Interview Frédéric Bierry

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« Je ne crois pas au nombrilisme territorial, je crois aux alliances ! »

Avec Frédéric Bierry, élu il y a un an président du Conseil départemental du Bas-Rhin, Or Norme inaugure une série d’entretiens avec les élus locaux et régionaux, dans le contexte d’un mécano institutionnel qui s’est enrichi, ces derniers mois, d’une toute nouvelle Région et d’une métropole. Le tout sur fond de crise financière et d’une baisse spectaculaire de la crédibilité de la parole politique. Plus que des bilans qu’on pourra lire et commenter abondamment dans d’autres colonnes, nous nous intéressons ici plus fondamentalement à la personnalité profonde de nos interlocuteurs et aux réponses qu’ils peuvent apporter pour redresser l’image de plus en plus désastreuse laissée par nos élus, toutes tendances politiques confondues… 

Au moment de la parution de ce numéro d’Or Norme, vous bouclerez votre première année à la tête du Conseil départemental du Bas-Rhin. Avec le recul, quelles sont les bonnes surprises que vous avez enregistrées ? « Avant tout la facilité avec laquelle s’est mise en place la collaboration entre les collectivités territoriales. Au niveau des deux départements alsaciens, en huit mois, on a fusionné les deux agences économiques, l’Adira et le Cahr, on a fusionné les deux associations départementales de Tourisme. Ce n’était pas forcément le plus évident, au départ. Avec l’Eurométropole de Strasbourg, au niveau du transfert des compétences, ça se passe très bien aussi. J’étais très soucieux  de contribuer à pacifier les relations à ces niveaux-là. Dans les deux cas, cette capacité que nous avons eu tous ensemble à dépasser les clivages avec l’Eurométropole ou le Haut-Rhin et c’est évidemment une bonne chose pour tout le monde et oui, c’est une des bonnes surprises de cette première année de mandat. Il y en a d’autres bien sûr mais l’une d’elles est importante : quand j’ai parlé à mes collègues de ma volonté de m’investir au niveau des enjeux européens, beaucoup d’entre eux ou d’entre elles ont été interloqués. Mais voilà, l’Europe, pour Strasbourg donc pour le Bas-Rhin, est un enjeu majeur et deux chiffres sont là pour éclairer tout le monde : l’Europe, ici, c’est 28 000 emplois et un apport de 800 millions d’euros chaque année.  En Alsace, il n’y a pas un autre secteur économique aussi porteur. L’Europe est donc un enjeu majeur de développement pour nous et, à mon sens, on ne capitalise pas assez sur le statut de Strasbourg, capitale européenne. Je me suis étonné, par exemple, que le principe des séances pleinières de la nouvelle Région soient prévues à Metz. Si je souhaite qu’elles se tiennent à Strasbourg, ce n’est pas par chauvinisme alsacien mais bien vis à vis de ce statut de capitale européenne qu’a Strasbourg et qu’il convient de sans cesse conforter et renforcer… Pour moi, c’est la locomotive du territoire. Certains ont donc pu s’étonner de cette volonté de contribuer aux enjeux européens de Strasbourg. Mais, pour moi, l’Europe c’est important. Quand on a été maire d’une commune située au pied du camp de concentration du Struthof, l’Europe a une valeur historique plus qu’essentielle. On oublie un peu trop vite que ce n’est pas un hasard si Strasbourg a hérité de ce statut-là… C’est d’ailleurs pourquoi, en ce qui me concerne, je souhaitais que la nouvelle Région adopte le nom de « Cœur d’Europe », une appellation qui donne envie et qui ait du sens : le cœur de la construction européenne est chez nous. Bon, manifestement, ce ne sera pas le nom retenu…

