Muammer Yilmaz « La générosité des gens est universelle…»

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Muammer Yilmaz , c’est d’abord une question de feeling : une poignée de main d’une franchise totale, l’œil habité par cette petite lueur qui ne trompe pas, le tutoiement spontané avec la voix enjouée et l’enthousiasme qui habite les cordes vocales.

C’est ensuite une question de crédibilité : il ne dit pas « j’aimerais bien faire… » ou « j’espère que je ferai… » comme tant et tant d’autres. Il fait, tout simplement… Il le raconte un peu partout à travers le monde, sans forfanterie, juste convaincu qu’il débroussaille le chemin pour d’autres. Le rencontrer un jour de grisaille automnale à Strasbourg, c’est d’un coup repeindre instantanément le ciel en bleu indigo, y accrocher un bon vieux soleil estival et écouter piailler les goélands au-dessus de notre tête… Rencontre avec un homme qui dit tranquillement : « Je n’ai jamais rêvé d’être riche, j’ai toujours rêvé d’être un homme bien et de raisonner avec le cœur plutôt qu’avec le portefeuille… »

 

Un mot tout d’abord, Muammer, sur le contexte familial qui a sans doute pour beaucoup contribué à te doter de la personnalité qui t’habite aujourd’hui…
Je suis né il y a quarante-trois ans à l’hôpital Pasteur à Colmar, dans la chambre 212 et c’est Mme Meyer qui m’a sorti du ventre de ma mère. (rires) Bon, je brode un peu, je ne me rappelle pas vraiment du numéro de la chambre (rires encore plus forts)… Mon père était un enseignant d’origine turque. Il a quitté la Turquie pour une année, juste pour venir voir comment c’était en France et gagner quelques sous. Et il est resté à Colmar. Les enfants sont nés (j’ai un frère et une sœur) et tout s’est enchaîné… Tu as sans doute raison, la personnalité se construit très tôt. Au collège, j’ai toujours été délégué de classe, je n’ai jamais été timide et j’ai toujours aimé m’occuper de mes camarades, les soutenir voire les défendre dans ces réunions où j’étais chargé de représenter toute la classe. On m’a toujours dit : toi, un jour, tu seras président. Président d’association, je l’ai été et ça m’a suffi. En fait, j’ai une énergie naturelle et j’aime bien la partager. Ça permet de créer pas mal de choses avec plein de gens… C’est sans doute dans ce contexte-là que je me suis retrouvé à l’Université de Strasbourg, en cinéma-audiovisuel et que, dès mon arrivée, j’ai créé Télé Campus, la télé des étudiants. À l’époque, il n’y avait pas les smartphones comme aujourd’hui. Alors, on s’est regroupé avec les copains pour partager notre passion commune pour les images et les reportages. En même temps, ce fut une géniale formation sur le tas : j’ai appris à tourner, réaliser et monter les sujets, à faire le travail d’un journaliste, j’ai appris l’art d’interviewer. Un jour, j’ai estimé à plus de 500 le nombre d’étudiants qui étaient passés par cette filière au point qu’il y a aujourd’hui pas mal de producteurs strasbourgeois qui peuvent dire qu’ils ont débuté à Télé Campus. Des vocations s’y sont éveillées et j’en suis encore très heureux aujourd’hui. Moi, finalement, je m’étais ainsi créé mon propre emploi et pendant dix ans, j’ai fabriqué de la télé, un peu de radio en association avec RBS et j’ai même un petit peu vécu les tout débuts de la presse via le numérique. Tout cela m’amène en 2008 à monter ma petite boîte de production. D’abord, dans mon esprit, c’était place aux jeunes à Télé Campus, il fallait leur passer le relais et puis je m’étais débrouillé pour signer mon premier contrat avec TRT, la télévision publique turque. J’ai vécu ça comme une nouvelle aventure qui commençait : faire des reportages dans toute la France sur la vie et les créations de la communauté turque pour pouvoir ensuite les diffuser dans le monde entier. On avait une totale liberté éditoriale et on fabriquait tout, jusqu’à la présentation en plateau. On comptait vraiment sur nous pour enchaîner idée de reportage sur idée de reportage.Et puis, en 2014, une drôle d’idée m’est venue. Faire un tour du monde…

