Denis Naegelen, « Cette formidable envie de continuer… »

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Déjà dix ans qu’il organise les IS. À 67 ans, Denis Naegelen raconte son attachement pour ce tournoi qui ne cesse de progresser, saison après saison et qu’il veut continuer à voir grandir…

L’an passé à pareille date, les lecteurs de ce hors-série Or Norme consacré aux Internationaux de Strasbourg apprenaient que la refonte des tournois, ce projet qui était dans les cartons de la WTA, l’instance internationale qui chapeaute l’ensemble du tennis féminin depuis des mois, ne se ferait pas. Avec un certain soulagement puisque cette réforme aurait été susceptible de mettre en balance l’existence-même d’un tournoi majeur à Strasbourg. Un an plus tard, c’est toujours le calme plat sur le front de l’organisation mondiale du tennis international féminin?
– Oui. Je me suis même permis début avril dernier de ne pas être personnellement présent à Charleston, aux Etats-Unis, à la réunion des tournois, considérant qu’il n’y avait ni aucune urgence ni révolution en cours. Cette relative tranquillité m’a le soir-même été confirmée par une personne qui nous représentait là-bas. Je dis relative tranquillité car on est toujours un peu prudent : il suffit que quelqu’un ait une nouvelle idée et ça peut repartir vite. Oui, il y a stabilité pour l’heure, Strasbourg est parmi les un peu plus de 70 tournois WTA organisés dans le monde. La guerre est finie : enfin, je dis la guerre mais au fond, ce ne fut jamais une guerre. Il y a eu des échanges, des contestations et beaucoup de réunions et à l’issue de tout ça, le Board de la WTA a tranché il y a un peu plus d’un an maintenant et nous en sommes restés là. Il y aura des aménagements et s’ils doivent survenir, ce sera sur des semaines un peu critiques comme celles qui précèdent les tournois du Grand Chelem…

Ce qui concernerait donc directement le tournoi de Strasbourg, qui est programmé la semaine qui précède Roland-Garros…
– Oui. Pour le moment, il y a deux tournois qui se déroulent sur cette semaine-là, à Nuremberg et à Strasbourg. Il y a cette ambition de la Fédération allemande de tennis, très légitime, d’organiser un très grand tournoi en Allemagne. Et tous les grands tournois dans le monde sont mixtes, femmes plus hommes. Le très grand tournoi Hommes, ils l’ont, il est organisé à Hambourg. Donc, les Allemands sont obligés soit de racheter un tournoi féminin soit de convaincre Nuremberg de les rejoindre. Et c’est ce qui est en train de se discuter. Donc on attend pour savoir qui va être en face de Strasbourg dès 2020, probablement. Pour être franc, ça ne m’inquiète pas outre mesure. Ce qui m’embêterait vraiment, c’est que ce soit un tournoi français, mais bon, si c’était le cas, j’en aurais sans doute déjà entendu parler…

Vous avez 67 ans. Et d’année en année, il y a une chose qui ne change pas, c’est cette passion pour les Internationaux de Strasbourg dont vous avez repris l’organisation depuis déjà dix ans…
– Ce qui est formidable, c’est le challenge que cette organisation représente. La motivation, quand tu es organisateur d’événements et que tu connais bien le marketing sportif, c’est la prise de risque permanente que cela représente. Peut-être que les gens ne s’en rendent pas bien compte car tous nos partenaires savent bien qu’ils sont de mieux en mieux accueillis sur le site du tournoi chaque année qui passe mais la prise de risque est permanente, à chaque édition. Mon ambition est quand même de faire un peu mieux chaque année, de faire progresser en permanence cet événement pour apporter plus de spectacle et de confort à tous les publics qui sont là. À l’issue du tournoi, et cela fait dix ans que cela dure, on mesure précisément les progrès que nous faisons. J’aime passionnément ça, cette sensation qu’on est sur la bonne voie et que l’événement gagne chaque année en prestige et en notoriété. C’est mon moteur personnel, c’est ce qui me donne cette formidable envie de continuer…

Prenons un exemple qui concerne le grand public. Qu’y aura-t-il de nouveau durant le tournoi 2019 ?
– On rendra plus confortable sa présence sur le site. On va l’espace restauration grand public, pour que les spectateurs puissent se restaurer à l’abri des caprices de la météo, pluie ou trop plein de soleil. Il y aura des chaises, des tables, des canapés et des fauteuils où les gens pourront se relaxer pour boire un verre ou grignoter quelque chose. Affluence oblige, on avait fait ce constat l’an passé : les gens patientaient parfois de façon trop importante dans les files d’attente, il fallait améliorer tout ça. Ce sont bien sûr des investissements qui ne nous font pas bénéficier d’une rentabilité immédiate mais je considère que c’est mon devoir d’organisateur de mettre cela en place.

