NL CONTEST : L’insolence de réaliser ses rêves
Il y a 20 ans, dans un camping car entre Marseille et Barcelone, du haut de ses 17 ans, Julien Lafarge rêvait d’organiser une compétition de skate, BMX et de roller à Strasbourg. Le NL Contest s’apprête à ouvrir sa 13ème édition, l’occasion de faire le point avec lui.
Je retrouve Julien à J-20 de l’édition 2018 du NL Contest, déjà paré, et même affuté : je le reconnais de loin à sa coupe de cheveux labellisée, qu’il revêt chaque année à l’approche de l’événement, le signe que les festivités sont officiellement ouvertes. Il s’agit peut être de l’unique signe extérieur de la folie qu’il renferme, et qui n’est pas étrangère à son succès.
Tout a commencé à Haguenau, alors que Julien avait 11 ans. Déjà très sportif, il rejoint des amis pour un tournoi de street hockey, et se dévoue pour prendre la place du gardien. Une fois arrivée sur place, il troque ses vieux rollers inconfortables contre ceux du sponsor de l’événement. Le déclic opère alors, et donnera le ton des 20 prochaines années à venir. Il ne se détachera plus du sentiment de liberté que lui offre cette discipline.
Il se perfectionne alors, et atteint rapidement un niveau professionnel. À 14 ans, il participe déjà à des compétitions dans le monde entier, des sponsors prennent en charge son brillant parcours. Il se constitue dès lors un solide réseau dans le milieu. Entre deux compétitions, lorsque l’un de ses mentors de l’époque lui demande ce qu’il veut faire plus tard, il lui confie vouloir organiser une compétition de skate, BMX et roller à Strasbourg, avec comme seul partenaire l’Europe : « Il y aurait des étoiles sur chaque module du skatepark ! ».
À 18 ans, il obtient son bac ES, et intègre la fac de droit de Strasbourg, pour un diplôme en Administratif Économique et Gestion. Les voyages, il a eu l’occasion de les faire très tôt ; ce qu’il recherche alors, c’est le concret. En parallèle, ses amis, notamment issus du milieu de la glisse, se regroupent à Strasbourg. Une véritable symbiose opère : animés par des valeurs et des ambitions communes, ils lancent rapidement les prémices du NL.
Tout a commencé au skatepark du Wacken, en 2002, en lieu et place du parking du tennis club. Avec ses amis, eux-mêmes champions en roller, ils organisent des premières jam sessions au skatepark du Wacken, « autour d’un barbecue et de 3 packs de bières », alors qu’ils ont 20 ans. Ce sont également leurs amis qui viennent mixer, distribuer des flyers, filer un coup de main, pour en faire un rendez-vous mensuel, durant l’été.
Tout est parti de la bière à 1€ et de la merguez à 2€
En 2004, Julien et ses amis ressentent le besoin de gagner en légitimité. Ils adoptent alors les codes d’un milieu qui semble alors si éloigné du leur, et créent l’association Nouvelle Ligne pour approcher les institutions. « On prenait les riders pour des illettrés ! », témoigne-t-il. Mais le dialogue se noue rapidement, et ils s’imposent rapidement comme les interlocuteurs privilégiés. Lorsque le skatepark est transféré à la Rotonde, ils sont en charge de l’inauguration. C’est ainsi que naît officiellement le NL Contest.
Dès les premières années, ils comptabilisent entre 2000 et 3000 spectateurs, en s’organisant « avec 3 bouts de ficelle ». Mais les copains sont toujours présents, y compris les riders professionnels qui viennent du monde entier pour participer. De simple compétition, le NL Contest évolue rapidement vers un format festival. « Les riders, quand ils lâchent leurs planches / rollers / BMX, ils vont se mettre derrière les platines, ils vont prendre une bombe pour graffer… La transition vers un festival des cultures urbaines s’est faite naturellement ».
La 3ème édition représente un cap. Finis les bouts de ficelle, l’organisation se structure, un village exposant voit le jour. Au même moment, Julien termine sa 4ème année d’étude et envisage de poursuivre en master 2 de management de l’événementiel. Mais une petite voix, au fond de lui, le fait hésiter. Nicolas Mougin, un de ses proches et membre de l’association, s’en fera le porte-voix, et lui suggère plutôt de se consacrer pleinement au développement du festival. La 5ème année de Julien se fait donc sur le terrain, en parallèle d’un job étudiant. En 2008, il devient alors salarié de l’association, statut qu’il conserve à l’heure actuelle.
Bien sûr, il faut calibrer les choses, mais il faut aussi qu’on soit un peu cons sur les bords.
Dix ans après, le NL Contest accueille 27 000 spectateurs. Le festival s’ouvre désormais à tous les publics, et offre une tribune de choix à toutes les cultures urbaines, au-delà des sports de glisse. En 2018, ce ne sont pas moins de 18 événements OFF qui ont été mis en place en amont du festival : concerts, expositions, ateliers participatifs, rando roller, et même une funky pétanque. Le NL Contest s’est ainsi bâti un positionnement unique, loin de la simple compétition. La perception de la culture hip hop a également sensiblement évolué : « Quand je ridais petit, on me klaxonnait, on me criait dessus parce que je dégradais le mobilier urbain. Aujourd’hui, les gens s’arrêtent, regardent et applaudissent. »
Souvent, les riders ne considèrent pas la glisse comme un sport, mais comme un art.
Si le NL Contest a mûri, il reste à taille humaine. Aux côtés de Julien sont toujours présents les membres actifs des débuts de l’association. Loin de s’être détournés, ils ont ramené à leur tour leurs amis, qui ont ramené leurs amis. L’intolérance à laquelle ils ont dû faire face n’ont fait que renforcer leur détermination. « On fait rayonner notre sport et notre culture auprès du grand public, sur le plan local, national et international ! On aurait aimé avoir ça plus jeunes, nous aussi. » Une démarche qui a porté ses fruits, puisque le NL Contest fait désormais partie du patrimoine local : « On va au-delà de la cathédrale, la choucroute et du marché de Noël. »
Quand les pro riders viennent du monde entier, le premier truc qu’on fait, c’est d’aller manger une tarte flambée et de boire une Météor.
Mais Julien ne s’est pas immédiatement imaginé entrepreneur. Fort d’avoir côtoyé de près les coulisses des compétitions et d’avoir baigné dans le milieu de l’événementiel, il précise cependant qu’il n’en serait pas là sans l’équipe des débuts : « Le NL Contest, c’est peut être ce qui nous a permis d’avoir un esprit d’entrepreneur. C’était un premier pas pour tout le monde, on a galéré tous ensemble. » Lorsque l’on fait le bilan aujourd’hui, force est de constater que la majorité d’entre eux travaille à leurs comptes. Mais cet équilibre nécessite des efforts constants : « Ce n’est pas toujours facile de travailler avec ses potes : on a chacun notre vision, on s’engueule beaucoup mais c’est sain. On n’est pas d’accord, mais on se dit les choses, on prend les décisions en commun. »
Si vous le croisez dimanche soir, à l’heure de clôturer cette 13ème édition, vous pourrez sûrement apercevoir ses yeux briller. Car c’est bien ce qui lui permet de revenir, chaque année, malgré tous les coups dures : cette fierté intacte, des années après. Et ce n’est pas près de s’arrêter, puisqu’il confie : « J’espère qu’à 60 ans, je continuerai à prendre des risques. C’est la vie, c’est ça entreprendre ! »