L’Ecosse grandeur nature
En Écosse, la nature est tellement importante que les Écossais ont souhaité la rendre accessible à tous. Il existe un droit de libre accès à la nature, le right to roam qui permet aux marcheurs d’installer (presque) partout leur tente pour la nuit, à la seule condition de respecter les lieux. Une particularité suffisante pour partir à la découverte de ses paysages splendides sur le West Highland Way, sac à dos sur les épaules.
Long de 150km, ce chemin de grande randonnée se découvre en une semaine. Depuis la région de Glasgow, le West Highland Way emmène le randonneur jusqu’à Fort William, au pied du Ben Navis le sommet de la Grande-Bretagne. On traverse les montagnes, les lochs immenses et les rivières sauvages des Highlands de l’Ouest en suivant un parcours balisé tout le long par un chardon blanc. Voici le récit de mon way, une rencontre grandeur nature avec l’Écosse.
Je me suis mis en route dès le lendemain de mon arrivée à Glasgow, un sac beaucoup trop chargé sur le dos. Après une première journée à marcher dans une campagne qui rappelle la Comté de Bilbon Sacquet, je dressais la tente au bord du chemin. Tout autour, la lande. Et au loin, les montagnes hautes et belles. L’aventure commençait là, après les trente premiers kilomètres.
Quand le soleil s’est couché pour ma première nuit en Écosse, la cime des chênes se découpait en ombres chinoises dans un ciel de feu. C’était beau à en pleurer, à s’en éclater les yeux. La nuit était polaire et annonçait des jours de beau temps, idéal pour s’enfoncer sereinement dans les Highlands.
Au matin, les arbres étaient encore mouillés de la nuit et absolument tout scintillait autour de moi. C’est une étrange impression que celle des premières minutes de marche. Le soleil vient de se lever et un sentiment de liberté absolue envahit le marcheur. On vient de replier sa tente et de refaire son sac qu’on enfile sur les épaules. Tout ce dont on a besoin se trouve sur son dos.
Pendant cette deuxième journée, le paysage se transforme pas à pas. Les étendues immenses de collines sans arbre succèdent à la campagne vallonnée. Sur la carte, le gaélique remplace doucement l’anglais. Rowardennan, Balloch, Ptarmigan, Creag an Fhithich… Le regard porte loin, il glisse sur toute la bruyère mauve. Des tâches de lumière dorée ça et là comme sur une peinture romantique.
Viennent enfin les sommets à 1000 mètres des Highlands qui constituent le décor d’un film entre Game of Thrones et Harry Potter, avec des cimes rocailleuses et chauves que l’on entrevoit quelques secondes avant qu’un banc de nuages ne les cache à nouveau.
Et puis, il y a les grands lacs. Le vent transforme leur couleur au fil de la journée. Mauve pâle le matin, gris profond le soir. Menaçants. L’eau défile au même rythme que les nuages jusqu’à ne former qu’un seul gris de plus en plus sombre.
J’assiste chaque jour à une pièce de théâtre sans dialogue que me joue la nature : la brise glaciale fait clapoter les eaux du Loch Lomond sur les plages de galets. Elle porte les murmures de l’autre rive : le chant des rivières qui viennent se coucher dans le lit du loch ; le train de marchandises qui roule au pied des montagnes… Le bruit des essieux résonne. Le son arrive à mes oreilles après avoir parcouru toute l’étendue d’eau nue. Le train se fait entendre avant de se faire voir. Long serpent bruyant qui perce le flanc des montagnes.
Souvent, il pleut. Il pleut horizontalement. Il tombe une pluie persistante. Une pluie qui s’infiltre absolument partout, jusqu’à venir vous rouiller la carcasse. C’est une erreur de partir sans être prêt à se laisser complètement modeler par la nature. Il nous faut se soumettre à son bon vouloir. Courber la tête devant elle, devant ses éléments. Le marcheur devient alors un marin sur une barque sous les 40es rugissant. C’est-à-dire plus rien, une plume dans les pattes d’un ours.
Mais le soir, au village que je trouve toujours comme par hasard, il y a le pub. Le lieu de vie par excellence. Tout est plus intense au pub : de bière locale, la Tennents fraîchement tirée, au whisky Glencoe 16 ans d’âge, brûlant, dans lequel s’oublient quelques glaçons. Dans les villages d’Écosse, on trouve aussi des maisons symétriques et des enfants trop épais. Quand la nuit est tombée, les premiers feux de tourbe sont allumés dans les foyers alors que les gamins sont encore en t-shirt. Ils se pressent dès l’ouverture du seul fish&chips du coin.
Se laisser modeler par la nature
Dans la nuit glaciale, on sent les morsures du froid portée par les vents polaires et atlantiques.
Après 6 jours de marche, je découvre pour ma dernière nuit sous la tente l’un des plus beaux spots de cette aventure sur les bords d’un loch. Quand le soleil se couche, c’est comme si chaque montagne s’était allumée à tour de rôle dans un concours de beauté entre le ciel et la terre. Puis le matin, les rayons de soleil apportent une lumière dorée à la forêt. Les montagnes se reflètent alors dans les eaux du lac. Comme un miroir immense. Quelques canards s’ébrouent dans les reflets dorés alors que les pins projettent leur ombre sur la tente.
Vient enfin Fort William et la fin du chemin. À son extrémité se trouve la statue d’un marcheur qui se masse le pied, un sourire de satisfaction sur le visage. Il regarde la rivière Lochy qui s’élargit avant de se jeter dans les eaux salées de la mer d’Écosse. On comprend alors subitement que tout s’arrête maintenant. Sans s’y être vraiment préparé.
Ici, chaque marcheur a sur le visage le même air fier et ravi de la statue qui regarde la rivière…