Là, on en arrive à l’essentiel de ce qui te constitue aujourd’hui. Du coup, on aimerait que tu nous racontes en détail…
En fait, pendant toutes ces années, je n’avais jamais cessé de voyager. En famille, d’abord : tous les ans, on se faisait nos 6 000 km de road-trip en Turquie, pour les vacances. Puis à l’âge de 17 ans, j’ai décidé de partir pour les États-Unis. J’avais calculé que le périple allait me coûter aux alentours de 10 000 francs de l’époque. J’étais mineur, je suis allé voir mon père qui m’a encouragé à y aller. Je lui ai dit : « ça coûte un peu… » et il m’a dit : « et bien, tu travailles et tu y vas ». Et quand je lui ai appris que chez les copains avec qui je prévoyais de partir, c’étaient les parents qui prenaient en charge, il a ajouté : « chez nous, ce n’est pas comme ça, si tu veux partir, tu pars avec ton argent à toi… ». Alors, j’ai vendu des nougats, des pin’s, des chocolats. J’ai bossé dans des bars, j’ai fait la plonge dans des restaurants, j’ai fait un peu tous les boulots que je trouvais et non seulement, j’ai gagné ce budget et même, cerise sur le gâteau, de quoi me financer aussi une caméra. Quand j’ai annoncé que j’allais pouvoir me payer ça, mon père m’a dit : « écoute, la caméra, je te l’offre et l’argent, tu le gardes comme argent de poche. Tu en auras besoin… ». Mon père est décédé en 2013, mais je n’oublierai jamais la leçon de vie qu’il m’a donnée. C’est allé loin, en fait : à ce moment-là, en me payant ce voyage aux États-Unis, je me suis payé le monde ! Je me suis immédiatement dit que si, à 17 ans, je pouvais me payer ce voyage et bien, je pouvais partir partout… J’ai appris aussi que pour avoir un franc en poche, il fallait le gagner. Quitte à travailler comme un fou, comme un turc, quoi… (énorme rire), comme ceux que je voyais autour de moi et qui avaient toujours deux ou trois boulots qu’ils faisaient en même temps. Sincèrement, il m’est arrivé à une certaine époque de tellement travailler que je ne dormais quelquefois pas pendant quatre jours. Tu veux le détail ? Je bossais au Régent Petite France dès six heures du matin et jusqu’à 15h, j’enchainais direct avec le Sofitel jusqu’à 22h. à 23h, je commençais mon job dans un bar, la Java à l’époque, jusqu’à 5h du matin. Et à six heures, je reprenais. Pendant quatre jours de suite, jeudi, vendredi, samedi et dimanche…

Ce premier grand voyage de ta vie, aux États-Unis donc, a donné le coup d’envoi d’une véritable frénésie. Mais il n’y a pas que la passion de l’ailleurs qui est née à cette occasion, il y a aussi celle de filmer, grâce à la petite caméra offerte par ton père…
À l’époque, quand j’avais dix-sept ans, je me suis dit : waoohh, quelle chance j’ai de faire ce voyage ! Si ça se trouve, je n’aurai plus jamais cette chance-là. Alors, ce rêve américain en quelque sorte, il fallait que je le filme, que je capture les images, le son… Je me suis dit alors que je pourrai sans doute, plus tard, vivre de ma passion. Cette idée s’est formalisée lors de ce voyage. Et je me suis mis à les enchaîner ces voyages…

