Les belles années de Léopoldine HH
Depuis quelques saisons, les spectateurs strasbourgeois des Bibliothèques idéales ne cessent d’être bluffés par le talent et la fraîcheur de Léopoldine Hummel quand elle orchestre les soirées consacrées à Brel, Barbara, Aznavour, Gainsbourg… Sur scène, elle virevolte, rit, multiplie les connivences avec ses partenaires et, bien sûr, chante comme si sa vie en dépendait. D’ailleurs, il se pourrait bien que ça soit le cas…
On la retrouve au lendemain même de son tout dernier spectacle en Alsace (c’était au Point d’Eau d’Ostwald, le 7 février dernier). « On termine presque la tournée de notre premier album, Blumen in Topf » dit Léopoldine, « elle avait débuté en fanfare à la salle blanche de la Librairie Kléber il y a déjà plus de trois ans devant un incroyable public qui avait eu bien du mal à entrer tant la salle était bondée. On a terminé tous les trois (avec Charly Marty et Maxime Kerzanet, ses complices de tous les instants -ndlr) debout sur le canapé avec nos instruments, c’était fou ! Ce qui est fou aussi, c’est le destin de cet album. À Kléber, on voulait le présenter comme un objet enregistré en quelque sorte… On n’imaginait pas forcément enchainer les concerts derrière et résultat, on en est aujourd’hui à trois ans de tournée, plus de cent dates derrière nous et on est encore ébahis par le succès en retour. Nous avons été très touchés par les récompenses qu’il a reçus : le Prix Moustaki – Prix du jury et Prix du public, un Coup de cœur de l’Académie Charles-Cros… Du coup, on est entré dans un réseau qui est très porteur, les effets bouche-à-oreille et boule de neige sont très importants. On est tellement chanceux de pouvoir être sur scène tous les trois. Hier soir, à Ostwald, on a joué Blumen in Topf pour la dernière fois en Alsace où on quand même fait une dizaine de dates depuis trois ans. Il y a toujours une saveur particulière à jouer ici, il y mes proches qui sont là, c’est mon Heimat quoi, il y a un truc dans l’air… Dix villes en Alsace, ça veut donc quand même dire qu’il y a des gens dans 90 villes françaises en dehors de l’Alsace qui ont chanté la petite comptine en alsacien avec moi, hein, c’est pas mal, non ?» (rires)
Ce fut d’abord le théâtre
Léopoldine, il ne faut pas la pousser longtemps pour qu’elle raconte tous les petits détails, les à-côtés de sa vie de baladin qu’elle affectionne tant. « On vient tous les trois du théâtre et on a un rapport un peu particulier aux concerts. On ne fait pas que de la musique, on ne fait pas que chanter. On dit souvent qu’on « déculotte la vieille ». Ça veut dire que n’importe quel incident est du pain bénit qui nous permet d’improviser entre les chansons ou de réagir à un cri venu du public qui va nous permettre de dialoguer avec lui. Hier soir à Ostwald, c’est un ampli qui a pété en plein concert. On en avait un autre en secours, bien sûr, alors on a arrêté la chanson, on a changé tranquillement l’ampli et on était tellement naturels et détendus que les gens ont vraiment cru que ça faisait partie du spectacle !.. La scène, c’est là où on se sent le mieux au monde : on a cette énorme chance de faire un métier qui, régulièrement, nous offre ces belles parenthèses dans notre vie. Dans notre cas, ce ne sont pas exactement des chansons, ce sont des textes littéraires mis en musique, ce sont des formats un peu bizarroïdes et on se retrouve tous d’accord pour que ce soit une fête avec le public…»
À ce stade, on insiste pour comprendre d’où vient tout cet appétit pour la scène, les mots, la musique et cet amour du public, aussi… Bien sûr, on sait que la génétique a joué son rôle, nous qui avons souvent le plaisir de claquer la bise aux parents, Jean-Marie Hummel et Liselotte Hamm.
