L’école française de demain sera-t-elle l’école de la réussite?

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La dernière enquête PISA, réalisée en 2015, soulignait le fonctionnement inégalitaire du système éducatif français. Au mois de mai 2018, soit trois ans après cette évaluation, l’OCDE réactualisait ses données. Alors que l’on attend pour 2019 les résultats de cette nouvelle enquête PISA, où en est-on des réformes engagées par le ministre de l’Education Jean-Michel Blanquer ? Y a-t-il d’autres alternatives pédagogiques ? Et en quoi les rythmes scolaires influent-ils sur la réussite des élèves ?

 

École de demain, école de la confiance
En 2016, le Directeur général de l’ESSEC Jean-Michel Blanquer publiait ses « propositions pour une Éducation nationale rénovée ». Deux ans après la sortie de ce livre et alors qu’il est devenu ministre de l’Éducation, où en est-on ?

« Traiter de la façon d’élever et d’éduquer les enfants semble être la chose la plus importante et la plus difficile de toute la science humaine ». C’est avec cette citation empruntée à Montaigne que Jean-Michel Blanquer introduisait en 2016 ses Propositions pour une Education nationale rénovée dans son livre L’école de demain (Ed. Odile Jacob)

À la lecture de ce texte on ne peut a priori que se réjouir qu’il ait été écrit par notre actuel ministre de l’Éducation. Il y développe « une méthode d’action » reposant sur trois piliers : « l’expérience », « la comparaison internationale » et « la science ». Il prône une école de la liberté, « une liberté qui élève, c’est-à-dire fondée sur le savoir, sur une autonomie toujours plus grande de l’enfant devenant adolescent et adulte ». Il dit nourrir sa réflexion de différentes « techniques pédagogiques qui ont fait leurs preuves » comme celle du docteur Maria Montessori. Mais aussi d’études comparatives à l’échelle internationale comme PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) ou PIRLS (Programme international de recherche en lecture scolaire). Et il voit dans les récentes découvertes en sciences cognitives, « un repère incontournable sur ce que nous pouvons savoir du cerveau humain, de son énorme potentiel et de la manière de faire réussir chacun dans sa voie propre ».

Ces trois piliers posés, il déplore que « la courbe de financement de notre système éducatif » soit « à rebours des enseignements de la recherche, avec davantage de moyens consacrés au secondaire qu’au primaire », arguant les travaux du prix Nobel d’économie James Heckman selon lequel « un euro consacré à un très jeune enfant permet d’en économiser jusqu’à huit plus tard, dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la sécurité, de la justice ou des services sociaux ».

Nommé ministre de l’Education nationale en mai 2017, Jean-Michel Blanquer a désormais les « moyens » de mettre en œuvre sa vision. 1,4 milliard d’euros, «C’est le budget numéro un de la nation, ça le reste» s’est-il félicité sur CNews en septembre 2017, à quelques heures de la présentation du projet de loi des finances 2018. Mais de quelles réformes parlons-nous ?

Les assises de l’école élémentaire

Pour Jean-Michel Blanquer, il faut donner la « priorité à l’école primaire » et dans un premier temps « repenser l’école maternelle pour en faire une véritable école du langage et de l’épanouissement ». Une réflexion amorcée les 27 et 28 mars 2018 lors des Assises de l’école élémentaire sous la direction du neuropsychiatre, éthologue et psychanalyste Boris Cyrulnik. Soit neuf heures de conférences au cours desquelles se sont succédés tout un tas de spécialistes, comme le directeur de recherche et membre du Conseil scientifique de l’éducation nationale Bruno Suchaut.
Parmi les sujets exposés et discutés dans le vaste programme de ces assises : le développement de la mémoire chez l’enfant, le sommeil, la relation affective, la santé, le rôle de la musique, l’apprentissage du langage et son importance dans la lutte contre les inégalités, la manière dont les différents acteurs de la communauté éducative travaillent ensemble… Autant de « pistes pour accroître la contribution de l’école maternelle à la réussite et à l’épanouissement des enfants (…) Le début d’un processus destiné à consolider plus encore notre école maternelle, où se prépare le futur de nos enfants et celui de la Nation ».
Affaire à suivre donc.

Abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans

Le Président de la République a profité des Assises de l’école élémentaire pour annoncer l’une de ses mesures-phares : l’abaissement à 3 ans de l’âge de l’instruction obligatoire dès la rentrée 2019. Le plus bas des pays européens. Une réforme qui s’inscrit dans l’histoire de l’obligation scolaire en France instaurée par Jules ferry en 1882, et s’appuie sur les recherches qui montrent à quel point « la maternelle est un moment où se préparent, par des stratégies indirectes, les apprentissages fondamentaux et donc les réussites futures », comme ne manque pas de le souligner Jean-Michel Blanquer dans L’école de demain. Ce que le docteur Maria Montessori appelait déjà au début du XXème siècle « les périodes sensibles ». Autrement dit, six phases qui se jouent entre 0 et 6 ans, durant lesquelles l’enfant sera « mûr » pour acquérir des aptitudes spécifiques telle que le langage. Un instant T à ne pas rater, d’autant plus quand on sait que « à 4 ans, un enfant issu d’un milieu social défavorisé a entendu 30 millions de mots de moins qu’un enfant issu d’un milieu favorisé ».

