CharlElie Couture
Il nous reçoit dans son bel appartement baigné de lumière du Faubourg Saint-Martin, à deux pas de la gare de l’Est. Le tutoiement est spontané, sans une once de stratégie de séduction. Quelques objets qui rappellent le chanteur des années 80, mais des toiles presque partout. Surtout des toiles… Et très vite, il en vient au sujet principal : la peinture, qu’il a pratiquée dès son entrée aux Beaux Arts de Nancy, bien avant les succès du chanteur… Rencontre avec un artiste.
« Quand je parlais de ma peinture, on me rétorquait : oui, mais t’es chanteur, toi. Alors je répondais : non, je suis peintre. Et ils rajoutaient : oui, mais nous, on te connaît comme chanteur. Vous oui, mais bon…, je peins… »
Avec ces simples mots, CharlElie Couture exprime ce qui l’a toujours taraudé depuis 1978, date de parution de son premier album et le succès formidable de Comme un avion sans ailes quelques années plus tard. 22 albums sont venus garnir une discographie exceptionnelle. Le 23ème, Même pas sommeil sortira début 2019. On pourrait aussi ajouter une vingtaine de bandes originales de films et une quinzaine de bouquins, juste façon de souligner ce talent protéiforme.
« En partant vivre à New-York en 2003, j’ai compris finalement pas mal de choses : parmi elles, une qui est très importante. Une fois là-bas, la première chose que les gens que je rencontrais me demandaient, c’était : Salut toi, tu fais quoi ? Et là, je me suis rendu compte qu’enfin, ce n’étaient plus les autres qui parlaient de moi, mais moi qui parlais de moi. Personne ne parlait plus à ma place. Du coup, tu te construis toi-même ton propre cercueil, tu y enfonces tes propres clous mais bon, le cercueil, au moins, il est à ta taille ! Certes tu te mets dans un tiroir, mais c’est toi qui définis la taille du tiroir… Du coup, c’est simple, t’es un peu comme le loup qui a pissé pour marquer son territoire et ce territoire, tu le défends. Et tu le défends avec fermeté. Aux Etats-Unis, on considère que si quelqu’un est incapable de définir son territoire, alors ce quelqu’un est indéfini… Alors qu’en France, si on se définit trop, on te dit : eh, pour qui tu te prends, toi ? Aux Etats-Unis, on te dit vite qu’il faut que tu te prennes pour quelqu’un car sinon, on ajoute : pour qui veux-tu qu’on te prenne si toi-même, tu ne te prends pas pour quelqu’un ? Là-bas, on regarde la partie du verre qui est remplie, c’est à dire qu’on considère les chose pour ce qu’elles sont alors qu’en France, on va toujours te parler de la partie que tu n’as pas. Les Etats-Unis, c’est un pays de colons, pragmatique : on mange ce qu’on a dans l’assiette, avec ce qui est dedans : si c’est deux fayots, c’est deux fayots, l’important c’est de se nourrir avec ce qu’on a. Plus tard viendra peut-être l’opulence… »
On croit comprendre que cet exil volontaire et total (la famille l’a rejoint un an après son arrivée) a été choisi pour pouvoir s’exprimer totalement au niveau plastique, sans avoir à continuer à tirer le boulet du chanteur. CharlElie corrige : « Non, je suis parti là-bas pour enfin me connaître. J’ai mis une douzaine d’années à comprendre : en France, je souffrais vraiment d’avoir été mis dans cette boîte du chanteur à succès, pour moi c’était extrêmement asphyxiant. A New-York, j’ai respiré, voilà, c’est tout simple… Et j’ai fini par me trouver. Il a fallu ce parcours pour qu’enfin on finisse par me dire, en France : mais, vous êtes vraiment un artiste, alors… Vous vivez là-bas, vous peignez là-bas… Ben oui, je répondais, je l’ai toujours dit, depuis le début, j’ai quand même fait une quinzaine d’expos avant de partir à New-York… »