« Cependant » précise Léopoldine « je ne voulais pas faire la même chose que mes parents. J’ai voulu très tôt faire du théâtre pour avoir mon espace à moi, et puis mes rencontres avec tant d’espaces de création différents m’ont donné envie de mettre de la musique sur des textes qui trainaient au bord de mon lit quoi, des passages que je rognais, que je surlignais. Un musicien m’a dit : tiens, j’ai composé cette musique, mets-moi un texte dessus. On s’amusait avec les mots, les notes, les harmonies…»
Le théâtre donc, pour s’affirmer face aux parents qui, néanmoins, ont réussi à faire entendre leur voix pour que leur fille aille au bout de ses études au Conservatoire (« ils ont eu évidemment raison » reconnait-elle aujourd’hui). « Ça prend de la place des parents qui font un métier artistique, explique Léopoldine, quand ils préparaient un spectacle, il fallait que toute la maison soit à leur tempo mais nous, mon grand frère, ma petite sœur et moi, on allait à l’école, on avait d’autres tempos et d’autres envies, on était des enfants qui voulaient déconner et c’est vrai qu’on a vécu des moments où ce n’était pas possible ! Bon, ceci dit, l’enfance a été heureuse, plein de copains étaient sans cesse à la maison qui avait la réputation d’être « la maison des artistes » avec mes parents qui n’hésitaient pas à chanter et à jouer. Ils étaient cabots, voilà… (rires). Non, je devais éviter de faire comme eux parce qu’alors ils auraient eu un regard critique hyper sévère, donc cet autre terrain sur lequel j’ai eu envie d’aller devait me permettre de m’inventer d’autres maîtres que mes parents, c’est tout simple. Cependant, la manière de vivre de mes parents me faisait rêver, je les trouvais tellement épanouis dans ce qu’ils faisaient, nous les enfants on a été tellement chanceux de grandir dans cette famille-là, mais moi, il me fallait aller chercher ailleurs d’autres manières de m’exprimer. Ce fut le théâtre que j’avais découvert grâce à eux d’ailleurs. Je me souviens de mes émotions de quasi gamine, je devais avoir une dizaine d’années, après avoir vu Voyage au bout de la tristesse, de Fassbinder, mis en scène par Jean-Louis Martinelli au TNS, par exemple. J’étais loin de tout comprendre, évidemment, mais j’étais fascinée, déjà… Un autre souvenir théâtral marquant, je devais avoir seize ans, c’est quand j’ai vu une pièce de Gildas Milin et compris qu’on pouvait être totalement libre au théâtre et proposer des choses complètement différentes au public. Ce fut presque une révélation, pour moi. J’avais compris que le théâtre était un format où tu pouvais inventer, mettre les deux pieds dedans et faire avec que tu es, au plus intime. Tu peux tout y inventer. Là, je me suis dit que c’était le métier que je voulais faire… Ensuite, à mon pote Simon Vincent qui était avec moi à l’option théâtre du Lycée des Pontonniers, on disséquait tout, Stéphane Braunschweig (alors directeur du TNS -ndlr) était notre Dieu et je me suis plongée avec délectation dans le théâtre. Quelle chance d’avoir été dans ce lycée qui m’a permis d’aller voir tous les spectacles du TNS !.. J’ai pu planter mes racines dans un terreau exceptionnel…»
La vie, grande ouverte…
Il y eut donc cette « légère overdose familiale et alsacienne » comme Léopoldine le dit joliment qui provoqua le départ à Besançon à l’âge de 18 ans avec son meilleur ami (« je voulais choisir plein d’autres choses et ailleurs qu’à Strasbourg»). Une liberté et une autonomie avidement assumées comme le prouve ce coup de folie d’un départ improvisé à Berlin pour trois jours « juste pour savoir si je pouvais me sentir bien avec des Allemands moi qui en avait eu une certaine phobie des années auparavant à cause de cousins d’outre-Rhin que je voyais bien trop souvent…» Une nuit de danse et de folie plus tard, à la sortie du Roter Salon, un bar près de la Volksbühne, le problème identitaire a été définitivement réglé après que tout le groupe se soit « fait un énorme câlin d’amitié franco-allemande » dit-elle en riant à gorge déployée.
Elle est comme ça, Léopoldine, d’une fraicheur et d’une spontanéité réellement étonnantes. Elle raconte aussi ses passages de doutes avant que Gildas Milin (le hasard n’existant bien sûr pas…) recroise sa route toujours à Besançon. Puis c’est l’émotion qui jaillit quand elle évoque le jour où, pour la première fois, elle s’est sentie si bien sur une scène, après deux week-end de travail et de pratique sensorielle allant bien au-delà du théâtre, avec l’acteur et le metteur en scène.
Ce moment est (re)fondateur et Léopoldine parle de « ces rencontres qui donnent du sens et qui permettent de foncer sur la voie qu’on s’est découverte… ». Elle entre ensuite pour trois ans à la Comédie de Saint-Etienne : « Dans ma promo, c’étaient des acteurs incroyables, nous vivions tous les jours ensemble de neuf heures à minuit, on était des monstres, c’était électrique, tout le temps… Aujourd’hui, on reste très liés, on prend souvent des nouvelles des uns des autres et on vit des moments formidables… »
De retour à Besançon au sein d’une troupe où Léopoldine sera en même temps comédienne permanente mais aussi administratrice, prof de théâtre… elle vit en immersion totale durant quatre années dans l’art qu’elle a choisi. Formation intense.
Et puis, c’est la rencontre avec Maxime, lors d’un festival à Besançon. « Là, on monte cinq spectacles en trois semaines avec une équipe d’acteurs qui sortent tous des écoles » se souvient-elle. « J’ai joué Chimène dans Le Cid, Arielle dans La Tempête -un rôle incroyable- et Charly était là aussi. Un soir, on nous demande à tous les trois de monter comme un cabaret forme apéro qui, en deux ans de succès fou, deviendra le spectacle incontournable du festival » ajoute-t-elle en riant.