Et côté purement sportif ?
– Il y aura un court d’entrainement en plus. Le TCS joue bien le jeu car ce n’est pas toujours simple d’expliquer aux membres du club qu’on va leur enlever cinq courts et un vestiaire pendant quelques jours avant le tournoi et durant toute sa durée. Mais on y parvient…

On parle du plateau, tout en précisant que cet entretien se déroule tout début avril dernier et qu’il est loin d’être exclu que des noms se rajoutent à la liste d’ores et déjà certaine…
– Pour les têtes de séries, Caroline Garcia a confirmé sa venue. De même que Monica Puig, la championne olympique en titre qui a déjà remporté les Internationaux de Strasbourg. Coté françaises, les fidèles sont là, comme Pauline Parmentier qui va disputer son treizième tournoi ici : c’est l’exemple-même de la tenniswoman que j’aime beaucoup. Elle est comme Federer, à un autre niveau bien sûr. Elle se bonifie réellement en vieillissant, elle a encore gagné un tournoi international l’an passé alors que beaucoup la voyaient s’arrêter à 33 ans passés, ce qui est exceptionnel pour une femme. En effet, les joueuses commencent très tôt, vers l’âge de seize ans et au-delà de dix ans sur le circuit, cela devient lourd pour elles. Toujours côté français, je suis encore en train de discuter avec Alizé Cornet. Mais je suis confiant sur la qualité du plateau qui entamera le tournoi…

Tout est souvent affaire d’argent dans ce domaine. Quelle est la tendance actuelle sur les sommes à aligner ? Pour un tournoi comme Strasbourg dont les moyens financiers n’augmentent pas considérablement d’une année sur l’autre, on imagine que l’équation ne doit pas toujours être simple à résoudre…
– Les moyens augmentent un peu : on progresse en billetterie et on progresse aussi en droits télé. Mais les charges progressent aussi, ceci dit… Cette année, on va distribuer globalement 300 000 € à l’ensemble des joueuses. Les IS évoluent aujourd’hui avec un budget de 2 millions d’€. Il y a dix ans, lors de la toute première édition que j’ai organisée, c’était 700 000 €. Ça situe bien notre progression. Nous avons réussi en dix ans à proposer un tout autre produit : nos tribunes sont plus confortables, notre billetterie en ligne est parfaitement opérationnelle, nos contrôles sont électroniques, nos zones d’accueil sont beaucoup plus confortables elles aussi et leurs espaces sont plus importants. Bref, ce ne sont plus les IS de 2009 : l’événement est plus important, sa notoriété et son image ont grandi… Chaque année, on s’est ingénié à faire mieux : on a agrandi le village, on l’a transformé, on a amélioré les loges, on en a mis en haut, on va en rajouter une encore cette année. On s’est attaché à améliorer les zones de confort sur le site mais aussi en dehors, dans sa périphérie immédiate. Il faut quand même bien réaliser qu’en dehors de sept ou huit grands stades de tennis dans le monde qui sont des équipements permanents et qui bénéficient donc tous du dernier cri en matière de confort, les autres organisateurs de tournois doivent en permanence jongler avec les contraintes. Les mieux lotis sont ceux qui organisent des tournois en salle. Si les IS bénéficiaient d’une date en hiver, ce serait beaucoup plus facile pour nous d’organiser le tournoi au Hall Rhénus, par exemple. Mais nous sommes un des deux tournois qui préparent Roland-Garros et ce tournoi se joue en extérieur et sur la terre battue. En France, à part Roland-Garros, il n’y aucun stade de tennis permanent. Alors, il nous faut le construire, chaque année. Monter et remonter les tribunes et le village. Et ça, ça coûte cher… Ça n’a l’air de rien mais nos 5 000 places, il faut bien les organiser logistiquement. On n’a aucun droit à l’erreur quand chaque année on verrouille notre nouveau plan de stade, puisqu’il ne se passe pas une année sans que nous ne fassions des modifications structurelles. Le diable se niche dans les détails : alors, c’est du boulot et cela nécessite un contrôle de tout ça, en permanence. Je ne sais pas si les gens se rendent bien compte mais c’est un immense boulot. Dans mon équipe, j’ai quatre personnes à plein-temps du 1er septembre jusqu’au bilan final le 15 juillet sur tous ces dossiers-là… Alors voilà, dix ans plus tard, je crois que nous pouvons tous être fiers de ce qu’est devenu ce tournoi.

