Sur les sentiers de Bavière / Cinq jours en Allgäu
Quelques heures à peine après votre départ en gare de Strasbourg, vous jetez un regard à travers la vitre. Vous découvrez un paysage alpin des plus typiques : d’abord les villages de chalets noirs et les prairies dans la plaine. Au-dessus viennent les forêts de mélèzes puis les alpages. Et enfin, le royaume de la roche. Bienvenue dans la région la plus méridionale d’Allemagne au cœur des Alpes d’Allgäu ! C’est dans ce coin de Bavière entre le lac de Constance et les Alpes tyroliennes que je vous propose d’embarquer pour un trek de 5 jours à travers mon journal de marche.
Oberstdorf – 7 juillet
Encore d’autres montagnes ! D’autres sommets, une nouvelle région et une première fois en Allemagne. Pour ce premier soir, les violents orages d’été s’abattent sur le village et le tonnerre gronde terriblement. Assez peu encourageant pour cette semaine en pleine nature qui s’annonce.
Il faut réussir à retrouver rapidement la richesse de la simplicité. Généralement, elle réapparaît au premier réveil de l’aventure. Avant cela, il faut couper doucement mais fermement tous les liens qui nous relient à notre quotidien. Écrans, messages, notifications. Tout laisser en plan et regarder autour de soi. Relever la tête, admirer et se remettre à ressentir.
M’y revoilà, ailleurs, toujours dans l’inconfort et toujours dans l’effort. Fiederepasshütte, Rappenseehütte, Kemptnerhütte, Kaiseralp, Edmund Probst Haus… Voilà mon itinéraire de trek pour les 5 prochains jours et qui ne ressemble aujourd’hui à rien d’autre que des noms sur une carte et des montages menaçantes.
Oberstdorf → Fiderepasshütte – 8 juillet
Départ ! Pluie dans la nuit sur ma toile de tente. Se réveiller avec ce bruit est simplement délicieux. Sauf quand il faut ensuite replier tout le matériel mouillé dans le sac…
Les nuages courent sur un versant ou l’autre des montagnes, se moquant des pentes, de la gravité. Ils nuages laissent ça et là entr’apercevoir les montagnes alentours. Quand la météo joue contre soi, il faut réussir à admirer ses paysages intérieurs. Entrer en dedans tout en étant dans la contemplation de l’extérieur. Peut-être en est-il ainsi des jours ordinaires où aucun panorama ne vient égayer le quotidien, ces jours sombres où la pluie tombe sans discontinuer sur nos âmes. Il nous faut trouver les panoramas qui nous apporteront la paix.
Dernière montée pour atteindre le refuge de Fiederpass à la frontière autrichienne. Au refuge, tout le monde joue aux cartes. Dès l’après-midi, c’est le bruit des cartes qu’on mélange, qu’on tapote sur la table qui habille les salles communes. Il en sera ainsi pour les autres refuges.
En Allemagne, les hütte (refuges) sont de véritables petits hôtels-restaurants avec un menu, une équipe de restauration etc. En France, les refuges proposent une demie-pension et tout le monde partage le même repas, cuisiné dans la même gamelle, sur des grandes tablées où tout le monde se parle. Autre pays, autres habitudes.
Fiderepasshütte → Rapenseehütte – 9 juillet
Aujourd’hui, je dois relier dans la journée la Rappenseehütte depuis la Fiderepassehütte. Environ 17 km pour 1000 m de dénivelé positif. J’ai vu pire, mais l’environnement est sournois. Il n’y a rien de “facile” au-dessus de 2000 m pour un Vosgien. Au moins, il ne pleut pas. Le brouillard est omniprésent mais comme la veille, les montagnes se laissent deviner quand le coton se fait moins épais.
Je préfère le voisinage des 1700/1800m plutôt que l’altitude des 2000m. Là-haut, tout est roche. Les gris se mêlent au bleu du ciel (quand on le voit). Il n’y a plus de concession possible dans cet environnement. Du caillou ou le vide. Non merci, aujourd’hui je préfère l’animation tranquille des alpages qui bordent les ceintures rocheuses. Les cloches des vaches qu’on entend avant de les voir. Le jaillissement impérieux des torrents qui poussent tout sur leur passage. La variété des plantes et des fleurs qui pullulent partout où se pose le regard.
Le trek est une succession de mouvements et d’arrêts. Pourtant, la tête, elle, ne s’arrête jamais. Peu importe le temps, le cerveau avance toujours, rebondi sur une idée, enchaîne avec une autre alors qu’il nous faut nous concentrer sur la respiration, sur le prochain pas.
Arrivé à la Rapenseehütte, j’apprends du gardien que nous sommes dans un parc naturel national et qu’il est interdit d’y camper. Je ne fais pas d’histoire et ma place au dortoir, un clapier à lapins où les randonneurs s’entassent dans une odeur épaisse faite d’humidité et de sueur. Tout ce que je fuyais…
Pour la suite du trek, je ne sais pas encore quelle ligne je vais suivre : faire le dos rond et payer mon lit tous les soirs ou resquiller et installer ma tente de nuit, une fois la soirée entamée.
