Patrouille en pleine nature avec la police de l’environnement

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Les faisceaux des lampes balaient les branches des arbres et leur feuillage. La forêt. Il est bientôt minuit.

Je peine à suivre la cadence que le chef de la brigade nord du Bas-Rhin de la Police de l’Environnement impose. Au gré du ballottement de sa lampe frontale, sa silhouette athlétique se détache loin devant moi. Grand, les cheveux courts. Dominique file au cœur de la nuit et de la forêt. Le ciel est immense et noir, il s’est nimbé de toutes ses étoiles dans la nuit de l’été.

Pas d’autre bruit que celui de nos pas et de nos souffles. À la file indienne sur ce sentier des Vosges du Nord où nos pieds s’enfoncent délicatement dans le sable rouge.

J’ai perdu le compte des ruines de châteaux que nous inspectons ce soir de juillet, dans une forêt si grande qu’elle prend des allures d’océan vert. Me voilà accompagnant trois policiers de l’environnement dans l’une de leurs patrouilles sur le terrain. Il y a donc Dominique, le chef de la brigade nord du Bas-Rhin, Jean-Dominique et Benoît. J’ai voulu rencontrer ces policiers, observer leur métier. Comprendre leur mission de faire respecter le code de l’environnement.

L’objectif de la soirée : “Verbaliser les campeurs qui auraient allumé un feu, déclare Dominique. Ils ont le droit de camper, mais ils n’ont pas le droit de faire de feu ni de laisser de déchets”. Sinon ? “Sinon c’est 68€ d’amende. Voire 135€ s’ils sont montés en voiture par des chemins interdits à la circulation”.

Le rendez-vous a été pris à la gendarmerie de Woerth, pour le vendredi 13 juillet. Il est 17h. Début de patrouille. On s’installe dans le Duster gris floqué du logo de l’Office National de Chasse et de la Faune Sauvage. Cet établissement public sous la tutelle des Ministères de l’Écologie et de l’Agriculture a pour missions, entre autres, de faire respecter le droit de l’environnement et de la chasse et de mener des études sur la faune sauvage. On retrouve aussi ses policiers dans les autres établissement publics comme les Réserves naturelles ou les Parcs Nationaux.

Chevaliers de la forêt

Fenêtres grandes ouvertes pour apprécier l’air de cette soirée d’été. Direction le nord de l’Alsace et ses châteaux en grès, jamais très loin de la frontière allemande, pour verbaliser d’éventuels contrevenants. On emprunte des routes peu fréquentées qui traversent ces petits villages massés autour de leur église. Les maisons pavoisées ce soir de 13 juillet, rivalisent de couleurs chatoyantes et de colombages impeccables. Puis Jean-Dominique s’engage alors sur une route forestière aux ornières profondes. Témoin du roulis auquel le 4×4 est soumis, le pare-brise est barré d’une grande fissure.

Tous les trois vérifient si nous suivons le bon chemin pour arriver au plus près de notre premier spot, l’un des nombreux châteaux en ruines des Vosges du Nord.On descend par ce chemin là, non ?” demande Jean-Do, “Non non, faut encore monter par ici” répond Dom. On a vite fait de s’égarer dans ces forêts immenses où les chemin cahoteux se ressemblent tous. On se gare alors en contrebas du château pour parcourir les centaines de mètres qui nous en séparent à pieds.

Le soleil se couche doucement, baignant dans sa chaude lumière la cîme des arbres. Dom, Jean-Do et Benoît se séparent pour faire le tour de la ruine et inspecter chaque recoin à la recherche de traces d’anciens foyers, de charbon ou de déchets qui témoigneraient des incivilités. L’endroit est désert. Au sommet de la ruine, on trouve quand même un cercle de pierres, noirci par la présence d’un vieux feu.

Là, tout en haut du donjon, chacun de nous marque un temps devant la beauté de la vue sur la forêt qui s’étend à perte de vue. On aperçoit au loin le profil d’un autre château. Dominique l’observe aux jumelles pour repérer d’éventuels campeurs qui s’installeraient en ce début de soirée. Puis on descend au Duster qui reprend sa navigation sur les routes forestières défoncées. “Une fois, j’ai failli passer dans le ravin avec le 4×4, raconte Dominique. J’avais manœuvré sur un sentier étroit et une roue s’était retrouvée à tourner dans le vide. Impossible de remonter totalement sur le chemin. J’ai cru que j’allais dégringoler ! Heureusement un agriculteur m’a sorti de là en tirant la voiture avec son tracteur”. Alors on détache notre ceinture si jamais il fallait quitter la voiture en urgence, et on continue à s’accrocher fermement.