Au début des années 2010 naît l’idée de faire le tour du monde. Là encore, une rencontre servira de déclencheur…
Oui. À force de voyager, tu finis par rencontrer un mec qui a fait le tour du monde. Tu parles avec lui, tu le questionnes, tu délires. Puis tu finis par te dire : mais si lui l’a fait, je peux le faire moi aussi ! Quand tu es branché comme ça, tu as toi aussi dans la tête cette idée d’aller voir si la terre est ronde, comme on le dit… Ce truc tout bête : tu pars dans un sens et tu reviens par l’autre côté… ça me trottait dans la tête depuis un bon moment, mais bon, il y avait les attaches, les contraintes de la vie professionnelle, familiale, les finances, bref tout ça… En étudiant tous les paramètres, je me suis fixé un tour du monde en trois mois. J’ai tout étudié et je me suis finalement décidé à le faire seul, ce tour du monde. Et puis, un jour, je croise Milan qui me dit : mais moi aussi je veux le faire, le tour du monde. Milan, je l’ai rencontré grâce à CouchSurfing, ce site qui te permet d’accueillir des voyageurs chez toi. Il m’a accueilli chez lui, à Berlin, en 2010. On avait ensuite gardé le contact. En 2014, on passe de nouveau trois jours ensemble, à mon retour à Berlin. Ce moment-là, je lui raconte, notamment, deux grands voyages que j’ai fait avec Philippe Frey, l’explorateur des déserts, qui m’avait fait rêver quand j’étais étudiant avec les histoires de ses voyages qu’il racontait si bien. J’en avais profité pour tourner un documentaire sur les peuples de l’Omo, en Éthiopie et un autre, sur les nomades qui traversent le désert tchadien. Je raconte longuement à Milan tout ce que deux voyages-là m’ont appris sur ces peuples qui vivent de rien et qui nous permettent de comprendre que toutes les choses matérielles ne sont pas si importantes que ça. Je lui dis aussi à quel point ces deux voyages m’ont permis de me déconnecter de la drogue de l’information, telle que nous la connaissons ici. J’ai vécu avec ces gens qui ne s’intéressaient qu’au monde qui les entoure. Ils m’ont beaucoup inspiré et je me suis mis à m’intéresser beaucoup plus aux vraies gens, pour mieux les connaître. Je me suis consacré à ici et maintenant, pour résumer. Pendant cette marche dans le désert tchadien, une marche dure où ton corps et ton esprit sont éprouvés chaque minute de chaque jour, j’ai en fait appris à penser différemment. Un bobo, une douleur, la soif éprouvante, un mal de tête ? Je me disais : eh mec, t’as la chance d’être ici, alors profite. Il suffit d’attendre quelques heures, un jour peut-être, et la douleur va passer toute seule… Tout cela, et bien d’autres choses encore, je le raconte à Milan et du coup, on se dit tous les deux qu’on est prêts à le faire, ce tour du monde…

Et ce sera cette belle mais folle décision, faire un tour du monde sans rien dépenser… Qui en a eu l’idée ?
D’abord, Milan me dit qu’il veut faire ce tour du monde en deux ans. Moi, je lui dis : 80 jours. Après de longues discussions, il se range à mon avis. Après il me parle de l’émission-télé « Nus et culottés ». Mais moi, je n’ai pas la télé et je ne vois pas du tout ce dont il parle. Je découvre l’émission sur le net et je lui dis : c’est OK, on va faire le tour du monde sans argent ! En fait, notre projet s’est bâti sur un mix d’inspirations : Jules Verne, Antoine de Maximy (le routard, créateur de l’émission J’irai dormir chez vous – ndlr) et plein d’autres voyageurs… Très sincèrement, avec Milan, on a cherché la valeur qu’on voulait partager. Ce tour du monde, on le fait juste pour nous ou alors on le partage, à fond ? Ce qui en est ressorti, c’est qu’il y a des gens bien partout dans le monde et que nous les avions déjà rencontrés lors de nos voyages respectifs. Il y a des papas, des mamans et des enfants partout ! C’est vraiment une constance, ça. On a tous des stéréotypes dans la tête et, une fois sur place, au contact étroit avec les gens, ces stéréotypes se désintègrent en très peu de temps. On a voulu monter ça, on a voulu montrer qu’il y a des gens bien absolument partout. C’est donc devenu notre postulat de départ. Donc, le fait de partir sans argent, c’était prouver de façon incontestable que la générosité des gens est universelle…