Le fonctionnement du Département repose sur plus de 3800 agents, c’est une énorme machine qui doit fonctionner avec un budget drastiquement en baisse depuis plusieurs exercices. Comment faites-vous pour résoudre la « quadrature du cercle » ? C’est évidemment ce chantier-là qui m’a le plus mobilisé et ce n’est pas fini. Mais avant de vous répondre, c’est aussi une des bonnes surprises que j’ai eues. Je parle de ces 3800 agents et des 168 métiers qu’ils effectuent au service des bas-rhinois. Dès mon arrivée, j’ai souhaité les rencontrer. Alors, en plus des visites que je fais sur le territoire et qui permettent ces rencontres par petits groupes, chaque mois j’invite quelques-uns d’entre eux, qui sont tirés au sort, à prendre un petit-déjeuner avec moi. C’est fou la pêche que ça me donne et comme ça me booste car, généralement, la parole se libère, ils sont plein d’idées, ils sont sensibles à l’innovation, ils sont passionnés par les actions qu’ils mènent. Je voulais signifier cela parce que c’est formidable, à mes yeux. Maintenant, je reviens au problème du budget du Département. Je ne vais pas vous accabler sous les chiffres mais les baisses de dotation de l’Etat nous obligent à faire des montagnes d’économies pour continuer à assurer nos obligations, notamment sociales.  20 M€ cette année qui succèdent à 20 M€ l’année précédente, en plus des 10 M€ en 2014. Et ce sera une nouvelle fois 20 M€ l’année prochaine. Avant tout, c’est la Collectivité qui se serre la ceinture : nous avons économisé 7 M€ sur notre budget de fonctionnement. On traque tout et ça m’amène aussi, du coup, à réfléchir sur la rapidité et l’efficacité du changement. Un exemple : quand je suis arrivé à la présidence du département, j’ai appris qu’on envoyait toujours par courrier la fiche mensuelle de salaire à nos 3800 agents. J’ai calculé et je suis très vite arrivé à une somme annuelle de 30 000 €. Alors, j’ai réuni les directeurs de service et demandé à ce qu’on leur la remette en mains propres, avant de dématérialiser complètement le système à l’avenir via le numérique. Deux mois plus tard, rien n’avait avancé. On m’a parlé de tas de choses, de la nécessaire confidentialité etc, etc… J’ai été obligé de mettre la pression et là, on y arrive. Pour moi, avant de demander des efforts aux autres, il faut se les imposer à soi-même. Il nous a fallu réduire de 14 millions nos politiques publiques. 1,5% de ces baisses concernent les subventions aux associations : je sais que c’est très violent pour les personnes dévouées qui sont en charge et, souvent, très souvent même, ça me fait mal de devoir leur annoncer ça. Mais voilà, je n’ai pas le choix : je pense que chacun peut comprendre que si nous ne parvenons pas à trouver ces économies partout où ne le pouvons, le risque de faillite serait alors bien réel et ça, évidemment, personne ne peut le souhaiter ça ne rendrait service à personne ! En plus de ce devoir d’optimiser le moindre euro, je suis obsédé aussi par l’idée d’être juste sur l’équilibre des territoires. On a souvent soupçonné le Département de privilégier les territoires ruraux au territoire urbain. J’ai réduit de 20% les budgets contrats de territoire et une part de ce budget économisé, je l’ai attribué au territoire métropolitain. Du coup, j’ai fait réaliser un audit très précis des aides du Département aux territoires. Je le communiquerai à Robert Hermann et Roland Ries dès qu’il sera finalisé… Je joue franc-jeu avec tout le monde : sacraliser les dépenses publiques, c’est aussi, à mon sens, regagner le respect des citoyens…

Ces circonstances-là et votre volonté de traquer le moindre euro d’économie risquent cependant de vous rendre très impopulaire, non ? J’en suis conscient. Vous savez, je me suis penché sur les échecs de notre pays depuis des décennies et des décennies durant lesquelles tant la droite que la gauche ont occupé le pouvoir. Et j’ai réalisé que tous les présidents de la République qui se sont succédés ont tous été obsédés par leur réélection dès le premier jour de leur premier mandat. Très sincèrement, je ne suis pas et je ne serai jamais dans ce truc-là. Je ne serai pas non plus ni député ni sénateur. C’est extraordinaire, pour moi, d’être devenu le président du Conseil départemental.  Alors je me suis dit : donne le meilleur de toi-même et tu verras bien. L’enjeu n’est sûrement pas une éventuelle réélection. Dans la vie, il y a tellement de choses à faire en matière d’engagement dans le domaine du social, qui et ma véritable passion.