Le dédoublement des classes de CP et CE1 en REP et REP+

C’est pour lutter contre ces inégalités que le gouvernement entend poursuivre et développer une mesure amorcée à la rentrée 2017 — et qui a suscité nombre de polémiques autour de sa mise en œuvre — à savoir le dédoublement des classes de CP et CE1 dans les zones dites des quartiers défavorisés REP et très défavorisés REP+, avec un taux d’encadrement d’environ un professeur pour 12 élèves. Cela concernait 2500 classes de CP en REP+ à la rentrée 2017. Cela en concernera 5600 de plus en CP REP et CE1 REP+ à la rentrée 2018 « grâce à 3881 postes d’enseignants supplémentaires devant élèves ». Cette mesure qui devrait s’étendre aux classes de CE1 en REP et REP+ dès la rentrée 2019, est accompagnée d’une pédagogie adaptée dite « structurée, progressive et explicite » à laquelle les enseignants sont censés être formés.
Voilà pour la théorie.

En pratique, et selon une étude menée entre avril et mai 2018 par le Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC (SNUIpp-FSU), les choses sont beaucoup moins évidentes. D’abord par manque d’infrastructures. Sur l’échantillon représentatif de l’enquête, soit un peu plus de 10% des classes concernées par la réforme en 2017, 18% des classes dont les locaux trop restreints n’ont pas permis le dédoublement sont obligées de fonctionner avec deux enseignants pour une même classe ; quand le dédoublement ne s’est pas fait au détriment d’autres salles et principalement des bibliothèques… On comprend que cela puisse soulever quelques questions, surtout quand le ministre affirme dans L’école de la confiance (Ed. Odile Jacob)— ouvrage publié au printemps 2018, soit deux ans après L’école de demain, faisant état de ses projets de réformes. Un livre dans lequel il dit vouloir redonner foi en l’école — « Il faut (…) placer la lecture au cœur des temps et des espaces de l’enfant du XXIe siècle, dont l’attention est parfois excessivement captée par les écrans ».
Autre mauvais point, pour 26% des établissements, les dédoublements se sont soldés par une augmentation des effectifs dans les autres classes, notamment celles du cycle 3. De quoi semer le doute et l’incompréhension dans cette école de la confiance dont Jean-Michel Blanquer se veut l’artisan. D’autant plus lorsqu’il appuie ses convictions sur les travaux d’Adrien Bouguen, Julien Grenet et Marc Gurgand, démontrant l’impact des effectifs réduits dans la réussite scolaire des élèves. Impact d’autant plus positif que les élèves pourront en bénéficier plusieurs années.
Quant aux effectifs des enseignants supplémentaires nécessaires au dédoublement, ils sont ponctionnés sur ceux de « Plus de maîtres que de classes », fragilisant ainsi cette mesure prise durant le quinquennat de François Hollande, largement plébiscitée par l’ensemble de la profession, et qui dans son fonctionnement initial pourraient pourtant venir renforcer l’action de l’actuel gouvernement.
En outre, à la question « avez-vous bénéficié d’une formation spécifique ? » 69% des enseignants répondent oui, mais seulement 7% d’entre-eux déclarent l’avoir choisie et 35% disent qu’elle n’avait aucun rapport avec leurs pratiques de classe.
Cerise sur la grosse part de gâteau que représentent les 1,4 milliard de budget dont se targue le ministre de l’Education, près de 30% des enseignants déclarent avoir eu des contraintes d’achat de matériel tout en n’ayant pas bénéficié de budgets supplémentaires. Certains professeurs ayant décidé de payer de leur poche les outils demandés, parfois à hauteur de 400 euros.

Pour certains, la réalité a donc encore du mal à égaler la fiction. Malgré tout, la réforme semble avoir un impact positif sur l’apprentissage et le bien-être des enfants qui ont pu pleinement en bénéficier : pour 71% des sondés, les compétences sont acquises plus rapidement, 93% des enseignants disent prendre des initiatives pour faire évoluer leurs pratiques, et 90% voient le climat général de leur classe beaucoup plus apaisé alors que l’on observe une augmentation nette des interactions entre élèves.

L’école de la confiance ?

C’est ce genre de résultats que dit vouloir viser l’association Agir pour l’école. Présentée comme « une plateforme d’expérimentation de nouvelles méthodes d’apprentissage de la lecture fondées sur des recherches scientifiques sérieuses et avec des résultats convaincants » elle a été mandatée par l’Etat pour mener des expériences pédagogiques dans plusieurs écoles en France. Parmi ses partenaires, le ministère de l’Education nationale, mais aussi Axa, la Fondation HSBC, la Fondation Total ou encore le groupe Dassault… Une initiative critiquée par plusieurs syndicats comme Sud éducation ou le Snuipp-Fsu du Nord. D’abord parceque Jean-Michel Blanquer a présidé cette association aujourd’hui dirigée par Laurent Bigorgne, qui n’est autre que le président de l’Institut Montaigne, think tank libéral au sein duquel a été pensée L’école de demain et dont s’inspire très largement Emmanuel Macron. Mais aussi et surtout parce qu’ils y voient une atteinte à la liberté pédagogique des enseignants contraints de participer à ces programmes qui ne devraient avoir lieu que sur la base du volontariat.
Malgré les intentions plus que louables d’Agir pour l’école, on peut comprendre qu’il soit difficile pour certains de faire confiance en cette école de demain.