Impossible ici, et c’est bien dommage, de bénéficier de toute la place qu’il faudrait pour tout nous dire sur ce tour du monde que tu as réalisé avec ton pote berlinois. Quelques moments forts, peut-être ?..
On est parti de Paris le 9 septembre 2014, c’est une de rares dates que je suis parvenu à retenir sans problème, tant elle a marqué ma vie. Chacun avec notre sac à dos, point-barre. L’aventure totale. Pour être franc, on avait quand même testé ça avant : Strasbourg-Berlin tous les deux et moi, de mon côté, Turquie-Azerbaïdjan. Ce dernier test m’avait vraiment donné confiance en moi en parvenant à traverser les frontières et des pays que je ne connaissais absolument pas… Sincèrement, au départ de notre tour du monde, je n’étais pas inquiet. Et heureusement, car on quand même vécu une foule d’événements pas toujours évidents. Chaque jour, le bord de la route, faire du stop et se prendre des centaines de « non » tout le temps, avec ces voitures qui ne s’arrêtent pas… Puis parler avec les gens, demander de quoi manger, dormir, encore et encore des « non »… Mais, malgré tout, on apprend vite à se concentrer sur les « oui » parce que toujours, quelqu’un s’arrête, toujours quelqu’un nous invite à sa table ou nous donne de quoi manger et toujours, on peut dormir dans de bonnes conditions. Première étape à Strasbourg (où je joue le jeu en ne faisant appel ni à la famille, ni aux amis), puis Munich et tout l’Est de l’Europe. Très vite, on se rend compte que les gens nous suivent sur les réseaux sociaux. On atteint vite 50 000 vues, ça m’a changé des deux ou trois like habituels !.. On a vite compris tout le parti qu’on pourrait tirer de ça, mais de temps en temps seulement. En fait, ce qui nous a surtout aidés, c’est de bénéficier d’un passeport européen, de connaitre à nous deux pas mal de langues, d’avoir suivi des études… et bien sûr, notre motivation. On a enchaîné après l’Est de l’Europe : on est arrivé au bout d’une semaine à Istanbul, la ville de mes ancêtres et que je connaissais évidemment par cœur. Être arrivés là, en stop et en une semaine, on y croyait à peine ! Et, sans dépenser le moindre centime, on s’arrange pour être accueillis dans un hôtel quatre étoiles, on nous lave nos affaires et on se tape un méga petit-déj, une belle et bonne pause avant de reprendre la route. À Ankara, où on arrive très tard, on dort sur les tapis de la mosquée… Une foule de parcours en camions plus tard, on arrive à la frontière iranienne. Et là, première grosse frayeur : Milan s’aperçoit qu’il n’a pas le visa obligatoire pour pénétrer en Iran ! Il nous a fallu attendre sept jours pour qu’il l’obtienne, sept jours passés à Erzurum, une ville turque dont moi-même je n’avais jamais entendu parler. Je me rappelle que les gens étaient tellement sympas qu’ils se battaient presque pour avoir le privilège de nous recevoir à leur table ! C’est la ville où on est resté le plus longtemps lors de notre tour du monde ! On a fini par traverser et découvrir l’Iran, avec ce peuple si accueillant et ces gens si gentils, tout le contraire de ce que la télé nous raconte. J’y reviendrai longuement un jour, c’est certain. Ensuite, il faut traverser le Pakistan, qu’on aborde avec crainte, je l’avoue. Les trois premiers jours, c’est sous escorte policière parce que la zone craint un max. Heureusement, il y a un Turc qui voyage avec nous et qui nous offre à boire, à manger et l’hôtel. La traversée du Pakistan, on la fera plus tard pendant 26 heures consécutives en train, avec de très belles rencontres là encore et pas mal de leçons de vie. La gentillesse de ces gens a été exceptionnelle. Plus tard, en Inde, on connaitra l’effervescence de la fête de Diwali, l’équivalent de notre Noël. Des heures et des heures dans des wagons de trains bondés de chez bondés. On est tellement crevés qu’on s’allonge sous les couchettes, au milieu des chaussures des gens qui trainent partout. New Delhi, Agra, pour le Taj Mahal… Et puis Varanasi, quelle ville incroyable ! Un vendeur de saris, mais aussi gourou, nous prend sous son aile, nous