Et tout s’enchaîne de nouveau. Le spectacle s’affine et se met à tourner ici ou là. Les trois travaillent à le ciseler. La compagnie bisontine leur procure le budget pour enregistrer un album avec les chansons du spectacle qu’elle chante depuis quelques années dans les bars, dans la rue et dans les petites salles de Franche-Comté. Maxime et Charly « arrangent l’une ou l’autre chanson avec leurs trucs, leurs bidouilles et leurs boîtes à rythmes » rigole Léopoldine.
Après un détour par Paris en 2016, l’enregistrement de Blumen im Topf se fait dans la foulée, à Besançon sous la houlette d’un patron de studio « génial », Fabien van Landuyt (dont Léopoldine moque amicalement l’accent belge à merveille…) et les trois complices héritent une semaine plus tard d’un « objet incroyable ».
La suite, les prix obtenus, les concerts et les tremplins, on la connaît. Mais l’expérience s’est renouvelée il y a peu car l’enregistrement du deuxième album vient de se terminer, toujours piloté par Flavien. « Ce ne sont que des textes inédits de Gildas Milin. Rien que ça, ça montre que j’ai agi en totale liberté, ce qui était évidemment la condition sine qua non pour sortir un nouvel album. Ainsi, la boucle est bouclée. L’album sortira à l’automne prochain, il devrait s’appeler Super lumière… »
Enfin, pour essayer de cerner complètement la joie de vivre et le superbe épanouissement qui émanent de cette jeune femme de 34 ans qu’on sent si impatiente de continuer à croquer les belles choses de la vie, il y a également eu l’arrivée de Yaouen, son fils, aujourd’hui âgé de deux ans. À la question de savoir comment une telle boulimie de création et ce déferlement de dates de concerts peuvent être désormais gérés, Léopoldine a cette réponse merveilleuse : « La présence de mon fils, au fond, me permet de mieux profiter encore de ce que je fais parce que chaque moment où je ne suis pas avec lui se doit absolument d’être intense et extraordinaire car, sinon, il n’aurait aucune valeur comparée aux moments que je pourrais passer avec Yaouen. Du coup, sa présence a rendu ma vie encore plus intense, mon niveau d’exigence artistique a encore monté d’un cran… »
« J’ai tellement de chance ». Ce sont les mots que Léopoldine aura peut-être le plus souvent prononcés lors de cet entretien. Comme quand elle évoque la confiance que lui accorde François Wolfermann qui lui confie des cartes blanches pour l’organisation des incroyables soirées des Bibliothèques idéales. « Tu te rends compte, avoir la chance de chanter Barbara sur la scène de l’Opéra de Strasbourg !» se souvient-elle… « La vie ne vaut que pour vivre ça, d’autant que c’est à chaque fois, pour chaque artiste disparu, un moment unique, qui n’aura pas de lendemain. Ce sont des rendez-vous que je ne raterais pour rien au monde… »
Ultime preuve donnée par cette boulimique de créativité toujours prête à se laisser envahir par les plus grandes émotions artistiques, l’écriture, avec Maxime, d’un spectacle consacré à l’immense Gérard Manset.
Mais bon sang, comment font-ils ces deux-là, en cette deuxième décennie du XXIème siècle, alors qu’ils ont à peine dépassé la trentaine, pour repérer l’aura, certes incroyable, d’un chanteur désormais septuagénaire qui n’a jamais chanté sur scène et ne s’est surtout jamais vautré dans tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin au show-biz ? « Simple » répond Léopoldine du tac-au-tac.«Avec Maxime, on a entendu sa chanson Revivre à la fin du film Holy Motors, de Leos Carax. Et on a été scotchés, on avait envie de rire et de pleurer en même temps, une émotion dingue pour un morceau sur deux accords !.. On a ensuite récupéré tous ses vinyles dans des vide-greniers, on a construit une espèce d’errance à travers ses chansons et on a joué ça pendant deux ans. On a même eu ses fans qui sont venus avec plein de méfiance et nous ont dit : attention, on ne fait pas n’importe quoi avec Manset ! Quand ils ont vu qu’on avait respecté le personnage, ils ont été rassurés. Du coup, Maxime a eu envie de le faire sur une scène de théâtre, à cause du côté épique qui figure dans beaucoup de ses chansons. On l’a joué à Avignon l’été dernier et on fait un vrai carton. On va le présenter au TAPS Scala début juin prochain… »
Elle en est là, Léopoldine. Positive, souriante à la vie, résolument campée sur les chemins qu’elle aime fréquenter avec ses deux complices mais tout aussi avide d’explorer tous les territoires possibles de la création. Comédienne et chanteuse, chanteuse et comédienne… c’est ce qu’elle voulait être. Depuis le début…