Strasbourg tu respires ? Rencontre avec le Docteur Thomas Bourdrel
Fondateur, en 2015, du Collectif «Strasbourg Respire » qui se définit lui-même comme un « lanceur d’alerte sur les risques pour la santé de la pollution de l’air », Thomas Bourdrel, médecin de son état, n’a de cesse de tirer les sonnettes d’alarme sur l’inquiétant état de la pollution de l’air à Strasbourg. Il révèle ici des conséquences encore plus dramatiques que celles généralement annoncées et commentées…
Il ne faut pas longtemps pour jauger le combat passionné que mène ce jeune médecin radiologue, qui s’est installé à Strasbourg depuis huit ans.
Depuis plusieurs années, Thomas Bourdrel s’est emparé à bras-le-corps des problématiques liées à la pollution de l’air. La partie visible de son combat s’est matérialisée, il y a trois ans, par la fondation du collectif Strasbourg Respire qui a tout de suite alerté par le biais d’une pétition signée par 120 médecins de l’agglomération strasbourgeoise. On y lit l’étendue du problème de la qualité de l’air à Strasbourg : « Les dernières données publiées confirment l’impact de la pollution atmosphérique sur la santé des habitants des grandes villes. Le Centre international de recherches sur le cancer de l’OMS de Lyon a décidé le classement des particules fines comme cancérogènes certains. La relation entre l’exposition aux particules fines, la morbidité et la mortalité cardio-vasculaires avait été établie par les travaux de l’American Heart Association ; l’étude européenne Aphekom la confirme. Une étude récente parue dans « Circulation » démontre encore que les femmes habitant à moins de 50 m d’un axe routier auraient 38 % de risques de plus de morts subites cardiaques par rapport à celles qui vivent à plus de 500 m.
Habiter à proximité du trafic routier pourrait être responsable d’environ 15 à 30% des nouveaux cas d’asthme (et allergies) chez l’enfant et, dans des proportions similaires, voire plus élevées, de pathologies chroniques respiratoires et cardiovasculaires chez l’adulte.
Ces considérations valent pour toutes les villes mais encore bien plus pour Strasbourg où les conjonctions géographiques et climatiques en font une ville (et au-delà une région) extrêmement sensible avec des niveaux de pollution parmi les plus élevés de France.
Nous, médecins strasbourgeois, refusons l’indifférence face à ce problème de santé publique. Nous alertons les pouvoirs publics sur la gravité de la situation et demandons que la santé de nos patients soit reconnue comme une priorité dans les décisions relatives à la pollution de l’air.
Nous demandons à l’État et à la Ville de Strasbourg, à la préfecture et à l’ensemble des collectivités d’agir efficacement pour améliorer la qualité de l’air.
Nous appelons à une réglementation plus protectrice de la santé de la population, en accord avec les données scientifiques actuelles. »
Des pathologies encore plus graves que l’asthme ou les allergies respiratoires…
« Quand nous avons débuté ce combat en 2014-2015, on ne parlait que de l’asthme et des allergies » commente Thomas Bourdrel.«Et d’ailleurs, le thème de la pollution de l’air reste encore monopolisé par les pneumologues… Je me suis vite intéressé à toutes les études publiées dans les plus importantes revues médicales internationales, je me suis rendu compte qu’outre l’asthme, les allergies et le cancer du poumon, – à Strasbourg, une étude, co-pilotée par l’ASPA, a indiqué que 10% des cancers du poumon étaient provoqués par la pollution de l’air-, ce qui est le plus démontré est l’impact de la pollution de l’air sur les maladies cardio-vasculaires, c’est à dire les infarctus et les accidents vasculaires cérébraux (AVC). L’OMS l’a confirmé récemment, et la revue Nature, qui fait référence, s’en est fait écho : dans le monde, 75% des maladies mortelles en lien avec la pollution de l’air sont des maladies cardio-vasculaires. Vivre à proximité immédiate des grands axes routiers augmentent aussi les cancers du sang (leucémies, lymphomes…). J’ai décortiqué plus de 400 études de par le monde sur l’impact de la pollution sur notre santé et, sans paraître prétentieux, sur ces sujets, l’expertise de Strasbourg Respire est très reconnue en France et à l’étranger. »
Dans le collimateur de Strasbourg Respire, la pollution due aux particules fines (émises essentiellement par les transports et le chauffage au bois) et ultra-fines (non encore prises en compte par les mesures) est une très grande source d’inquiétude pour Thomas Bourdrel : « Les particules fines provenant des transports et du chauffage au bois sont cinq fois plus nocives que les autres, c’est à dire celles provenant des épandages agricoles qu’on constate chaque année entre mars et mai ou celles dues aux caprices de la météo, comme les particules de sable qui proviennent du Sahara, par exemple. Souvent, on nous reproche de « taper » sans cesse contre la bagnole mais c’est un fait avéré : les plus nocives, et de très loin, parmi ces particules fines et ultra-fines proviennent de la circulation automobile, et particulièrement du diesel. D’ailleurs, elles sont visibles, en quelque sorte. Levez les yeux et regardez ces façades prestigieuses qu’on nettoie régulièrement. Le « black carbon » comme on l’appelle est cette couche de noir qui salie les murs de nos villes. Le lobbying des constructeurs cherche à populariser l’idée que les nouveaux pots d’échappement parviennent à retenir 95% des particules fines émises par la combustion du gazole. C’est vrai mais ça ne concerne que les véhicules les plus récents