Le printemps n’attend pas
Depuis plus de deux ans maintenant, j’ai arrêté les fringales post-travail aux petites heures, et l’achat récurrent de nouvelles ballerines noires. J’ai eu énormément de plaisir à travailler dans une salle à manger certes, mais je continue à partager mon bonheur du bien boire avec les mots, et j’élargis mes connaissances auprès de mon amoureux vigneron…
Je me plais à dire que je suis une sommelière en immersion dans le vignoble. Je vis maintenant au rythme des raisins et tous les matins, mon réveil sonne à sept heures. Depuis le 17 mars 2020, la musique résonne encore à la même heure. C’est que notre activité est indispensable à la sécurisation du prochain millésime. Pendant que le monde entier se confine, notre belle nature prend ses aises. Le soleil généreux peint le vignoble d’un vert éclatant tandis que nous dévoilons – déjà – un chic bronzage agricole.
Cette semaine, nous avons débuté l’ébourgeonnage au Domaine Wach. En d’autres mots, nous enlevons les bourgeons superflus. Cette opération manuelle vise à optimiser la qualité fructifère des branches restantes. Dans notre vallée viticole, les coteaux laissent entrevoir d’autres paysans de la terre. En témoigne la petite poignée de camionnettes blanches qui parsème les alentours. Le calme apaisant est occasionnellement rompu par un tracteur qui passe, ou deux oiseaux qui exhibent leur identité vocale.
Chez bon nombre de vignerons, certaines étapes de leur travail impliquent des prestataires vinicoles. Ceux-là sont liés, entre autres, au dégorgement des Crémants, à la filtration, et à l’embouteillage des vins. Un récent coup de frein de ces activités mobiles chamboule les calendriers, déjà très chargés.
Dans les chais, le retour des beaux jours annonce la mise en bouteilles des vins issus d’un élevage court. Pensez aux blancs issus du cépage muscat ! Cette opération est essentielle afin de libérer les cuves qui recevront les jus du prochain millésime. Toutefois, le stock qui s’écoule au compte-gouttes laissera peu de place pour les bouteilles qui naissent des cuves libérées. Dans le monde du vin, les démarches résonnent souvent sur les semaines, voire les mois à venir ; un mikado dans l’esprit des humains qui contribuent à l’excellence de vos tchin tchin.
De retour au bureau, les tâches administratives reliées à la profession sont ralenties, et les échanges avec les clients outre-mer se font discrets. Au caveau de dégustation, le bruit du vent incite à jouer du coude sur les réseaux sociaux, et à proposer des alternatives efficaces pour les clients. Publipostages et livraisons à domicile s’immiscent donc dans ce nouveau quotidien. C’est que notre travail, intimement relié au patrimoine culturel, continue de réjouir les amoureux de la table. Malgré l’attachement des Français au doux son du « POP ! », l’avenir nous inquiète. Le contexte actuel met en lumière la fragilité de la trésorerie des artisans du vignoble.
En cette année VINVIN, un air anxiogène remplace le souffle printanier. À coups de remue-méninges entre le café du matin et l’apéro, mon amoureux et moi tentons d’imaginer un avenir qui permettra d’honorer la septième génération de vignerons. Les vins réalisés avec passion et authenticité ne sont pas périssables. Au contraire, ceux-là gagnent à accumuler quelques grains de poussière. Mais au-delà de la passion qui anime les acteurs du vignoble alsacien, nous espérons un renouveau empli de bienveillance, d’ouverture, et de curiosité vis-à-vis de la flûte alsacienne.
D’ici-là, mon réveil sonnera toujours à sept heures.