Égalité Femmes-hommes: Dans le silence des lignes de front

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#MeeToo, #BalanceTonPorc. Beaucoup a été dit. Trop, pas assez, c’est selon, au point parfois de ne plus s’y retrouver, de tout mettre sur un pied d’égalité, de ne plus vraiment savoir ce que signifient les mots employés.

Un héritage culturel difficile à déconstruire

Des gens se prennent à partie ; des messages, des commentaires, des délations défilent en boucle sur les réseaux sociaux, des féministes clament que leur féminisme est le seul et l’unique, d’autres se félicitent ou déplorent que De Haas s’en prenne à Deneuve, que Deneuve en vienne à devoir s’excuser de ne pas avoir une pensée calquée ; des expertes expliquent que tout est dans la terminologie, qu’employer le « j’aimerais bien te baiser » est recevable, quand ne l’est pas le « je vais te baiser » (sic!). Lahaie, summum du délire ambiant, relève que techniquement l’on peut jouir quand…
L’effet hashtag en devient parfois presque irrationnel même si – oui – et c’est peut-être là son principal point positif – il suscite parallèlement une prise de conscience, encourage la levée des tabous, suscite le débat, et débouche sur le rappel à qui veut l’entendre que la place des femmes dans notre société, que leur envie, leur volonté, leur légitimité à ne pas être continuellement perçues comme des citoyennes de seconde classe ou de simples objets sexuels n’ont pas à être niées et piétinées.
Un héritage culturel difficile à déconstruire mais que, loin du fracas ambiant, s’attachent à faire évoluer au quotidien des associations de terrain, sans hashtag, sans opposer, sans stigmatiser, sans en passer par une forme de justice populaire incertaine.

Des stéréotypes bien enracinés

Josiane Peter et Cécile Jacques sont deux parmi ces femmes, aidées d’une vingtaine de salariés sur le département du Bas-Rhin. Au sein de l’association CIDFF* que la première dirige et que la seconde a pour mission de mettre en lumière, les rencontres, la sensibilisation de « 7 à 77 ans » n’ont pas attendu de réveil hollywoodien ou un retour de dîner de Sandra Muller. Quarante-trois ans, déjà, que la structure, à la différence de celles qui taguent le temps d’une plage média, fait – concrètement – dans le silence des lignes de front.
Au premier étage du 24 de la rue du 22 Novembre, toutes deux racontent : leurs missions, leurs espoirs, leurs frustrations, parfois aussi de voir se renouveler des stéréotypes bien enracinés. Dès la maternelle, déjà, où l’on n’assiste pas toujours à des « comportements de Bisounours », relève Josiane. Des attitudes qui se traduisent dans la manière de se parler entre garçons et filles, entre enfants du même genre, aussi. « De s’apostropher, de ne pas être ensemble ». «Ces clivages sont inhérents à la société, analyse-t-elle. Mais c’est quoi la société, sinon nous tous ? Chacun et chacune a un rôle à jouer pour favoriser l’éducation entre les hommes et les femmes : à l ‘école, dans les schémas familiaux, qui vont conditionner l’enfant ; dans les jeux, à la télé, dans les relations entre amis ».
«Autant de petites choses a priori anodines qui font que, consciemment ou non, on n’élève toujours pas une fille de la même manière qu’un garçon, qu’on leur assigne à tous deux, dès l’enfance, des rôles différents », jusque dans l’orientation professionnelle où l’on « ne devrait pas avoir à choisir un métier parce que l’on est né fille ou garçon mais parce que l’on a envie de l’exercer ». Où le choix devrait s’établir, se construire « en fonction de sa personnalité et non de son sexe ».

Sur 87 familles professionnelles, 12 destinées aux femmes

Pourquoi une fille ne pourrait-elle pas travailler comme ingénieure informatique, développeur, cariste? Pourquoi un garçon ne pourrait-il pas être secrétaire de direction ? Pourquoi sur 87 familles professionnelles, 12, seulement, devraient continuer à n’être principalement destinées qu’aux femmes ?
« Ces questions se posent dès le collège, au moment où les gamins doivent se positionner quant à leur choix d’orientation », note Cécile qui voit bien que des freins persistent. «Les collégiens ne vont pas aller dans le détail mais vont associer des métiers à des genres. Notre rôle est alors de leur demander ce qui relève selon eux d’un métier d’homme ou de femme. Et lorsque l’on commence à entrer dans la déconstruction, ceux-ci se rendent compte qu’un homme peut travailler dans le milieu des soins, une femme dans celui de l’industrie, de la logistique ». Que, finalement, rien n’a vocation à être déterminé, à être rendu impossible.
À l’Université, l’égalité salariale, les questions réservées aux femmes lors d’un entretien d’embauche font également débat. Car en dépit des lois de 1983, 2006 ou encore de 2011 sur l’égalité professionnelle, les barrières mentales restent tenaces : les propos déplacés à l’embauche ou lorsqu’une femme annonce une grossesse à son employeur, mais également une forme d’auto-censure de nombreuses autres qui, à la différence de leurs homologues masculins n’oseront pas négocier d’évolution salariale de peur de paraître « ambitieuses », déplore Cécile. Sensibiliser, former, coacher : autant de missions que s’assigne le CIDFF pour contrer ces réalités et les contourner, à défaut de disposer des moyens de les gommer.

La famille comme point d’ancrage

Et puis, au-delà de l’école, de l’entreprise, un poids parfois bien plus lourd reste encore à contrer : celui de la famille. Essentiel, pour Cécile et Josiane. « Même si l’on ne peut pas généraliser, ce que l’on remarque est que plus les mères occupent des postes à responsabilités, plus celles-ci encouragent leurs filles à suivre leur exemple », témoigne Cécile. « Après, vous avez aussi des jeunes femmes issues de milieux ouvriers qui veulent se battre pour aller vers quelque chose qui correspond plus à leurs aspirations », temporise Josiane. Mais il est également vrai que le père joue encore souvent un rôle prépondérant dans cette émancipation : si celui-ci appuie le choix professionnel de sa fille, observent Josiane et Cécile, celle-ci aura davantage d’assurance et se lancera plus facilement. Ce cas d’école, les deux femmes l’ont notamment relevé dans la reprise d’entreprises ou dans le monde artisanal. Un repère là encore culturel qui, d’une certaine façon, rappelle tant à l’enracinement du patriarcat qu’à l’ouverture, bien plus encourageante, d’un champ des possibles dès lors que les pères encouragent leurs filles à croire en elles et à gommer les deux premières lettres du mot impossible.
Un effacement que, loin des hashtags vindicatifs et bruyants, se sont données pour mission de promouvoir des femmes comme Josiane et Cécile sans lesquelles toute avancée sociale et humaine ne se limiterait qu’à un écran de fumée virtuelle.

*Centre d’information des droits des femmes et de la famille
En savoir plus sur le CIDFF : www.cidff67.fr