Sans parti : Fanny Fuchs, son audace, sa liberté

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 Article paru dans ORNORME n°42, CULTURE –

Comme prévu, sa liste (joliment nommée OSONS+) n’a pas passé le premier tour des élections départementales de juin dernier. Mais malgré la sécheresse du résultat (4,22% des voix dans un contexte d’abstention massive de 66,6%), Fanny Fuchs, à l’origine de cette candidature, ne désarme pas et pense même que l’avenir donnera raison à ses intuitions…

On la rencontre au lendemain du second tour, une semaine après sa nette élimination à l’issue du premier tour. Son sourire et son punch ne semblent pas le moins du monde émoussés par l’issue du scrutin et il n’y a pas besoin de beaucoup de questions pour que Fanny Fuchs revienne sur sa candidature et en tire quelques solides conclusions. En pensant déjà à l’avenir…

Immédiatement, fidèle à son image de battante, elle analyse tout le positif de cette aventure hors norme, puisque complètement à l’écart des us et coutumes politiques où les candidats cherchent avant tout à bénéficier de l’investiture d’un parti reconnu : « Ce fut une campagne très riche. Tout d’abord riche en rencontres personnelles mais aussi riche au quotidien, car on était toute une équipe et pas simplement un binôme qui concourait. Nous présentions une énorme cohérence : mon partenaire qui se présentait à mes côtés dans le binôme, Martin Guillaumé, est un jardinier-paysagiste, qui travaille à son compte et est très présent dans le milieu associatif. En suppléants, nous avons pu compter sur Carina Abnoun, médecin généraliste de ville, mais qui travaille aussi dans le secteur des EHPAD et Vincent Minery, chef d’entreprise qui travaille dans l’innovation. Mais au-delà de cette belle équipe que nous avons formée, il y a eu plein de gens autour de nous qui ont fortement contribué à ce projet dont l’essentiel était de mettre en œuvre un regard nouveau sur la pratique politique… »

Fanny reconnait volontiers qu’elle n’était pas tout à fait une novice dans le domaine : « J’ai été chef de cabinet de Guy-Dominique Kennel l’ancien président du Conseil départemental, j’ai aussi été son attachée parlementaire quand il est devenu sénateur. Je connais donc assez bien les arcanes de ce milieu. Mais il suffit de regarder les résultats avec discernement pour s’apercevoir que notre système démocratique est obsolète. On peut même faire l’exercice chiffré tous les deux, si vous voulez : sur le canton où je concourais, il y avait 24 357 inscrits. Avec cette abstention démentielle, le binôme élu l’a emporté avec 4 295 voix ! Il est donc démocratiquement élu, aucun problème avec ça, mais sa légitimité est problématique. C’est là que je critique vertement le système démocratique actuel. Plus de deux électeurs sur trois ne sont pas allés voter, il y a au moins 80% de jeunes parmi eux. Je suis désolée, mais allez donc demander à un jeune, aujourd’hui, de se rendre un dimanche après-midi dans un bureau de vote, choisir un bulletin, le plier, le mettre dans une enveloppe… Il faut vivre avec son temps, non ? On paye bien ses impôts via internet alors pourquoi le vote par internet n’est-il pas autorisé ? Si on le faisait, le vote pourrait sans problème s’étaler sur un ou deux jours de plus, chacun pourrait voter au rythme qui l’arrange… »

Un système démocratique épuisé…

« Les partis ont fini par ne plus nous donner envie de les écouter et de les suivre. Et ça fait un moment qu’ils ne nous écoutent plus non plus. Pas la peine d’aller chercher plus loin pour comprendre le pourcentage monumental de l’abstention. L’immense majorité des quelque 23% et quelques qui sont allés voter sont sinon des encartés du moins des sympathisants ou des gens qui croient encore que le système partisan peut répondre aux enjeux d’un scrutin local. Ils ont voté plus pour un parti que pour un candidat. Ces mêmes partis qui se désolent officiellement de l’abstention, mais qui, de toute façon, sont quand même gagnants. Dans tous les cas de figure !.. » dit Fanny avec force.

