : « J’avais déjà trois enfants… Depuis, on en a eu trois ensemble avec Mélanie. Maintenant, on a donc six enfants. Et une Scala… » ajoute-t-il de façon mutine. Ce qui nous ramène au lieu où cette interview est réalisée…

Un lieu à l’histoire mythique

Car nous sommes à l’étage du restaurant du tout dernier né des théâtres parisiens, La Scala, au 13 boulevard de Strasbourg, à mi-chemin entre le Chatelet et la gare de l’Est, quasiment face au Comedia et au théâtre Antoine, ses illustres voisins. Et ce théâtre appartient à ce couple délicieux et a, lui aussi, une histoire ébouriffante.
« En fait, cette idée nait vers 2013 à un moment où Frédéric se retrouve en pleine période de doute au niveau professionnel… » précise Mélanie. « J’étais prêt à abandonner mon métier de producteur de spectacle vivant » confirme son mari. « Pour diverses raisons, je pensais que tout devenait trop compliqué car une génération entière de directeurs de théâtres, mes partenaires de base, était en train de partir à la retraite. L’idée même de devoir reconstituer un réseau me fatiguait d’avance car ma véritable passion est dans le contact direct avec les artistes avec qui je pense pouvoir monter des projets. Et c’est de nouveau Mélanie qui va avoir l’idée décisive. A cette époque, elle a monté un fonds d’investissement international qui est incroyablement successfull : « Et pourquoi ne fonderais-tu pas ton propre théâtre ? » me dit-elle…
Banco, se dit le couple. Mais encore faut-il le dénicher, ce lieu. Plusieurs visites et investigations plus tard, pas la moindre piste sérieuse. « Et puis arrive le 13 boulevard de Strasbourg… » sourit Mélanie. « Ce lieu, Frédéric l’avait déjà visité en 2010, avec son ami le comédien James Thierrée, le petit-fils de l’immense Charlie Chaplin… »

La Scala. En lui-même, ce lieu a une histoire incroyable. Ses portes se sont ouvertes pour la première fois en 1873 après que la veuve d’un richissime industriel du nord de la France, amoureuse de la Scala… de Milan, ait décidé de bâtir ce café-concert de 1 400 places. Plus tard, dans le Paris bouillonnant de la Belle époque, Mistinguett y débutera, Fréhel et Mayol y chanteront sous les yeux du tout Paris dont une certain Marcel Proust qui deviendra un habitué. Première fin de partie en 1936 : la Scala devient un cinéma style Arts Déco. La belle aventure cinématographique du lieu se terminera sordidement après l’arrivée au pouvoir de Giscard d’Estaing qui autorisera les projections de films classé X. La Scala deviendra alors le premier complexe parisien de films pornos. En 1999, nouveau virage, le X ne fait plus recette et le site est alors racheté par une église évangélique brésilienne qui voudra en faire un important lieu de culte. En vain… Abandonné, le bâtiment, largement plus que centenaire à la verrière d’origine complètement défoncée, était depuis longtemps devenu le royaume de milliers de pigeons quand Frédéric et Mélanie décident d’en faire l’acquisition il y a trois ans aujourd’hui.
Sincèrement, entendre ce couple si chaleureux nous raconter les mille et unes difficultés surmontées pour ouvrir leur théâtre est impressionnant. 19 millions d’euros ont été déboursés – Frédéric Biessy précise sans problème que la brillante réussite professionnelle de son épouse a permis cet investissement – pour que renaisse La Scala du XXIème siècle.
Le résultat est époustouflant. Depuis septembre dernier, les spectateurs se pressent dans un théâtre moderne ouvert à toutes les disciplines artistiques, un outil rêvé pour les créateurs, comédiens, metteurs en scène et artistes de toutes provenances.
La salle et ses deux balcons est entièrement modulable grâce à des gradins pouvant accueillir jusqu’à 750 personnes. Ces gradins peuvent être déplacés en quelques instants par la grâce d’un simple joystick électronique. La scène, large et profonde, se prête aux configurations les plus audacieuses. « L’acoustique est celle d’une cathédrale » s’enthousiasme Frédéric. 220 panneaux dernière génération renvoient le son parfait qui émane de près de 180 hauts-parleurs.
En nous faisant visiter leur théâtre, Frédéric et Mélanie étaient très fiers. Et ils avaient de quoi. Avec ses beaux dégradés de bleu, quel outil superbe !

Une saison plus tard…

Côté programmation et fréquentation, la première saison qui se termine a été un formidable succès. Mélanie aligne les chiffres, comme la vraie businesswoman qu’elle est aussi : « En huit mois d’exploitation, 55 000 spectateurs sont venus. Leur moyenne d’âge est de 29 ans. 32 spectacles ont été donnés et cela représente 250 levers de rideau. Parmi les spectateurs on a recensé 7000 jeunes de moins de 26 ans. De plus, 4500 élèves de 78 établissements scolaires ont découvert un spectacle… » Et la présidente de La Scala (c’est aussi son titre) de s’enthousiasmer sur ces artistes qui ont découvert et plébiscité ce nouveau théâtre et la splendide convivialité qui y règne. « Le restaurant y contribue beaucoup » reconnaît-elle « que ce soit pour un pré-spectacle en fin d’après-midi ou un dîner après le spectacle du soir avec, très souvent, la visite des artistes ». Ce que ne dit pas Mélanie, c’est que si ce restaurant est devenu un endroit si apprécié et convivial, c’est parce qu’un grand pro veille à tout : Georges, son propre père, qui a donc repris du service pour l’occasion…
Dans quelques semaines, l’actuelle saison se terminera avec une belle présence sur scène, en solo : ni plus ni moins que l’excellentissime comédien Pierre Richard, séduit par l’ambiance du lieu et qui jouera jusqu’au 16 juin puis du 25 au 30 du même mois Petit éloge de la nuit. Au programme de la future saison, Philippe Torreton jouera La vie de Galilée de Brecht (du 10 septembre au 9 octobre), on verra François Morel pour les textes de Raymond Devos (J’ai des doutes du 5 novembre au 5 janvier), Elodie Bouchez (1h30 pour s’aimer quand même, du 5 décembre au 5 janvier) entre autres avec, côté musique, un concert exceptionnel du compositeur de musique contemporaine Philippe Manoury le 10 mai…
« On va profiter de cette intersaison pour affiner plein de choses » confie Mélanie Biessy. « On s’adapte, on va recaler nos ressources humaines et recalibrer nos outils. On va continuer à aller crescendo. A La Scala, tout est possible… » sourit-elle.

On voulait vous la conter, cette belle histoire comme on les aime à Or Norme. C’est un peu comme une pièce de théâtre : une rencontre sur les gradins séculaires des arènes d’Arles qui bouscule deux destins, des timidités spontanées qui se découvrent, un amour qui se déclare un jour de tragédie mondiale où près de 4 000 vies s’éteignent en quelques heures, un destin commun qui se scelle, un vieux café-théâtre abandonné au cœur de la ville-lumière : tous les ingrédients d’un beau scénario sont là. Sauf que ce n’est ni une mise en scène, ni du théâtre…
C’est la vie, la vraie. Celle qui ne s’exprime réellement que lorsqu’on ose…

La Scala – 13, boulevard de Strasbourg – Paris (10e)
https://lascala-paris.com

 

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