Face au loup, des éleveurs en détresse

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Le loup est de retour et ils vont devoir faire avec, quitte à chambouler totalement leurs manières de travailler… Rencontre avec des éleveurs stigmatisés et sous le choc.

La première attaque, celle qui a marqué le retour du loup dans le Bas-Rhin a eu lieu dans la nuit du 27 au 28 mai 2019 dans un pré juste au-dessus de la ferme du Promont. D’avril à octobre, Corinne Schynoll avait l’habitude d’y laisser paître tranquillement ses quinze brebis et ses deux boucs préférés : « À 6 h du matin les moutons étaient en bas, à la ferme. On est allé voir, le parc était complètement défoncé ». Un agneau manquait à l’appel et l’un des deux boucs gisait le cou dépecé. « C’est un bouc que j’aimais beaucoup, il me suivait partout ». L’éleveuse a du mal à cacher son émotion. Elle ajoute : « c’est un massacre, c’est très violent ».

Corinne Schynoll, éleveuse

Le loup, ils en entendaient parler mais ils étaient loin de s’imaginer le voir par ici. Même l’OFB venue constater l’attaque a mis du temps à se prononcer. Finalement, c’est un cliché pris par un piège photo posé par un chasseur à proximité qui confirmera qu’il s’agissait bien d’un loup. Et quand trois mois plus tard il est revenu s’attaquer au deuxième bouc, il était clair qu’il n’était pas simplement de passage. « Maintenant je ne suis plus trop rassurée. Quand je remonte chez moi il fait nuit. Depuis qu’il y a ce loup, j’ai toujours une appréhension, je regarde toujours derrière moi. C’est bête parce-que je pense qu’il a très peur de l’humain ».
Mais la question qui se pose le plus maintenant pour Corinne Schynoll et ses collègues éleveurs c’est, que faire ? « On est stressé tout le temps, on se pose des questions. Quelles solutions ? On avait pensé mettre un filet mais sur 6 hectares c’est impossible, c’est dur à poser ». Quant aux chiens Patous qui protègent les troupeaux « c’est très compliqué à gérer, dit-elle. Surtout que nous on fait du tourisme (Cf. la ferme-auberge du Promont). On a beaucoup de marcheurs, beaucoup de gens qui passent avec des chiens. On va faire des gites, est-ce qu’on arrivera à gérer un chien comme ça ? ».

Des difficultés pratiques partagées par la famille Mayer, les seuls bergers itinérants du coin. Jusqu’à présent, ils gardaient leurs brebis durant la journée et les rassemblaient la nuit dans un parc électrifié facilement démontable et transportable. Mais depuis que le loup a attaqué le troupeau dans la nuit du 8 au 9 juillet derniers, ils se demandent s’ils vont pouvoir poursuivre leur activité : « Les filets de protection font deux fois et demi le poids de nos filets et 1 mètre 40 de haut » déplore le fils Mayer. « On ne l’utilise pas parce-que c’est une vraie galère à poser » confirme son oncle. Pour les chiens de protection, même appréhension que Corine Schynoll : « Le troupeau est pris (en photo) presque autant que la cathédrale de Strasbourg. Les gens sont ravis de voir un troupeau de moutons (…) mais le Patou lui, il ne fait pas de différence entre un loup et un touriste ». Et puis ce grand gaillard de Mayer sort son mouchoir en tissu et essuie ses yeux pleins de larmes : « Le fait qu’on ne puisse pas défendre le troupeau c’est pire que le reste, on a l’impression de ne pas avoir fait son travail ».

Le troupeau des frères Mayer

Qui se fait brebis, le loup la mange dit-on. Suivant la sagesse populaire, Isabelle Decombe n’a pas attendu le retour du loup pour prendre les devants : « Ici tout le monde disait : y’a pas de loup. Mais bon, il y en avait partout autour donc forcément il allait venir ». Elle a repris la ferme de l’Evreuil à Bourg-Bruche pour y élever des vaches et des brebis. En un an d’activité elle a déjà investi 12 000 euros de sa poche dans des protections contre le loup (Patous et clôtures). Et elle a fort bien fait : « Tout l’été j’ai dû me lever je ne sais combien de fois par nuit (…) J’ai même dormi dans ma voiture (…) C’est un persécuteur. Il n’arrête pas ». Une nuit elle décide de parquer ses brebis dans le pré en dessous de sa ferme, un projecteur puissant braqué sur le troupeau. À 3h du matin elle sort en pyjama et en chaussons, armée d’un bâton. Le loup était là, essayant de franchir la clôture : « Il a sauté là-bas. On lui a couru après (…) Pourtant j’y croyais quand j’ai mis les protections» déplore-t-elle. Elle ajoute en pleurant : « Vous avez des enfants ? C’est comme si je mettais mes enfants au milieu d’une prison pédophile. Vous savez qu’ils vont passer dans le petit parc, vous ne pouvez qu’essayer de limiter la casse ». Ironie de l’histoire, c’est dans son troupeau de vaches, non protégé — car les vaches « ne sont pas considérées comme protégeables et ça ne se passe pas super bien avec les chiens » dit-elle — qu’elle a essuyé une prédation, sur un veau à peine né.
Si elle émet quelques doutes sur l’efficacité des clôtures — il n’y a qu’à observer son Border Collie passer et repasser en dessous pour le comprendre — elle dit être très contente de ses Patous. Reste à convaincre le voisinage : « J’ai des parcs qui sont proches des maisons, donc ceux-là je ne peux plus y laisser les brebis parce-que le chien gueule toute la nuit. J’ai essayé cet été et on m’a dit : on t’aime bien mais ce serait bien si tu pouvais enlever tes moutons » …

Isabelle Decombe et son chien Patou

 

Voir le reste du dossier d’ON 36
Le retour du loup – Episode 1
Un seul et même loup?