VITAM IMPENDERE VERO ⎢ Le Or Champ de Michel Weckel

Partager

VITAM IMPENDERE VERO*
*Consacrer sa vie à la vérité

Devise de Juvénal, reprise par Jean-Jacques Rousseau.

L e silence est un poison. Ses répercussions dans les destinées individuelles et collectives sont souvent tragiques. En ne mettant pas en mots ce qui le tourmente, l’être humain vit sa vie sans la vivre vraiment, répétant des comportements dans lesquels il est agi plus qu’il n’agit. Névroses, inhibitions, angoisses, répétition de ses échecs amoureux ou professionnels, dépressions, ou même accident s’avèrent souvent être la conséquence de ce qui n’a jamais été symbolisé, c’est-à-dire nommé. Le silence génère malaise de l’esprit et haine de soi.

Mettre des mots sur les secrets enfouis du passé suppose le désir de le faire. Certains s’attellent à cette tâche, d’autres ne le feront jamais et en pâtirons, d’une manière ou d’une autre, toute leur vie. Ceux qui choisissent de parler le font parce que c’est vital. Ils comprennent que la souffrance momentanée de parler est préférable à celle générée par le mutisme.

De la libération de la parole il résulte une renaissance. En élucidant le passé, en affrontant les secrets et les malédictions de l’histoire, et en assumant les conflictualités et les incompréhensions qui peuvent en résulter, c’est le futur que l’on éclaire. La vérité engendre la vérité. Sur ce chemin un apaisement et une liberté de vivre inédite adviennent.

En m’attaquant à l’histoire occultée de la compromission d’une partie des luthériens alsaciens avec le nazisme, je ne m’attendais pas à recevoir autant de retours positifs. Mon livre, me disent certains, a mis en perspective leur histoire familiale. Ils comprennent mieux ce qui s’est déroulé et me sont reconnaissants d’avoir levé le voile.

L’Alsace est traditionnellement une terre de secrets. Le folklore des géraniums et des cigognes a bon dos. Derrière ses façades proprettes, empêtrée dans ses difficultés linguistiques, elle a toujours eu du mal à parler. Au regard de son histoire complexe, elle s’est drapée dans la victimisation.

Il y a eu, certes, la tragédie de l’incorporation de force et des « Malgré-Nous », mais il y a eu tout le reste, dont il a toujours été si inconvenant de parler : les proallemands fanatiques, les fachos, les collabos. Malgré tout ce qui a été publié, bien des aspects de son histoire restent à défricher. Les entreprises locales, par exemple. Lesquelles ont participé à la construction et au fonctionnement du Struthof ? Lesquelles ont participé à la démolition de la synagogue consistoriale du quai Kléber à Strasbourg ? Qui a récupéré les pierres et en a fait commerce ?

Le temps est venu pour aller plus loin et pour parler encore. C’est le moment opportun. Si nous ne le faisons pas, la conscience de cette histoire, entre ignorance et indifférence, sera aspirée dans le gouffre de l’oubli. Et l’ombre portée du malaise continuera de nous empoisonner…

 

Michel Weckel
Michel Weckel est auteur de Ces protestants alsaciens qui ont acclamé Hitler – Enquête sur les secrets de famille du réseau luthérien Éditions La Nuée Bleue

 

Michel Weckel © Nicolas Roses