Le retour du loup – Episode 1

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On ne cessait de parler du loup sans en voir la queue. Cette fois, le voilà bel et bien de retour dans le Bas-Rhin. En attestent les neuf attaques survenues dans la Haute-Vallée de la Bruche depuis le mois de mai 2019. Et le retour d’un des plus grands prédateurs dans les forêts vosgiennes n’est pas sans conséquences. Entre les éleveurs obligés de reconsidérer leurs manières de travailler, les chasseurs qui ne veulent pas partager leur gibier et les défenseurs de la nature qui voient dans le retour du loup un moyen de sauver nos forêts, les avis divergent, les visions s’affrontent. Pour ou contre le loup, là n’est plus la question puisqu’il s’agit d’une espèce protégée au niveau européen. Mais maintenant qu’il est entré dans la bergerie, il va falloir faire avec. La question étant : comment ?..
Le premier épisode d’une enquête Or Norme qui se poursuit sur le terrain  où vous lisez ces lignes. La suite dans Or Norme n°37…

Il fait un froid de loup en ce matin de janvier quand nous arrivons à Ranrupt, petit village de montagne d’à peine 350 âmes, niché au fond d’un vallon de la Haute Vallée de la Bruche, trait d’union entre les Vosges du sud et les Vosges du nord. Sur le parking de la mairie, quelques personnes s’activent au démontage des décorations de Noël. Parmi elles, Madame Michel, 67 ans, première adjointe au Maire : « Hou, ça fait longtemps que je ne l’ai plus vu moi le loup ». Blague à part, elle ajoute : « C’est vrai qu’on en parle beaucoup en ce moment », et pour cause. C’est pas loin d’ici qu’ont eu lieu les premières attaques, juste au-dessus du village, en lisière de bois.

Le loup, bouc émissaire idéal

Pendant que nous parlons, un énorme pick-up flanqué de boue fait irruption sur le parking. « Voilà Monsieur le Maire ». Thierry Sieffer, allure et poignée de main bucheronnes, nous invite à monter à bord de son engin pour nous conduire sur les lieux de la première attaque, à la ferme du Promont, juste au-dessus de Ranrupt.
Après quelques minutes de conduite sportive sur un chemin forestier boueux, nous coupons le moteur. En fond de vallée, Ranrupt. En contre-bas, la ferme du Promont. Droit devant, le Climont. Point de vue idéal pour embrasser une problématique qui va bien au-delà d’un simple clivage entre les gentils pro-loups et les méchants anti-loups. Et quelque part autour de nous, tapi dans les bois, peut-être même en train de nous observer, le loup, bouc émissaire idéal sur lequel se cristallise toutes les peurs, toutes les haines, toutes les frustrations : « Dès qu’il y a quelque chose, ça y est, c’est le loup ! » déplore Thierry Sieffer. Pourtant, on le sait : « partout où le loup est arrivé, la biodiversité a repris ses droits ».
Maintenant que le loup est de retour, comment dépasser la dialectique pro-loup vs anti-loup ? Comment « trouver le meilleur moyen pour cohabiter le plus harmonieusement possible tous ensemble » ? Comment concilier le point de vue des éleveurs qui ne veulent pas que le loup s’attaque à leurs troupeaux, celui des écologistes qui voient dans le retour d’un grand prédateur un moyen de rééquilibrer la population de gibier néfaste à la régénération de nos forêts, celui des chasseurs qui au contraire voient le loup comme un concurrent sur leur territoire de chasse, et celui du public, majoritairement pro-loup, mais pas encore prêt à accepter les Patous ?

Thierry Sieffer, le maire de Ranrupt

Dépassionner le débat

En bon élu, impliqué dans sa fonction, soucieux de ses concitoyens, Thierry Sieffer a pris l’initiative d’organiser, dès le mois de novembre 2019, des réunions réunissant différents acteurs : éleveurs, élus, environnementalistes, membres du réseau loup-lynx chargés du suivi des grands prédateurs, amis ou ennemis du loup. L’objectif : informer, dépassionner, s’allier : « Il fallait faire quelque chose. On ne pouvait pas continuer à laisser dire tout et n’importe quoi ».
Un avis partagé par Francis Dopff, membre de ce groupe loup improvisé. Éleveur de caprins et de chevaux à Orbay dans le Haut-Rhin, il en connaît un rayon sur la question : « Je m’occupe de la synchronisation du dossier loup Alsace-Nature ». Les éleveurs peuvent s’adresser à lui en cas de problème ou de questions relatives au loup. « On se rend compte que l’information dépassionnée a encore beaucoup de mal à passer, dit-il. Je vais finir par appeler des psychologues à la rescousse, ça devient complètement délirant (…) Il n’y a pas moyen d’en parler sereinement (…) On en revient à la bête du Gévaudan, aux démarches d’avant la période scientifique ». Selon lui, affirmer par exemple qu’il n’y a pas de compatibilité possible entre l’élevage et les prédateurs « ça voudrait dire qu’il n’y a pas une seule brebis entre la frontière tchèque et l’arc des Carpates jusqu’à l’Ukraine, la région d’Europe où il y a le plus de moutons ». Là-bas, les éleveurs cohabitent depuis toujours avec le loup. Ils ont adapté leur manière de travailler à la présence des grands prédateurs. Contrairement aux gigantesques troupeaux que l’on peut croiser en France et qui, faute de prédateurs, ne nécessitaient pas de surveillance particulière, les troupeaux dans l’est de l’Europe sont plus petits et gardés par des bergers.

La forêt au-dessus de Ranrupt : le loup n’est pas loin…

Une politique inadaptée

Il ajoute que l’un des gros problèmes c’est l’anticipation du retour du loup : « Que les gens dans le Mercantour aient été surpris, d’accord, et encore. Mais nous au niveau associatif ça va faire 8 ans qu’on dit qu’il y a urgence, qu’il faut prévoir des moyens de protection. Toutes les réponses qu’on a eu c’est : revenez nous voir quand il y aura des attaques ».
Sur ce point, nous avons interrogé Christophe Fotré, Directeur Départemental de la DDT . Selon lui les moyens existent : « Il y a un plan national pour accompagner les éleveurs dans la propagation de cette espèce (…) L’anticipation existe dans la pédagogie, dans l’information (…) dans le suivi de l’espèce et (…) dans l’accompagnement des éleveurs quand le loup est apparu et qu’il crée des préjudices aux éleveurs ». Mais c’est précisément là que le bât blesse. Pour qu’un éleveur puisse prétendre à des aides de l’État et financer des moyens de protection, il doit d’abord avoir été victime d’une prédation.

Francis Dopff, éleveur à Orbey

Frédéric Preisemann est technicien forestier à l’ONF. Il fait partie du réseau d’observation loup/lynx chargé du suivi de l’espèce, piloté par l’OFB . Il est catégorique, « si le loup arrive sur un territoire et que tous les élevages sont protégés, il va se rabattre sur le gibier sauvage ». D’où la nécessité d’anticiper son arrivée.

Mais pour Christophe Fotré, l’État n’a plus les moyens de subventionner les démarches préventives : « Les temps ont changé. Le loup se développe un peu partout, les demandes de protection et les actes de prédation se multiplient, la priorité est de protéger ceux qui en ont réellement besoin ».
En attendant, et comme le souligne Frédéric Preisemann, la France « est le pays où l’on tue le plus de loups, où l’on met le plus de moyens de protection, et où on a le plus d’attaques de loups sur les troupeaux » … À méditer.

La suite du dossier à découvrir en ligne
Face aux loups, des éleveurs en détresse
Un seul et même male?