Loups et lynx

Cette patrouille va aussi nous permettre de reconnaître certains lots de chasse pour repérer les postes de tir, explique Jean-Do. En fait, chaque agent est le référent d’un territoire et il est chargé de cartographier les miradors et les abris de chasse pour diriger le contrôle, une fois que celui-ci est organisé”. Chacun ouvre donc l’œil sur la forêt qui nous entoure à la recherche d’un mirador neuf.

La soirée avance, sans croiser ni campeur ni randonneur tardif. Chacun en vient à espérer apercevoir ne serait-ce qu’un chasseur pour faire un contrôle. “La chasse de nuit est interdite, détaille Dominique. Les chasseurs doivent arrêter leur activité une heure maximum après le coucher du soleil – selon l’éphéméride locale. Ils peuvent reprendre le lendemain, une heure avant le lever du soleil”.

Mais la fierté de Dominique, Jean-Dominique et Benoît, c’est de contribuer au retour du lynx et du loup dans les Vosges. Avant d’être muté dans son Bas-Rhin natal, Benoît était affecté en Meurthe-et-Moselle où il a pu observer des traces du loup. “C’était beaucoup d’émotions ! raconte-t-il. On connaît le loup par la littérature ou les films, mais voir une trace de ses propres yeux, c’est assez prenant. J’étais avec un collègue, c’était en hiver, on était dans la neige. Pas de doute sur la trace : sa dimension, la manière dont il marche avec les pattes alignées – il marche dans ses propres pas. Il avait traversé un champ et avait consommé à proximité. Il n’y avait pas de doute possible. C’était vraiment une belle observation !” se souvient le policier de l’environnement.

Le loup, ce n’est pas parce qu’on ne le voit pas qu’il ne passe pas” continue Benoît, expert du sujet. “En revanche le lynx est souvent observé par les promeneurs : il est moins craintif que le loup et très curieux. J’ai eu la chance d’en voir un dans le secteur de Dabo il y a 15 ans. C’est stupéfiant : il s’assied et il vous regarde !”. Dans le Palatinat voisin, plusieurs lâchers ont lieux jusqu’en 2020. C’est ainsi qu’Arkos, un jeune lynx, est venu s’installer dans la région de Gérardmer. “Le collier GPS avec lequel ils sont lâchés a une durée de vie, détaille Benoît. On a perdu la trace de certains individus, mais c’est aussi le but, ils font leur vie ! On a quand même bon espoir qu’ils s’émancipent de leurs meutes et viennent s’installer sur le territoire français.”

Promenons-nous

Hohenfels, Hohenbourg, Schlossfeld, Wasigenstein… J’ai définitivement perdu le fil des châteaux que nous inspectons. Plus vertigineux les uns que les autres. Des escaliers branlants installés sur les parois nous mènent tout en haut des pitons de grès. Une fois au sommet, on observe les ombres des sapins dans la nuit maintenant tombée sur les Vosges du Nord. Le ciel explose d’étoiles. Pas un nuage ne vient voiler le spectacle. On sort les lampes de poche pour retourner au 4×4 et continuer notre inspection des bois.

Vers minuit, la patrouille s’achève. Nous n’aurons verbalisé personne ni repéré de déchets laissés par les usagers. Une petite déception déguisée en bonne nouvelle. Ou l’inverse. On redescend pas les mêmes routes forestières puis les départementales qui traversent Obersteinbach, Niedersteinbach et les autres villages du nord de l’Alsace jusqu’à Woerth.

Les portières claquent une dernière fois dans la nuit. On se serre la main sur le parking de la gendarmerie. Je ne lis pas de fatigue dans les yeux des policiers, alors que les miens peinent à rester ouverts après ces riches errances nocturnes ! Dominique, Jean-Dominique et Benoît reprennent leur service le lendemain. Peut-être rencontreront-ils des chasseurs. Ou un lynx…