Un mot sur le meccano institutionnel résultant de la création des nouvelles régions. C’est d’actualité… En France, on croit toujours que c’est en faisant des révolutions qu’on règle les problèmes. Personnellement, je ne crois pas au nombrilisme territorial, je crois aux alliances et je suis même persuadé que ces alliances constituent la condition sine qua non pour réussir. Cette conjugaison des forces de chacun représente une énorme valeur ajoutée pour tous. Nous sommes sur cette voie-là avec le département du Haut-Rhin et nous y sommes aussi avec l’Eurométropole de Strasbourg et, dans ces deux cas, je note la réelle bonne volonté qui nous anime tous. J’attends de la Région qu’elle soit dans ce même état d’esprit. Je reconnais qu’en ce moment précis, c’est compliqué. La nouvelle structure régionale s’installe, son nouveau périmètre est complexe, je le mesure évidemment bien. A l’instar de toutes les autres en France, même avec la nouvelle donne, son budget est sans commune mesure avec celui du Bade-Wurtemberg voisin. Il n’y a pas photo ! C’est en rassemblant nos forces que nous pourrons réussir. La Région a un budget de 2, 5 milliard d’euros,  les 10 Départements près de 6 milliards : autant de moyens au service des politiques publiques et des habitants de nos territoires.

Pour élargir le champ au niveau national, que pensez-vous de cette gigantesque défiance envers les hommes politiques qui a gagné ces dernières années le pays et qui se traduit désormais quasi en permanence dans les urnes? Elle est une réalité et bien sûr le comportement de nous autres élus en est la cause. Ca me permet de faire un distingo entre l’immense majorité des élus, c’est à dire les maires et les conseillers municipaux, qui eux échappent fort légitimement à cette défiance généralisées. Il faut leur rendre un immense hommage et les mettre en lumière car, au quotidien, ils sont les partenaires de la République. Pour d’autres élus, il y a manifestement eu des problèmes d’exemplarité, en effet. En ce qui me concerne, j’ai appliqué au Département des principes de simplicité, de sobriété et d’exemplarité. Je me les applique également à titre personnel. Mon mandat de président est le seul qui soit rémunéré par une indemnité. Les quelques autres présidences que j’assure, comme celle de l’agence économique par exemple, c’est du bénévolat. Mensuellement, je suis indemnisé à hauteur de 3800 €. 3800 € c’est bien payé, je ne me plains pas, encore que rapportée aux 80 heures de travail hebdomadaires, je ne suis pas loin du SMIC horaire ! Encore une fois, il faut s’appliquer certaines choses à soi-même avant de demander des efforts aux autres. Ce que je vis en ce moment, je le vis à fond, sans penser à plus tard. Quand ce mandat sera terminé, la seule question que je me poserai sera de savoir si j’ai réussi à faire avancer le « Schmilblick ». Si c’est le cas, je serai en profond accord avec moi-même et ce sera bien comme ça car j’ai toujours pensé qu’en Alsace, plus qu’ailleurs, le travail et le courage politique paient.

Récemment, vous avez choisi votre favori pour la Primaire de novembre de votre famille politique. Ce sera Bruno Le Maire… J’ai dit aussi que je ne croyais pas à l’homme providentiel. Ce qui me plait chez lui, c’est son humilité. Il se dit sûr de son destin et ça, bien sûr, ça peut paraître manquer d’humilité. Mais quand on évoque un sujet avec lui, il sait écouter. Quad je lui parle du domaine qui est ma passion, le social, quand je lui explique que ma passion est de trouver des solutions, je le sens très à l’écoute et il me dit qu’il a beaucoup à apprendre sur ces sujets et qu’il prendra le temps d’en parler longuement avec moi. Et bien, il a tenu parole, depuis… Je n’en connais pas beaucoup, des comme lui. Je sens que politiquement, il a du courage. C’est pourquoi je le soutiens. »

Photos : Médiapresse