Quelles sont les marges de progression qui peuvent être mises en œuvre à Strasbourg. Et dans quels domaines ?
– On peut toujours et encore progresser, c’est une certitude. Tout peut dépendre de ce que je vous disais au début de l’entretien : si on venait à rester seul sur le créneau de cette semaine qui précède immédiatement Roland-Garros, cela nous contraindrait en quelque sorte à augmenter considérablement notre dotation aux joueuses. Ça serait de l’ordre de 40%, à mon avis. La WTA l’exigerait bien sûr, c’est son rôle envers les joueuses puisque cette organisation est aussi un syndicat qui défend ses membres. Le tournoi de Nuremberg, disparaissant dans le cas de figure que nous évoquons, et, j’insiste là-dessus, c’est loin d’être acquis, il faudrait alors qu’outre l’augmentation de notre dotation, nous puissions ouvrir le plateau à 48 joueuses au lieu de 32 aujourd’hui. Avec toutes les conséquences au niveau de l’organisation générale du tournoi. Mais on ne pourrait pas refuser ça et dans ce cas, nous progresserions considérablement. Ce seraient de nouveaux paliers à franchir : nous sommes habitués, c’est comme cela qu’on grandit…

Et une telle marche à grimper ne vous ferait pas peur ?
– Peur ? Non. (rires) Si vous me dites : êtes-vous prêt à perdre de l’argent pendant deux ou trois ans, je réponds oui. Mais j’y irai sans peur, tout en essayant bien sûr de me border, c’est évident. Et par ailleurs, il y a une autre marge de progression, c’est d’organiser parallèlement, la semaine précédant les IS, un tournoi Hommes. Bien sûr, je ne peux pas racheter un tournoi ATP, car il faudrait aligner 3 millions d’€ au bas mot. Mais pourquoi ne pas envisager d’organiser un tournoi Challenger. Ce type de tournoi distribue 150 000 $ et aligne de jeunes joueurs d’un excellent niveau… De toute façons, tous les deux ans j’ai une réflexion susceptible de tout remettre en question. Je suis en plein dans cette réflexion en ce moment…

Un point important à souligner aussi : depuis quelques années, le site des IS est vraiment devenu the place to be. Ça vaut pour le grand public, les amateurs de tennis, comme pour les partenaires économiques qui y invitent leurs relations à tour de bras…
C’est vrai que nous constatons une énorme fidélité de la part de l’ensemble de nos partenaires. Et cette fidélité, elle m’aide à tous les niveaux : cela me permet de continuer à prospecter des joueuses parce que je sais avec certitude que si j’ai une belle opportunité à saisir, j’aurais les moyens de le faire. Il y a quelques années, je discutais par simple curiosité avec quelques agents du Top 15 et quand ils me disaient : bon, si tu veux qu’elle vienne, fais-moi une offre et que je parlais de 10 000 $, ils se marraient, bien sûr. Et quand je leur disais tu veux combien, ils me répondaient : tu peux multiplier par huit, dix, voire quinze. Laisse tomber, je répondais, je ne trouverai jamais cette somme en quelques semaines. Aujourd’hui, je peux répondre, je sais jusqu’où je peux aller. De toute façons, aucune joueuse ne te rapporte cash ce qu’elle te coûte. Mais avec elle, tu construis, tu progresses, ta notoriété se consolide et se développe. C’est comme ça que tu construis et consolides la marque IS, c’est comme ça que ça marche. L’affiche du tournoi 2019 le montre clairement : Woman IS the winner … On affiche ainsi clairement nos parti-pris : outre le développement durable qui est la marque du tournoi depuis de longues années maintenant, la femme est à l’honneur aux IS. Comprenez-moi bien : je ne rebondis pas sur la vague #Metoo mais je n’oublie pas que la première qui a lancé ce mouvement a été Billie Jean King et c’était en 1972. En tant que tournoi membre de la WTA, nous ne faisons que continuer ce combat-là et porter très haut ces valeurs d’égalité et de parité. On le marque encore plus cette année avec cette affiche…

Dites-moi, faire venir Billie Jean King ici à Strasbourg, lors d’une prochaine édition, c’est une folie inenvisageable ?
Non, loin de là. Je cherche à y parvenir. Je le lui ai écrit : « Essayez de venir, c’est une semaine avant Roland-Garros… ». Elle passe chaque année à Paris durant le tournoi, généralement en deuxième semaine donc ça serait sans doute un peu compliqué qu’elle avance son voyage d’une dizaine de jours. Mais ce serait magique : elle pourrait être reçue au Parlement européen, on parlerait avec elle des Droits de l’Homme. Ce serait formidable, non ?..