d’une part, et surtout, d’autre part, dans les 5% de particules fines qui continuent à s’évader dans l’air que nous respirons, on trouve les polluants les plus nocifs comme le benzopyrène, par exemple, classé comme cancérigène avéré par le Centre international de recherche contre le cancer (CIRC) et qu’on trouve aussi dans le chauffage au bois et dans le tabac. On sait avec certitude que même les nouveaux filtres des pots d’échappement les plus avancés technologiquement sont inefficaces sur la partie gazeuse du benzopyrène car, quelques mètres après sa sortie du pot, il se condense déjà en particules fines. Par ailleurs, un diesel émet cinq à sept fois plus d’oxydes d’azote qu’un moteur à essence. Précision importante : il s’agit là des mesures officielles au banc. On sait que dans les conditions réelles d’utilisation, elles sont plus importantes… Les oxydes d’azote entravent considérablement le développement de la capacité pulmonaire chez l’enfant et ce gaz très irritant entraîne évidemment des bronchiolites et de l’asthme. »
Prendre des décisions courageuse et responsables…
Thomas Bourdrel commente ensuite la situation très particulière de Strasbourg : « Les deux meilleurs ennemis de la pollution par les particules fines sont la pluie et le vent. Or, malheureusement, la situation géographique de Strasbourg qui se trouve dans cette cuvette entre deux massifs montagneux, les vents dominants d’ouest qui sont bloqués par les Vosges et le climat relativement sec de la région empêchent la dissolution rapide des particules dans un air renouvelé. On pourrait aussi citer ce couvercle thermique qui s’installe souvent en hiver (l’air chaud étant plaqué au sol au-dessous de la couche d’air froid) et qui aggrave encore la pollution au-dessus de Strasbourg. C’est d’autant plus dramatique que cela ne se passe qu’en hiver, c’est à dire au moment où le chauffage est à son maximum et l’utilisation des voitures aussi… Cette particularité géographique fait que les chiffres officiels de niveaux de pollution sont quasi équivalents entre Strasbourg et Paris, ce qui est très injuste, pourrait-on dire, car Strasbourg a fait bien plus d’efforts que la capitale, notamment en matière de réduction de la circulation automobile.
Les élus strasbourgeois et eurométropolitains se retranchent selon moi derrière ce contexte géographique et laissent entendre qu’on ne peut pas faire plus. Je pense qu’on devrait au contraire faire de Strasbourg un vrai laboratoire prioritaire sur ces problèmes, tester toutes les autres solutions car, justement, nous vivons dans une ville à risque en matière de pollution de l’air. Concrètement, on devrait être à la pointe, c’est à dire prendre des mesures radicales et efficaces en ce qui concerne les véhicules diesel. En regard de la situation locale, il est plus qu’anormal que Strasbourg prenne des mesures moins radicales que celles déjà prises à Paris, à Grenoble ou dans la vallée de l’Arve par exemple (l’air de Chamonix et sa vallée concentrent un taux alarmant de particules fines dues à la circulation des innombrables camions accédant au tunnel du Mont-Blanc –ndlr).
Pour parvenir à interdire ces véhicules en ville, il faut bien sûr aider les gens. À Paris, des mesures en ce sens ont été prises et des alternatives crédibles financièrement sont déjà proposées, aux entrepreneurs par exemple qui utilisent des véhicules utilitaires diesel. Il faut aider les gens au cas par cas, en fonction de leurs revenus, de la nature de leurs déplacements quotidiens afin qu’ils puissent se séparer de leurs véhicules diesel. Les exemples venus de l’étranger montrent que ce n’est pas si compliqué que d’aucuns le prétendent : à Tokyo, entre 2003 date des premières mesures et 2012, le parc de véhicules diesel est passé en-dessous des 2% grâce à des subventions beaucoup plus importantes que les nôtres, émises par la ville en sus des subventions nationales. Évidemment, le tout a été assorti de contrôles drastiques. Le résultat a été éloquent : le taux de particules émis en 2013 s’est révélé inférieur de 44% au taux émis en 2003 ! Mieux encore : on a mesuré là-bas la baisse de mortalité due à la pollution de l’air en comparant avec la ville d’Osaka qui a les mêmes particularités géographiques et où on retrouve aussi les mêmes habitudes en matière de transports et chauffage. Durant la même période, la mortalité due à la pollution de l’air a régressé de 22% à Tokyo !.. Un cardiologue de Marseille, Pierre Soulé, que j’apprécie beaucoup, souligne qu’il n’existe actuellement aucun médicament capable de faire baisser la mortalité respiratoire ou cardio-vasculaire de 22%… »
Et quand on lui rétorque que tout cela suppose beaucoup d’argent et que l’état des finances publiques ne le permettrait pas forcément, le fondateur de Strasbourg Respire réplique que « ce qu’on attend de nos élus, c’est de prendre des mesures courageuses et en tout premier lieu de considérer comme prioritaire ce dossier de la pollution de l’air qui est un grave problème de santé publique. Cela fait partie de leur responsabilité de prendre ces décisions, même au risque d’être hués voire même non réélus. Je rappelle quand même que la pollution de l’air est considérée officiellement en France comme la troisième cause de mortalité prématurée. Il faut considérer l’équation financière dans sa globalité : un rapport officiel du Sénat a chiffré les coûts liés aux conséquence de cette pollution : 100 milliards d’euros, chaque année. On peut donc agir, y compris financièrement… »
Plus d’infos: www.strasbourgrespire.fr