On enfonce le clou : ce système, épuisé, qui finit par survivre en se nourrissant finalement du nombre incroyable d’abstentionnistes a tout intérêt, au fond, à ce que rien ne change. Car il est évident qu’ainsi, dans ces conditions, des démarches telles qu’OSONS+ peinent à émerger. « C’est évident » réplique Fanny Fuchs « avec moins de 24% de participation, un mouvement comme le nôtre a forcément du mal à apparaître dans la lumière. Alors oui, bien sûr, il y a une forme de déception à la lecture des résultats, mais cette déception ne résiste pas à l’analyse objective de ce qui s’est passé. Car je sais que nous avons touché énormément de gens. Ma réelle déception est que beaucoup de toutes celles et ceux qui nous ont soutenus n’aient pas osé aller jusqu’au bout au moment du vote…» À un certain moment, devant cette boule de conviction et sa clarté d’analyse, on hasarde la question : « Avez-vous eu le sentiment d’être une pionnière ? ». Et la réponse fuse, tout aussi assurée : « Il y a de ça, oui. Peut-être sommes-nous d’ailleurs arrivés un peu trop tôt, mais vous allez voir, je vous en fais le pari, dans ce genre d’élections très locales, les gens vont faire de plus en plus confiance aux gens qui se présentent et de moins en moins regarder l’étiquette politique. Ils vont leur faire confiance pour leur compétence, pour leur représentativité, pour ce qu’ils sont dans la vie de tous les jours. Pourquoi aujourd’hui, parmi les candidats, n’avons-nous pas de carreleurs, de coiffeurs, par exemple ? Pourquoi ? On a clairement un problème de représentativité, non ? Il en faudrait beaucoup plus, pourtant, pour que tout soit plus cohérent sur le territoire, pour que nous soyons plus écoutés, pour que les décisions prises soient plus en adéquation avec les gens et leurs besoins… Oui, on est sans doute un peu en avance sur notre temps, mais je le répète, les temps qui viennent vont prouver que c’est une démarche comme la nôtre qui va permettre de renouer avec les électeurs, j’en suis plus que certaine…»

Le discours de la méthode

On ose le mot : ne faut-il pas imaginer une autre méthode de gouvernance, plus proche des gens et de leurs besoins ?Immédiatement, la balle est saisie au bond par cette puncheuse hors pair : « Il suffit de jeter un coup d’œil sur le programme que nous proposions : on avait une foule de réponses très concrètes à des problématiques du quotidien. Pourquoi ? Parce qu’on est allé chercher les gens, on a discuté des heures et des heures de leurs problématiques, des solutions qu’eux-mêmes envisageaient. Nous sommes allés provoquer le débat et en retirer l’essentiel, ce n’est pas un programme arrivé de Paris et qu’il suffisait de décliner localement, on a bossé, avec les gens. Là, on est loin de ce qu’on constate en général partout : cette méthode-là, c’est l’avenir et elle ne peut être menée à bien que par des gens beaucoup plus représentatifs que la majeure partie des candidats qui se présentent aujourd’hui. Il faut aussi imaginer les moyens qui vont permettre ces nouvelles personnes qui souhaitent s’investir dans la vie publique de pouvoir le faire au plus près de leurs préoccupations du quotidien. On va s’employer à aller les rencontrer, même sur leur lieu de travail s’il le faut, car là aussi, de vieilles pratiques vont disparaître : les gens, par exemple, n’ont plus le temps pour de la réunionnite après leurs horaires de travail, là aussi des pratiques sont devenues obsolètes. À nous d’imaginer comment les toucher, comment fabriquer avec eux de l’intelligence collective… C’est ce que nous allons nous employer à faire, désormais : la méthode va rester la même, on va continuer à aller pousser les portes, rencontrer les gens, dialoguer avec eux. On n’a pas été élu : et alors ? On va continuer sur notre positionnement, et rester au plus près des gens et de leurs préoccupations au quotidien. On ne lâchera pas le morceau, quoi, mais ça n’a rien à voir avec des ambitions personnelles.

On a tous notre job qui nous fait vivre. C’est important de souligner ce point-là : on n’a absolument pas besoin d’être des élus pour gagner notre vie. Si on a fait ça, et si on a décidé de ne pas en rester là et de continuer avec notre méthode, c’est parce que nous pensons que nous agissons ainsi pour le bien de tous. Il y a bien des acquis à ce que nous venons de vivre : on a rendu notre démarche très visible, on a détonné, c’était frais, ins- piré, vivant et en rencontrant autant de gens, on a semé des petites graines qui vont pousser. La prochaine étape, c’est de créer un mouvement, pour se structurer et pour capitaliser sur ce bon écho qu’on a créé chez les gens. On était vraiment là où il fallait. Ça n’a pas marché cette fois, mais au fur et à mesure, ça va finir par le faire. Car on est sur une volonté ferme de changer la donne, les codes vont changer, on est dans l’air du temps, j’en suis plus que convaincue…

« (…) on avait une foule de réponses très concrètes à des problématiques du quotidien. »

© Nicolas Roses
En campagne…