Il en aura donc fallu du temps pour que le véritable CharlElie émerge enfin (« pour qu’enfin on cesse de me considérer comme un simple chanteur qui se perche sur une branche de micro comme un oiseau qui soigne son ramage et son plumage » comme il le dit joliment). Il exprime alors longuement le fait qu’être artiste, « c’est une attitude. C’est un état d’être, je m’apparente plus aux artistes des mouvements conceptuels que spécifiquement lié à la notion de savoir-faire, de maîtrise des techniques. Bien sûr, évidemment, j’ai acquis un savoir-faire dans la musique, dans l’écriture, dans les arts plastiques, OK, mais les seules études que j’ai suivies sont celles des Beaux-Arts que j’ai clos par un titre de major de ma promo avec les félicitations du jury. Et j’ai eu depuis ce diplôme comme une fringale de création, je voyais le rôle de l’artiste comme à la recherche de l’universalité, à l’image de Jean Cocteau qui me fascinait et ce qui s’était passé avec Andy Wahrol et le Pop-Art. Certes, il n’était pas pluridisciplinaire mais avoue que ça grouillait partout dans la Factory autour de lui ! J’ai toujours été comme ça : je suis entré aux Beaux-Arts avec l’intention de faire du cinéma, je voulais devenir décorateur de films !.. C’est dans ce même état d’esprit que j’ai écrit, composé et édité à compte d’auteur mon premier disque. La musique me permettait de payer mes études d’artiste, c’est tout simple. Un truc en amenait un autre et ainsi de suite. J’étais déjà dans une démarche globale de création… » Quand on l’écoute raconter longuement son implantation à New-York, le plaisir de travailler dans son premier atelier, puis l’ouverture de sa galerie durant cinq ans (« tu en connais beaucoup toi, des artistes, même de renom, qui ont eu pendant cinq ans leur galerie là-bas ? »), on ressent bien ce jubilatoire parcours personnel à la découverte de soi-même qui l’a porté durant toute son aventure américaine.
De nouveau résident parisien depuis l’automne dernier, CharlElie Couture sera donc à Strasbourg pour exposer ses œuvres (lire l’encadré ci-après). « A New-York, j’ai fait comme une remise à zéro de mes propres compteurs. Puisque j’avais enfin le droit d’être qui je voulais alors qui étais-je ? Il était temps, j’avais 47 ans ! A Strasbourg, je présenterai ce qui est au centre de mon travail depuis New-York. Tout est dans le titre de l’expo : IN / OUT. Il y a ce que l’artiste voit, le concret, comme tout un chacun et puis, il y a ce mystère de ce qu’il interprète, de ce qu’il restitue sur la toile. A l’heure où on se parle, début juillet, la galerie Aedaen doit encore faire son choix mais ce sera sur ce thème-là… »
L’EXPO
NEW-YORK IN / OUT
Co-organisée par Delphine Courtay -Agence Des Artistes- (qui a eu carte blanche et a elle-même choisi l’artiste) et la galerie Aedaen, cette exposition rare présente une vingtaine de toiles et sculptures toutes réalisées à New-York par CharlElie Couture (lire l’interview ci-dessus).
La ville « qui ne dort jamais » devient un être vivant à part entière sous les coups de pinceau de l’artiste et sa technique où hyperréalisme et abstraction se mêlent intimement. Chacun porte en soi un regard à la fois intime et connecté au monde extérieur, cette intériorité et cette extériorité qui nous définissent si bien (IN / OUT).
Dans une seconde scénographie plus muséale seront exposées pour la première fois des œuvres plus particulières qui permettront de découvrir une autre facette du talent de cet artiste « multiste »
NEW-YORK IN / OUT
Du 6 au 28 octobre
Vernissage public en présence de CharlElie Couture le 6 octobre à 18h
Galerie AEDAEN, 1A rue des Aveugles à Strasbourg
Ouverture du jeudi au dimanche de 12h à 20h et sur rendez-vous auprès de raphael.charpentier@gmail .com ou delphine@des-artistes.fr