offre de quoi manger et dormir. Après une soirée chez une Espagnole où il y a autant de nationalités différentes que de personnes autour de la table, notre hôtesse nous explique qu’elle se purifie elle aussi souvent dans le Gange. Malgré la pollution et quelquefois, les animaux morts qui flottent à la surface du fleuve. On a fini par nous aussi se baigner et se purifier dans ce fleuve qui est un des plus pollués au monde. Et il ne nous est rien arrivé, même pas une petite diarrhée. Plus tard, à Calcutta, on nous offre un billet d’avion pour la Thaïlande, puis ce sera la Malaisie, Singapour. Quand on y arrive, on se dit que si on trouve un billet d’avion pour traverser le Pacifique et atterrir en Californie, le plus dur sera fait. Et là, dans un bar, on rencontre J.B. Wood : on ne sait pas que ce gars est un grand businessman qui œuvre dans les nouvelles technologies, qu’il conseille des boîtes comme Microsoft ou Dell pour qui il organise chaque année des méga-conférences… On lui raconte notre histoire en buvant quelques verres et là, il hallucine… Il nous dit : comment c’est possible ? Vous n’avez pas d’argent mais vous dormez dans un palace où même moi, je n’ai pas les moyens de dormir… On lui explique que cette une famille iranienne que nous avons rencontrée qui nous a offert le séjour. On refuse même les 100 $ qu’il veut nous offrir et on lui explique que c’est une règle qu’on s’est fixée. Si on accepte de l’argent, on mangera seuls alors que le but de notre voyage est quand même de rencontrer les gens. De fil en aiguille, il nous dit : OK, j’aime bien ce que vous faites, guys, ce billet d’avion pour la Californie, je vous l’offre. Quelques jours plus tard, on débarque à San Francisco, on l’appelle et c’est lui qui, personnellement, vient nous chercher à l’aéroport ! Je passe sur les trois jours de folie qui suivent : à la fin du troisième jour, on se dit qu’on va changer le monde ensemble !.. Il nous offre un billet de train pour traverser le pays. Tout à coup, ça devient plus facile : Salt Lake City, Denver, Chicago, Washington, ça s’enchaine. Arrivés à Washington, on réalise qu’on n’a même pas fait un kilomètre en stop aux États-Unis et que du coup, on n’a pas rencontré grand monde… ça nous manque. Alors, on laisse tomber nos billets de trains et on rallie New York via Philadelphie. À New York, on fait la connaissance des membres de l’association des français qui travaillent à l’ONU. Ils se débrouillent pour qu’on soit reçu dans cette institution qui est le symbole de la paix : un grand moment ! Parallèlement, avec le concours des réseaux sociaux et de certaines belles rencontres humaines qu’on a faites depuis notre départ, on sait déjà qu’on a nos deux billets d’avion pour rentrer en Europe. Il fut dire qu’on a partagé notre aventure chaque soir via le net et ça, traiter les photos, écrire les textes, c’est un vrai boulot de fou, en plus de trouver à manger, de quoi dormir, etc… Mais on en avait encore sous la semelle. Au lieu de rentrer direct à Paris, on décide de rentrer via le Maroc. On arrive à Marrakech, on prend un peu de temps puis on remonte en stop via le nord du Maroc et l’Espagne. D’ailleurs, il y a une anecdote que j’aime bien parce qu’elle résume bien au fond ce que nous avons vécu. Une femme nous prend en stop en Espagne et on lui demande si elle peut nous laisser à la frontière. Quelle frontière, dit-elle. Et bien, là où il y a les contrôles de papier. Mais il n’y en a plus, on passe sans s’arrêter, dit-elle en riant. On venait de faire le tour du monde, de passer tant et tant de frontières entre tous les pays où nous sommes passés qu’on ne se souvenait même plus qu’en Europe, les frontières n’existent plus. Bref, à notre arrivée à Paris, aux Champs-Élysées, où on a fait un bon repas offert par la Maison d’Alsace, on a 20 000 followers qui nous suivent jour après jour sur les réseaux sociaux et le lendemain, on enchaine avec une journée entière d’interviews dans les médias nationaux. On s’est ditque cette journée avait été une des plus fatigantes de notre périple…

