Alex Lutz et Tom Dingler, l’Art de l’amitié
Il aura fallu quinze jours pour trouver une date de rendez-vous avec Alex Lutz et Tom Dingler. Entre deux tournages pour la télévision (la série Cadres Noirs pour Arte et Baron Noir pour Canal+), la quotidienne de Catherine et Liliane, son spectacle éponyme et deux films en préparation pour Alex Lutz. Tom Dingler, lui, tourne la 2ème saison de la série Plan Cœur pour Netflix et, pour TF1, la série Pour Sarah. Et pourtant ce soir-là nous sommes restés plus de deux heures ensemble, autour d’une choucroute bien sûr, pour évoquer vingt-cinq ans d’amitié.
Une blague – ils ne se souviennent plus de l’histoire – a suffi. Ils avaient seize ans. C’était au lycée Jean-Monnet à Strasbourg. Depuis son enfance Tom Dingler baignait dans une ambiance de saltimbanque (entre une mère comédienne et un père chanteur) ; Alex Lutz, lui, évoluait dans un contexte plus « strict ». Une mère enseignante et un « faux » père – c’est comme ça qu’il appelait son beau-père – chef d’entreprise… Ils étaient plutôt du style « Passe ton bac d’abord ! » Ce qu’il a fait. Mais le gamin adorait dessiner, « avec un réel talent » précise Francine, sa mère ! Et figurez-vous que Tom Dingler était adepte du graffiti ! Il y avait déjà là matière à regroupement.
La jonction artistique a eu lieu un jour de 1996 dans l’appartement que Cookie et Cathy occupaient à la Krutenau. Alex avait 18 ans et il côtoyait pour la première fois une famille d’artistes. Celle de Tom. Depuis leur rencontre ils ne se quittaient plus et là, c’est leur aventure créatrice commune future qui a commencé.
Mais en étaient-ils conscients ? Si le premier savait où il voulait aller, le second pas du tout. En 3ème, Alex avait candidaté pour une filière bac dessin. « Mais comme le reste de mon dossier scolaire était pourri » ça n’a pas marché. Son prof de français lui suggère alors de choisir une option théâtre et l’incite à faire un stage au TJP (Théâtre Jeune Public). La scène sera son nouveau dess(e)in ! Dans la foulée, il monte sa première compagnie et réalise sa première mise en scène.
Il a dix-sept ans. Tom, toujours à ses côtés, crée une association pour mettre sur pied un festival de hip-hop et de breakdance. Mais il ne sait toujours pas vraiment ce qu’il veut faire. « J’hésitais entre le tennis (son père était prof de tennis avant de « libérer la femme ») et le festival de Cannes ! » Au-delà du dessin, ils avaient aussi une deuxième entrée artistique en commun : le Théâtre de la Choucrouterie et la famille Siffer (Erwin, le fils devenu musicien depuis, faisait partie de la bande). Les tournées d’été de la Chouc’, à l’origine avec carrioles et chevaux – tiens, tiens les chevaux !..- ont soudé un peu plus encore leur amitié. « Une amitié fraternelle, malgré des options artistiques différentes », souligne Alex.
Une vraie tendresse
« On se parle beaucoup, tout le temps, sur tout, pour le boulot, l’achat d’un appartement… Tom me rassure ». Tom confirme : « Je le tranquillise quand il a des doutes. Alex est un chef de troupe, mais beaucoup de troupes sont fermées. Nous on reste ouverts ».
De fait, ils se sont entourés d’une bande de copains. Certains entrent, d’autres sortent et tous ensemble ils s’enrichissent. Le Talent de mes amis (1er film d’Alex Lutz dont il est le coscénariste avec Tom Dingler et Bruno Sanches) en est la meilleure illustration. Quand on demande à Tom comment il vit le fait d’être dans l’ombre – même si c’est moins vrai aujourd’hui après son rôle en «off» dans Guy et le César du meilleur acteur d’Alex – la réponse fuse : « Il n’y a jamais eu de jalousie. On a trop de respect l’un pour l’autre pour que la réussite altère notre amitié ». Quand quelqu’un brille, les autres en profitent. « Quand tu vis avec un type comme Alex, avec le talent qu’il a, tu ne peux pas être envieux ».
Un talent d’artisan précise Alex. « J’ai eu un cheminement tranquille, j’ai construit mon parcours dès l’âge de quinze ans ». Mais ils se connaissent assez pour avoir le droit de porter un regard sur l’autre sans complaisance, mais avec une infinie tendresse. Ils analysent leur travail respectif avec le regard critique du spectateur.
« Tom a une oreille musicale, il a le sens du rythme d’un sketch ou d’un spectacle. Il est curieux et ouvert. » Et Alex d’ajouter « Je ne connais personne qui n’aime pas Tom ». Tom reconnaît que les qualités d’Alex compensent ses défauts. « Il aime les zones d’inconfort, c’est un bosseur, il ne lâche rien. Il couve longtemps et soudain c’est l’impulsion créatrice. Moi je suis plutôt paresseux et le processus de création me fait ch… ».
Alex se dépeint comme un « stakhanoviste du plaisir qui est dans ce métier ». Tout le passionne. Il est prêt à tous les mariages artistiques même improbables. Tom reconnaît qu’il manque parfois de vision « par trouille », et de confiance aussi. « Mais ça va mieux », selon Alex. Chaque fois qu’ils démarrent un nouveau projet ils en parlent beaucoup. C’est comme ça qu’ils construisent leur identité artistique. Les idées de l’un, l’énergie de l’autre. Vingt-cinq ans de création dans un univers qui leur est propre.
Alex Lutz est lucide. « Je suis mégalo depuis l’âge de treize ans, mais je trouve que rester simple est un garde-fou. La simplicité c’est la politesse de la vie ». Que se passe-t-il alors quand Cannes accueille avec enthousiasme Guy et que les César lui décernent le titre de meilleur acteur ? « J’en avais envie, je l’espérais. Et quand j’ai entendu mon nom je suis passé par trois phases : la sidération, l’émotion et l’apaisement. La profession avait compris mon cheminement artistique ! » Puis, très vite, le quotidien a repris le dessus…
Artisans du plaisir
Dans ce quotidien, il y a le boulot, mais aussi de longues ballades ensemble, à pied ou à cheval. Des escapades à Strasbourg. Des silences et brusquement des rires. Pour rien, juste un regard. Malgré leurs plannings de fous, ils se voient une fois par semaine. Et parfois c’est « shopping ». Avec des thématiques. Un jour chaussures ; un autre, pulls ou montres ! Et puis l’un des deux suggère un sauna, mais ils n’ont pas de maillots de bain. Qu’à cela ne tienne : ils filent en acheter un. Le même, ça va sans dire ! La vie simple de deux amis.
Une vie à préserver à tout prix. On arrivait au terme de l’entretien. Et là Alex Lutz a fait campagne. « La réussite c’est comme les saisons pour un paysan. Quand on a fini le cueillette des mirabelles, il faut commencer avec les pommes ». Je ne sais pas si l’ordre est bon, mais l’allégorie est parlante. Celle du perpétuel recommencement avec tous les aléas de la météo artistique.
Une blague a scellé leur amitié. Elle se perpétue, puissante, tendre et tolérante. « Le rire c’est pas dans la tête, c’est dans le cœur », conclut Alex. Tom acquiesce. Il est 23 heures. Personne n’est venu leur demander un autographe. Être comme tout le monde c’est aussi leur plaisir. Leurs rêves et leur complicité en prime…