Rappenseehütte → Kemptnerhütte – 10 juillet
Départ de la Rappenseehütte avec la troupe. Tous les randonneurs à la queue-leu-leu vers le Heilbronnen Weg, un sentier alpin technique et étroit qui serpente sur une crête à 2 400 m d’altitude. Il faut poser le pied au bon endroit, maîtriser ses appuis et apprécier le vide. À plusieurs endroits, une main courante a été installée pour aider à franchir les passages délicats. Ailleurs, ce sont des échelles, des barres de fer cimentées à la roche…
Le soleil brille une fois passé de l’autre côté de la crête. La vue est splendide, évidemment : la chaîne des Alpes se déploie à perte de vue, ses sommets hérissés comme la boule d’épingles que ma mère utilisait pour coudre.
Sur le sentier, les névés font grimper la jauge de stress. Ce sont des champs de neige que l’été n’a pas réussi à vaincre car ils sont orientés au nord ou dans un passage constamment humide. La crainte de dévisser et glisser sur une pente à plus de 45° et enneigée est alors terrible. Il faut faire le vide dans sa tête pour poser le pied et mesurer en une fraction de seconde la stabilité de son appui.
C’est toujours sous le soleil qu’apparaît la Kemptner Hütte au creux d’un vallon verdoyant. . Il est à peine 14h. Je cherche un endroit où planter la tente, proche du refuge sans en être visible. Puis je réfléchis longuement… Je décide de payer ma nuit en refuge tant que je serai dans le Parc. Je n’ai pas envie d’être verbalisé, en plus dans un pays étranger. C’est la règle, tant pis pour la tente que je vais porter pour rien.
L’après-midi s’étire et les randonneurs sont de plus en plus nombreux à s’installer au refuge, à descendre les bières en jouant aux cartes. Il n’y a pas un seul étranger. Juste moi. Les serveuses sont débordées, ça court partout, la saison est bien lancée.
Je parviens à capter un peu de réseau pour écrire à mon amoureuse. La soirée se termine en beauté dans le soleil couchant qui enveloppe le refuge dans une lumière dorée. La réflexion de la lumière sur la neige m’a un peu brûlé le dessous du nez. Pas banal comme coup de soleil.
Kemptnerhütte → Prinz Luitpoldhütte – 11 juillet
Départ un peu avant 8h pour la journée la plus longue de la semaine ! L’étape me fait passer par plusieurs cols, ça s’annonce corsé. Il faut d’abord quitter le vallon dans laquelle est nichée le refuge et monter à 2000m d’altitude. La vue est incroyable sur la succession de sommets aux formes chaque fois uniques. Le sentier est par endroit scabreux avec des pans du chemin qui se sont effondrés. Puis une fois le bout de la ligne de crête atteint, c’est un long vallon plein de névés – j’en compte au moins 5 – jusqu’à la ligne de crête suivante. Heureusement, c’est seulement une fois cette partie passée que la pluie, fine, se met à tomber…
Les bourrasques de vent portent loin les nuages de pluie. La dernière partie de la journée est la plus dure : il me faut reprendre 200m d’altitude pour atteindre la Prinz Luitpold Haus qui se cache derrière une ultime ligne de crête. Donc invisible depuis le chemin jusqu’au dernier moment.
Prinz Luitpoldhütte → Edmond Probst Haud – 12 juillet
Cinquième et dernier jour du trek. Il est temps de rentrer vers Oberstdorf. Je reprends le train demain midi pour Strasbourg, retrouver le confort des douches chaudes, les nuits sans ronflements ! L’étape du jour n’est pas bien compliquée : je dois venir à bout des 500m de montée sèche pour relier l’autre versant puis continuer à flanc de montagne jusqu’au dernier refuge qui se tient au-dessus d’Oberstdorf. J’aurai réalisé une belle boucle à travers les Alpes d’Allgäu.
Rien de bien méchant si la pluie ne s’en était pas mêlée…
En arrivant au col, je suis déjà trempé et mes doigts de pieds sont dans le grand bain. Le vent n’arrange rien et me glace les os. J’augmente le rythme de ma marche en pataugeant. Je visualise le strudel aux pommes et le cappuccino que je vais m’offrir en arrivant. C’est dans ces moments qu’il n’est pas tant question de physique mais surtout de mental. Je m’accroche.
Mon téléphone et mes doigts sont tellement humides qu’il m’est impossible de déverrouiller l’appareil. Je ne peux donc pas m’accrocher au réconfort que m’apporterait de visualiser ma position GPS. J’atteins finalement la Edmund Probst Haus à 11h30. J’ai donc relié les deux refuges en 3h30 au lieu des 5h indiquées au départ.
Retour à Oberstdorf – 13 juillet
Le lendemain, c’est le retour au village. Je descends en télécabine pour être certain de ne pas manquer mon train à midi. C’est un effet à la fois grisant et triste de descendre si vite. Apparaissent les routes, les voitures, le macadam. On a à peine le temps de s’en rendre compte qu’on est déjà au cœur du village. On croise des personnes habillées normalement et dont les chaussures ne sont pas crottées.
D’un coup, c’est fini, on a perdu si vite cette altitude qu’on avait peur de gagner quelques jours plus tôt. En attendant le train, je me refais le trek jour après jour en retraçant sur la carte mon itinéraire. Aux noms des hütte et aux courbes de niveau hier inconnus correspondent aujourd’hui des images, des odeurs, des souvenirs.
C’est ça, parcourir un pays : y accrocher ses souvenirs.