Le statut du voyageur en question : une équation à deux inconnues
Des voyages d’une durée plus courte, au plus près de son lieu de résidence, des bords de plages bondés délaissés au profit d’une campagne redécouverte… Si la crise environnementale nous impose petit à petit à repenser notre manière de se déplacer et impacte peut-être même déjà notre manière de voyager, qui aurait pu prédire qu’une crise sanitaire mondiale, telle que la subit à l’heure actuelle notre planète, viendrait redéfinir encore plus rapidement le statut du voyageur ?
Tout juste rapatrié du Chili, avec les mêmes difficultés qu’on pu connaitre les 130 000 autres ressortissants français désireux de rentrer se confiner dans leur pays, et interrompant par la même, de manière brutale, un tour du monde entamé sept mois auparavant, j’estime avoir eu à endosser une responsabilité bien trop importante en tant que « tour-du-mondiste ». Le Covid-19 s’est invité dans mon quotidien de backpacker courant janvier 2020. Attablé dans un restaurant de Manille aux Philippines, je regardais alors Xi Jinping, le président chinois, faire une allocution en direct à la télévision sur le caractère dramatique, incontrôlé et incontrôlable de cette épidémie. Quelques jours plus tard à Singapour, à l’occasion du Nouvel an chinois, un peu plus de masques qu’à l’accoutumée pour une ville d’Asie étaient visibles dans les rues de Chinatown. L’heure était encore à la fête. Quelques rares affiches indiquant aux citoyens les mesures barrières étaient toutefois placardées ici et là, nous alertant sur ce que nous ne pouvions alors imaginer.
C’est à mon départ pour la Polynésie française début février que la pandémie que l’on connait a commencé à modifier mon statut de voyageur. Contrôles thermiques au départ de Singapour, prise de température et recommandations à l’arrivée à Tahiti. Un certificat médical datant de moins de 4 jours allait même devenir obligatoire quelques jours plus tard pour entrer en Polynésie française, où aucun cas d’infecté au Covid-19 n’était encore à déplorer. Mais déjà, une question revenait : était-il possible que je sois moi-même porteur asymptomatique du virus, ayant évolué le mois d’avant dans des zones d’Asie du sud-est où de plus en plus de cas positifs étaient signalés ?
À mon arrivée à Santiago au Chili début mars, alors que l’épicentre de l’épidémie se localisait désormais en Europe, la décision de mettre fin à mon tour du monde allait rapidement s’imposer. A l’instar des pays européens, les pays d’Amérique du Sud fermaient les uns après les autres leurs frontières terrestres puis aériennes, imposant aux derniers voyageurs des quarantaines de 14 jours, et mettaient progressivement en place toutes les dispositions et les procédures nécessaires au ralentissement de la progression de l’épidémie : fermeture des écoles, universités, restaurants et cafés, confinement de certaines régions, arrêt des transports publics interrégionaux, couvre-feu… Désormais, chaque réservation d’hôtel ou de logement Air B&B amenait la question à laquelle chaque voyageur ne pouvait se soustraire : « de quelle nationalité êtes-vous et depuis quand êtes- vous arrivé dans notre pays ? ». La peur du voyageur, et donc de côtoyer ainsi un étranger, était devenue réelle, et même visible, au travers de certains comportements dans les rues ou les cages d’ascenseur, et plus globalement à travers le regard de l’autre. Le voyageur n’était non seulement plus le bienvenu, mais devenait le responsable évident et incarné de la propagation de cette épidémie.
Rapatrié via un vol spécial d’Air France fin mars, je respecte actuellement une période de confinement strict en Alsace, région parmi les plus touchées de France. Mon statut de voyageur me l’impose, mais m’incite également à résoudre à présent cette équation à deux inconnues :
1. Quelle place le voyageur a-t-il occupé dans la transmission d’un virus comme le Covid-19 ? Jamais voyager pour son plaisir n’aura été autant synonyme de responsabilité sociétale. A quelle hauteur les déplacements des populations, y compris donc les voyages, ont-ils contribué à la propagation rapide du virus à travers le monde ?
2. Quelles précautions seront désormais à l’avenir mises en place par les Etats vis-à-vis des voyageurs ? Parmi les mesures barrières mises en place, les restrictions de déplacements et de voyages ont-ils eu des effets importants ? A quelles restrictions de voyage serons-nous contraints demain quand la suspension des liaisons aériennes sera levée à l’échelle planétaire ?
Va-t-on voir émerger de nouvelles dynamiques du tourisme dans le monde ? On peut d’ores et déjà imaginer des contrôles sanitaires aux frontières ou des quarantaines imposées à tous les voyageurs… Reste que le principe même de voyager sera ou devra obligatoirement être repensé, et la responsabilité de ceux qui voyagent à réinventer.