Au final, après trois mois, quelque chose a changé en toi ?
C’est drôle, c’est la question que Milan m’a posée au lendemain de notre arrivée à Paris. Sur le coup, je lui ai répondu : non, trois mois c’est trop court pour ça. Mais je me trompais… D’abord, il y a eu cette forte médiatisation qui a bouleversé notre vie professionnelle : on a écrit un livre chez Michel Lafon puis en poche, chez Pocket, puis en langue turque et enfin chez Amazon. On a réalisé une série documentaire qui nous a pris un an pour le montage et qui a été diffusée sur la chaîne Voyage (elle est depuis encore multi-diffusée régulièrement), à la télévision portugaise l’été dernier, ainsi que sur une télévision russe. En plus, notre série est projetée sur tous les avions long-courriers d’Air France. Par ailleurs, il y a eu aussi un film de cinéma qu’on a présenté dans énormément de pays dans le monde dont une superbe tournée au Canada et, bien sûr, une multitude de conférences, trois rencontres Ted’X dont une à Las Vegas devant 1200 chefs d’entreprises à l’invitation de J.B. Wood. Et pour clore le tout, avec l’aide de Sébastien Bizzotto à l’écriture, j’ai créé un spectacle de théâtre sous forme de one-man show qu’on a déjà pu voir à la Choucrouterie et dans quelques salles en Alsace. Voilà pour le plan professionnel. Mais après, mon cœur, mon esprit, ma spiritualité ont complètement changé eux aussi. Quand on arrive à relever un défi pareil et qu’on a été les seuls au monde à le faire comme ça (ça, on l’a appris plus tard), tu deviens forcément quelqu’un d’autre, du moins par rapport à certains aspects de ta personnalité. Notre cœur a changé car on a reçu la générosité chaque jour durant ces trois mois : presque à chaque instant, on t’aide et ça, ça marque, oui. À ton retour, tu te dis : on m’a tellement donné, comment je vais faire pour rendre tout ça ? Concernant l’argent des retombées du livre, on a décidé tous les deux de tout donner ce que l’on allait recevoir. Avant même de connaître la somme. Pour ça, deux ans plus tard, en 2016, on est parti en Afrique, toujours à la rencontre des gens. On n’a qu’une seule question à leur poser, au départ : c’est quoi ton rêve ? On a réalisé dix-huit rêves : là, on a offert un nouveau toit pour une maison, ailleurs on fournit des chaises roulantes à des enfants handicapés, on plante des arbres, on finance des années d’études pour des jeunes Africains. Et ensuite, on réalise que ce parcours-là aussi nous a fait encore évoluer. On apprend au final que la plus belle chose au monde est d’aider l’autre, de recevoir un merci, de voir le bonheur dans des yeux qui brillent, de réaliser que tu as pu avoir un impact positif dans la vie des autres. On cherche tous le bonheur : on le cherche dans le matériel, dans le voyage, on le cherche un peu partout. Mais le plus grand des bonheurs est là, quand on aide l’autre, quand on l’accompagne et qu’on permet à sa vie de changer. Avec tout ça, on a réalisé un deuxième documentaire qu’on a diffusé et partagé dans dix pays dans le monde. J.B Wood l’a vu. Et il nous a dit : ce que vous avez fait, tout le monde peut le faire, au fond. Alors on va créer un site internet où chacun peut décrire son rêve et tout le monde contribuer à le réaliser. Alors, on s’est mis à travailler sur ce projet, qui n’est pas un projet facile, loin s’en faut, tant il est énorme. Pour l’heure, on fait des démarches pour l’embauche d’un chef de projet. J.B. Wood, lui, ne doute de rien ! LA dernière fois qu’on l’a rencontré aux Etats-Unis, il s’est écrié : One million dreams ! On va réaliser un million de rêves… On lui a fait gentiment remarquer qu’on avait permis à dix-huit rêves de se réaliser en Afrique. Mais quand on est en Californie, tout devient possible, non ? Richard Teyssier, le directeur général de Puma France, nous a proposé d’accueillir notre projet dès qu’on l’aura recruté, Semia va nous accompagner aussi, ça se met en place…

