Rencontre avec Pauline
Un dimanche d’octobre. Radieux. Sans doute le dernier beau week-end de la saison. Le soleil éclate dans le ciel d’Alsace du Nord et je suis installé dans le Kangoo de Pauline. À l’image des cavaliers de Reichshoffen, nous chargeons en direction des ruines du Windstein, un château médiéval devenu repère des grimpeurs de Strasbourg. J’ai eu envie de questionner ma meilleure amie sur son rapport à l’escalade, aux falaises et à la montagne. Et pour cela, quoi de mieux qu’un après-midi sur les falaises ?
Pauline est née et a grandi dans la région de Nîmes. Alsacienne d’adoption, elle pratique l’escalade depuis qu’elle s’est installée à Strasbourg il y a une dizaine d’années. Elle grimpe dans les différentes salles d’escalade en ville, sur les falaises des Vosges et partout où elle peut accrocher ses cordes.
C’est paradoxal, mais ce week-end, il fait trop beau pour sortir. Les collines rivalisent de beauté parées de leurs couleurs d’automne. Les jaunes côtoient les rouges sous un ciel bleu profond. On gare la voiture sur un parking improvisé en haut d’un champ, bondé de voitures immatriculées en Allemagne. On s’engage sur un de ces chemins des Vosges du Nord que le grès rend rouges. Corde, dégaines, chaussons, baudrier sont entassés dans nos sacs à dos.
Pureté, liberté
J’ai toujours connu Pauline amoureuse des pierres dressées. Et son coup de cœur est étroitement lié à Strasbourg. « J’ai découvert l’escalade à 21 ans. J’étais à Strasbourg depuis peu pour mes études et à l’époque, je faisais de l’aïkido sur le campus. Les séances étaient au sous-sol du gymnase. Un ami de mon cours, Aurélien, faisait 2h d’aïkido, puis une fois la séance terminée, il montait au premier étage et allait faire 2h d’escalade dans la grande salle qui supporte quelques murs artificiels ». Cette histoire d’escalade ne pouvait commencer autrement… qu’en montant dans les étages. « Je ne suis plus retournée à l’aïkido – alors que je passais ma ceinture noire ! – et j’ai commencé l’escalade comme ça. J’étais sous le charme de ce sport ».
Quand elle était petite, Pauline faisait de la gymnastique. Sa pratique lui a permis de progresser rapidement dans sa pratique de l’escalade. « J’étais un peu musclée, souple, pas très grande – ce qui est parfois un avantage ! Les seules choses que j’ai dues travailler, c’était la force des doigts, la technique et le renforcement musculaire ». Elle est à la fois intriguée par cet univers de cordes, de nœuds et de mousquetons, à la fois à l’aise quand elle respire cet air familier où flotte la magnésie. « J’ai découvert deux choses : une pureté dans le geste qui m’a plu et qui m’inspire toujours dans ma grimpe ; et une liberté que je ne trouvais pas dans la compétition en gymnastique ».
Grandes voies, petite voix
Au pied du Windstein, où des voix allemandes et françaises claquent dans l’air, on s’équipe. Pauline se souvient de sa première falaise, « un ou deux mois après [son] initiation. Avec Aurélien, on est allés à Gueberschwihr dans le Haut-Rhin. Et dans la voie, je me suis demandée ce que je faisais là ! Les prises n’étaient pas indiquées, je ne savais pas où poser les pieds, mes chaussons me faisaient mal aux pieds… En plus, j’ai tout de suite grimpé en tête – le grimpeur fait passer la corde qui l’assure à travers des dégaines qu’il installe au fur et à mesure de l’ascension sur la paroi. Arrivée en haut, mon ami m’a dit “maintenant tu fais un rappel, tu sais, le truc que je t’ai montré au sol ! C’était un peu dangereux cette première fois. Mais heureusement j’avais bien intégré les consignes ! »
Depuis, c’est comme si l’escalade avait infiltré chaque partie de la vie de Pauline. « Quand j’étais étudiante, j’allais grimper entre midi et deux à la salle. Je retournai en cours l’après-midi et le soir, j’y retournai de 18h à 22h. Aujourd’hui, presque toutes mes vacances sont tournées vers l’escalade et l’outdoor. Des week-ends à Fontainebleau, dans les Calanques… »
Tout autour de nous, des gens sont suspendus au bout de cordes, le corps collé au gros rocher qui était autrefois un château. La lumière du jour décline et couche les ombres des montagnes sur la forêt. Je reste pensif devant le cocktail d’impressions que laisse l’escalade, en particulier les grandes-voies qu’affectionne Pauline, ces falaises de plusieurs centaines de mètres que les grimpeurs gravissent pendant des heures. « Quand tu grimpes, tu as le nez collé au rocher. Tu apprends à prendre sur toi, à gérer ton matériel, à ne pas t’engueuler avec ton partenaire de grimpe. Mais quand tu te retournes, tu vois des paysages de fous, c’est la récompense ! »
Des cailloux sur le chemin
Il y a pourtant un moteur plus fort que l’escalade dans la vie de Pauline, c’est celui de la transmission. « Ces deux dernières années, j’ai pu transmettre ma passion aux enfants et ados qui venaient dans la salle d’escalade où je travaillais. Le moment où ils réussissent leur première ascension, ils sont très fiers, une étincelle brille dans leurs yeux et ça me fait quelque chose. Dans quelques années, j’aimerai bien avoir des enfants et les emmener grimper. Les gamins que j’ai croisés, ils grandissent dans la nature. Ils comprennent qu’il y a des cailloux sur les chemins ; que des fois, tu es dehors et il pleut. J’essaie de développer un complément à ce que mes parents m’ont apporté. Je cherche ma voie en fait. Et je veux la transmettre. »
Tout le monde est parti. Les pieds au-dessus du vide, on observe la course lente du soleil qui passe derrière la crête des montagnes environnantes. Le paysage vallonné baigne dans une lumière d’or. On regarde s’éteindre le dernier beau week-end d’automne. Et je rêve déjà de sommets.