L’Esperluète : tout le monde n’a pas eu la chance de vivre un échec
À seulement 35 ans, Maud, fondatrice de l’Esperluète, a déjà connu plusieurs vies d’entrepreneur : un poste salarié, des prestations en free-lance, mais surtout 2 entreprises lancées, dont une qu’elle a quittée. Elle a accepté de me raconter comment ce coup d’essai n’a fait que la renforcer dans la construction d’un projet à son image.
En ce vendredi glacial, je retrouve Maud au Générateur, rue Sainte Madeleine. Cette boutique de créateurs fait partie des distributeurs de ses savons, bougies et baumes à lèvres. Adhérente de l’association, Maud y tient une permanence de 3h ce jour-là. Quand j’arrive, elle est déjà à 100 à l’heure, bonnet vissé sur la tête, derrière son ordinateur, à accueillir les clients : le froid et la fatigue n’ont en rien entamé son naturel enjoué.
Et de l’énergie, il lui en faut pour mener de front ses multiples vies : en plus de sa savonnerie artisanale L’Esperluète, Maud continue d’occuper un poste salarié à mi-temps, en tant que responsable communication d’un groupe d’immobilier d’entreprise à Strasbourg. Jusqu’à 12h30, elle est salariée, de 13h à 1h du matin, elle reprend la casquette de chef d’entreprise. « Mais j’ai souvent tendance à déborder », reconnaît-elle. Elle a installé son laboratoire cosmétique au sous-sol, chez elle. « J’essaye de dégager du temps pour manger, ma mère vient de Colmar pour s’en assurer ».
Monter une savonnerie, ça paraissait un peu improbable. Maintenant, on entend parler de saponification à froid, mais il y a 8 ans, personne ne savait ce que c’était
Son intérêt pour la slow cosmétique, Maud l’a d’ailleurs affûté auprès de sa mère, elle-même naturopathe, reconvertie à 50 ans. Elle s’équipe en une semaine, produit pour sa consommation personnelle puis pour son entourage. Alors sollicitée en tant que graphiste free-lance dans une agence sur le déclin, elle décide de se consacrer à la savonnerie, en se lançant sous son propre nom.Elle expérimente de nombreux statuts. D’abord en auto-entrepreneur, en 2010 : « Monter une savonnerie, ça paraissait un peu improbable. Maintenant, on entend parler de saponification à froid, mais il y a 8 ans, personne ne savait ce que c’était ». Puis en SARL, lorsque le volume de ses achats de matières premières augmente. Mais comme souvent, le cap de la deuxième année apporte le premier coup dur : « J’ai blêmi à la vue du chèque qu’il fallait faire au RSI, alors que je ne m’étais pas versée 1 centime ! ».
Elle complète son parcours avec des formations et stages professionnels, obligatoires ou non. Elle s’associe avec un fidèle client qu’elle forme. Leurs divergences de vision apporteront le coup fatal à cette première entreprise : Maud s’oppose alors à l’utilisation de son nom, et décide de se retirer de celle-ci. « Comme dans toute création, on s’investit énormément dans son projet. Ce qui a été le plus dur, ça n’a pas été d’arrêter l’activité, mais d’avoir laissé une part de moi dans cette entreprise qui n’est plus la mienne. ». C’est ainsi que pour des raisons personnelles et professionnelles, elle décide de retourner temporairement au salariat.
Deux ans plus tard, alors qu’elle n’avait pas renoncé à revenir à l’activité de savonnerie, on vient la chercher. L’entreprise Fun’Ethic, basé à Sierentz, souhaite collaborer avec elle pour développer une gamme de savons. Forte de sa première expérience, il lui faut peu de temps pour remettre le pied à l’étrier et monter son deuxième projet : L’Esperluète. Les banquiers, cette fois-ci, sont plus confiants : « Ils se disaient : ‘Tiens, une nana qui veut faire des savons dans sa cave’. Ça a facilité les choses de pouvoir ajouter : ‘Mais j’ai quelqu’un qui me les achète !’».
Maud se reconstruit alors sur des fondations plus solides : « En tant que salariée à mi-temps, je me suis mise en SASU* (plus d’infos concernant ce statut) . Même si c’est plus de frais à terme, je préfère envisager le pire et pouvoir bénéficier du chômage, de la sécurité sociale… ». Mais le plus important pour elle, c’est qu’elle vit et travaille en accord avec ses principes : un projet en transparence, vers une consommation plus saine, en lien direct avec les producteurs et les consommateurs… à l’image de son nom et des liens qu’elle souhaite créer.
Son prochain objectif est de quitter son emploi à mi-temps : « Ça commence à être compliqué de faire rentrer une journée et une demi-journée dans 24h. » En parallèle, elle recherche un nouveau local, en périphérie de Strasbourg pour limiter les coûts.
La résilience de Maud est à la hauteur de sa détermination, et des leçons qu’elle a su tirer de ses expériences. Elle recommande « de construire son propre prévisionnel, pas uniquement celui pour le banquier, de se faire confiance et de se forger une capacité nerveuse et une détermination à toute épreuve ». À ceux qui voudraient spécifiquement se lancer dans un projet éco-responsable, elle leur conseille « d’être armé pour tous les aléas qui l’accompagne, de dépasser le voeu pieux, pour ne pas être déçus par la réalité du terrain ». S’il fallait résumer son état d’esprit à l’heure actuelle, il se formulerait sûrement ainsi : envisage le pire, pour assurer au mieux. Et ça lui réussit.
PS : une campagne de crowfunding vient tout juste d’être lancée, alors soutenez l’esperluète en cliquant ici !