Et en attendant, tu continues tes voyages. Tu étais récemment en Amérique latine…
Mais oui. J’apprends tellement de l’autre en voyageant que je ne peux pas m’en passer. Et je ne cesse de partager ce que je vis. Je vais te faire une confidence mais je veux que tu comprennes que c’est tout sauf de la frime : durant ma vie, j’ai récemment calculé que j’avais visité 88 pays et 550 villes…

Ah oui, quand même !.. Ça fait une sacrée collection de passeports et de visas…
Tu ne crois pas si bien dire. Et c’est pas que positif : récemment, je n’ai pas pu me rendre en Inde parce que toutes les pages de mon passeport étaient tamponnées dans tous les sens et qu’il ne restait plus le moindre cm2 de libre pour apposer le tampon du visa indien. Je passe aussi sur quelques autres petites aventures, toujours avec Milan, comme le tour de France en 2 CV, sans argent bien sûr juste pour prouver à tous ceux qui nous avaient dit que c’est plus facile à voyager comme ça au bout du monde qu’en France qu’ils avaient tort. Il y a quelques années, on a accompagné des gens pour un périple au Maroc, en stop et sans argent…

Quand on a réalisé tout ça, on peut encore imaginer une nouvelle aventure ?
Mais bien sûr que oui ! La prochaine, c’est le tour du monde comme ça, les mains dans les poches, sans sac, une simple tenue, un slip de rechange, une brosse à dents, un téléphone, une caméra et leurs chargeurs. Et c’est tout. Minimaliste, écologique – zéro déchets, pas de plastique…-. Pour cela, on s’est déjà entrainé : on a fait plein de petits voyages sans bagage donc on sait qu’on peut le faire. Tout en restant propre, bien sûr ! (rires) ; Beaucoup de choses ont changé, oui. Même ma vie quotidienne : aujourd’hui, j’accepte n’importe quelle météo, l’hiver dernier, je l’ai passé en t-shirt. Même les jours où il faisait -10°. Je n’ai jamais été malade. Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, qu’il fasse beau pour moi c’est pareil… Avec ma brosse à dents, un savon naturel et de l’huile de coco, je suis paré : pas de déo, pas de parfum, pas de coton-tige, pas la moindre crème, rien… Et, parce que j’ai sans doute une très bonne constitution, je n’ai pas pris le moindre médicament depuis janvier 2018. Bientôt deux ans…

Tout ce parcours, et on ne parle pas seulement des kilomètres, a donc fait de toi un autre homme…
Je crois, oui. C’est aussi parce que j’ai appris à accepter les choses, à toujours penser positif. Et c’est en changeant ma manière de penser que je peux dire que je vis dans un monde zen alors qu’objectivement, le monde qui nous entoure est dur, très dur. Je ne tire aucune fierté déplacée de tout ça mais je pense sans donner de leçons que si moi j’y suis parvenu, plein d’autres peuvent le faire. Un de mes plus grands plaisirs est de voyager avec mon épouse mais aussi avec ma maman. Elle se plaignait tellement que je passe des mois autour du monde et que je lui consacre si peu de temps quand je passe la voir quand je suis de retour. Alors, après que mon père nous ait quittés, je lui ai promis qu’on ferait un voyage chaque année tous les deux : on est déjà allé plusieurs fois au Maroc, en Islande, à Fuerteventura aux Canaries, en Turquie bien sûr… C’est évidemment un super plaisir pour moi. »